CAA de DOUAI, 4ème chambre, 26/10/2023, 22DA01564, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... A... D... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2015 et 2016.

Par un jugement no 1903350 du 9 juin 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 20 juillet 2022, le 10 février 2023 et le 14 septembre 2023, M. et Mme A... D..., représentés par Me Froehlich, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué ne répond pas à plusieurs arguments soulevés devant le tribunal ;
- la proposition de rectification est irrégulière dès lors qu'elle n'a été notifiée à aucun des associés ;
- la proposition de rectification ainsi que la réponse aux observations du contribuable sont insuffisamment motivées ;
- en considérant que les cessions de matériels réalisées par la SARL Aster en 2015 et 2016 ne constituaient pas des recettes exceptionnelles, l'administration a méconnu l'article 151 septies du code général des impôts, l'article 38 quater de l'annexe III à ce code ainsi que la doctrine BOI-BIC-PVMV-40-10-10-20 ;
- c'est à tort que l'administration a considéré que ces cessions entraient dans le champ de l'exploitation normale et courante de la SARL Aster.

Par un mémoire en défense et des mémoires, enregistrés les 14 novembre 2022 et 16 août 2023, et un mémoire enregistré le 3 octobre 2023 et non communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bertrand Baillard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me Froehlich, représentant M. et Mme A... D....


Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. M. et Mme A... D... détiennent, pour moitié chacun, l'intégralité du capital social de la société à responsabilité limitée (SARL) Aster qui a pour activité la réalisation de travaux agricoles. M. A... D... en est par ailleurs le gérant. A la suite d'une vérification de la comptabilité de cette société portant sur la période du 1er novembre 2014 au 31 octobre 2016, l'administration a remis en cause le bénéfice dont s'était prévalue cette société de l'exonération d'imposition prévue à l'article 151 septies du code général des impôts sur les plus-values ayant résulté de la cession de plusieurs matériels agricoles au cours de la période vérifiée. Par une proposition de rectification du 28 juin 2018, le service a en conséquence réintégré les recettes ayant résulté de ces cessions dans le résultat imposable de la SARL Aster, et, cette dernière ayant opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes, a fixé, en droits et pénalités, le montant des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de la contribution sur les hauts revenus dus par M. et Mme A... D... au titre des années 2015 et 2016. A la suite du rejet de leur réclamation, ces derniers ont porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens. Toutefois, par un jugement du 9 juin 2022 dont les époux A... D... demandent l'annulation, le tribunal a rejeté leur demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires ainsi mises à leur charge.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

2. Aux termes de l'article 151 septies du code général des impôts : " I. - Les dispositions du présent article s'appliquent aux activités commerciales, industrielles, artisanales, libérales ou agricoles, exercées à titre professionnel. / II. - Les plus-values de cession soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies, à l'exception de celles afférentes aux biens entrant dans le champ d'application du A de l'article 1594-0 G, et réalisées dans le cadre d'une des activités mentionnées au I sont, à condition que l'activité ait été exercée pendant au moins cinq ans, exonérées pour : / 1° La totalité de leur montant lorsque les recettes annuelles sont inférieures ou égales à : / a) 250 000 € s'il s'agit d'entreprises dont le commerce principal est de vendre des marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place ou de fournir le logement, à l'exclusion de la location directe ou indirecte de locaux d'habitation meublés ou destinés à être loués meublés, ou s'il s'agit d'entreprises exerçant une activité agricole ; / (...) / III. - Les plus-values réalisées à l'occasion de la cession de matériels agricoles ou forestiers par des entreprises de travaux agricoles ou forestiers sont exonérées dans les conditions applicables aux entreprises mentionnées au a du 1° du II. Un décret précise les modalités d'application du présent III. / IV. - Le montant des recettes annuelles s'entend de la moyenne des recettes, appréciées hors taxes, réalisées au titre des exercices clos, ramenés le cas échéant à douze mois, au cours des deux années civiles qui précèdent la date de clôture de l'exercice de réalisation des plus-values. / (...) / ".

