CAA de MARSEILLE, 1ère chambre, 26/10/2023, 23MA02045, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 26 décembre 2022 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé d'abroger l'arrêté du 8 mars 2013 prononçant son expulsion.

Par une ordonnance n° 2301596 du 20 avril 2023, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande sur le fondement du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 3 août 2023, M. B..., représenté par Me Kuhn-Massot, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 20 avril 2023 ;

2°) d'annuler la décision du préfet des Bouches-du-Rhône du 26 décembre 2022 ;

3°) d'abroger l'arrêté du 8 mars 2013 ;

4°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer le titre de séjour qu'il avait sollicité, dans le délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son conseil, lequel s'engage dans cette hypothèse à renoncer à percevoir la part contributive de l'État.

Il soutient que :
- le préfet du Var a méconnu les dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet du Var a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- les dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile s'opposent à ce qu'il fasse l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;
- le préfet du Var a entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 septembre 2023, le préfet des Bouches du Rhône conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :
- la décision attaquée ne constitue pas un refus d'abrogation d'une mesure d'expulsion mais une décision d'irrecevabilité édictée à la suite d'une demande de titre de séjour ;
- résidant en France, le requérant n'est pas recevable à demander une telle abrogation ;
- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 30 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. d'Izarn de Villefort,
- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public,
- et les observations de Me Kuhn-Massot, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :


1. M. B..., ressortissant arménien, a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 26 décembre 2022 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé d'abroger l'arrêté du 8 mars 2013 prononçant son expulsion. Il relève appel de l'ordonnance du 20 avril 2023 par laquelle le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande sur le fondement du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.


Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 632-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision d'expulsion peut à tout moment être abrogée. ". Aux termes de l'article L. 632-5 du même code : " Il ne peut être fait droit à une demande d'abrogation d'une décision d'expulsion présentée plus de deux mois après la notification de cette décision que si le ressortissant étranger réside hors de France. Cette condition ne s'applique pas : / 1° Pour la mise en œuvre de l'article L. 632-6 ; / 2° Pendant le temps où le ressortissant étranger subit en France une peine d'emprisonnement ferme ; / 3° Lorsque l'étranger fait l'objet d'une décision d'assignation à résidence prise en application des articles L. 731-3, L. 731-4 ou L. 731-5 ". Aux termes de l'article L. 632-6 du même code : " Sans préjudice des dispositions des articles L. 632-3 et L. 632-4, les motifs de la décision d'expulsion donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de sa date d'édiction. (...) ".


3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens à l'appui d'un recours dirigé contre le refus d'abroger une mesure d'expulsion, de rechercher si les faits sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour estimer que la présence en France de l'intéressé constituait toujours, à la date à laquelle elle s'est prononcée, une menace pour l'ordre public, sont de nature à justifier légalement que la mesure d'expulsion ne soit pas abrogée. Toutefois, si le ressortissant étranger réside en France et ne peut invoquer le bénéfice des exceptions définies par l'article L. 524-3 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