3. Pour remettre en cause le bénéfice de l'exonération prévue à l'article 151 septies du code général des impôts à raison des plus-values ayant résulté de la cession de matériels agricoles au titre des exercices clos les 31 octobre 2015 et 2016, l'administration a relevé que, hormis pour l'année 2009, la société avait réalisé des cessions de matériels agricoles chaque année depuis 2008 et que ce sont les produits de ces cessions qui permettaient à la SARL Aster d'avoir un résultat comptable positif et elle en a déduit que ces cessions constituaient non pas des recettes exceptionnelles mais des produits réguliers se rattachant à son activité professionnelle normale et courante. Le service a en conséquence pris en compte le montant de ces cessions dans l'évaluation des recettes, lesquelles, de ce fait, excédaient le seuil de 250 000 euros prévu à l'article 151 septies du code général des impôts.

4. Si M. et Mme A... D... soutiennent que les produits des cessions de matériels agricoles par la société Aster ne devaient pas être pris en compte dans le calcul des recettes annuelles de la société dès lors qu'il s'agissait de recettes exceptionnelles au sens du plan comptable général que cette société est tenue de respecter, en application de l'article 38 quater de l'annexe III au code général des impôts, les dispositions précitées de l'article 151 septies du code général des impôts ne permettent pas l'exclusion d'une recette au seul motif qu'elle présenterait un caractère exceptionnel. L'administration n'a donc pas méconnu ces dispositions en intégrant le montant des cessions opérées par la SARL Aster dans les recettes de la société.




En ce qui concerne le bénéfice de la doctrine administrative :

5. Ainsi que le soutiennent les requérants sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales et comme l'admet d'ailleurs l'administration, le paragraphe 390 de la doctrine BOI-BIC-PVMV-40-10-10-20 publiée le 12 septembre 2012 précise que " Pour l'appréciation des seuils de recettes prévus à l'article 151 septies du CGI, il est fait abstraction des produits financiers (...) et des recettes exceptionnelles, notamment celles provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé. ".

6. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que cette doctrine ajoute à la loi en ce qu'elle fait abstraction des recettes exceptionnelles pour l'appréciation des seuils de recettes prévus à l'article 151 septies du code général des impôts. Elle constitue donc une interprétation formelle de la loi fiscale au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

7. D'une part, il résulte de l'instruction que la SARL Aster a, ainsi qu'il a été dit au point 1, une activité de travaux agricoles et que les produits de cette activité couvrent les charges courantes supportées par la société.

8. D'autre part, il résulte des pièces produites au dossier que les matériels agricoles cédés en 2015 et en 2016 s'inscrivaient dans le cadre d'une opération de renouvellement, de nouveaux matériels ayant été acquis à la même période.

9. Enfin, le montant annuel global des cessions opérées depuis 2008 a varié notablement, allant de 45 000 euros à plus de 550 000 euros, selon la nature des matériels cédés, certains valant quelques milliers d'euros et d'autres valant plus de 300 000 euros.

10. Au regard de ces différents éléments, les cessions d'éléments de l'actif immobilisé en cause doivent être regardées comme ayant procédé d'une gestion patrimoniale des actifs de la société ne s'inscrivant pas dans le cadre de son activité normale et courante et constituant donc des recettes exceptionnelles au sens de la doctrine citée au point 5.

11. Dans ces conditions, M. et Mme A... D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que l'administration a estimé que les produits des cessions de matériels en litige ne constituaient pas des recettes exceptionnelles au sens de la doctrine administrative précitée, et devaient dès lors être inclus dans les recettes perçues au titre des exercices 2015 et 2016 en application de l'article 151 septies du code général des impôts.

12. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué ni d'examiner les autres moyens de leur requête, M. et Mme A... D... sont fondés à demander la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu et de la contribution sur les hauts revenus en litige.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2015 et 2016 ainsi que de la contribution sur les hauts revenus à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2015.

14. Il y lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à M. et Mme A... D... d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1903350 du 9 juin 2022 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.

Article 2 : M. et Mme A... D... sont déchargés, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de la contribution sur les hauts revenus auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2015 et 2016.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A... D... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... A... D... ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administratrice générale des finances publiques chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 12 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2023.

Le rapporteur,
Signé : B. BaillardLe président de chambre,
Signé : M. B...
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.


Pour expédition conforme
La greffière,
Nathalie Roméro
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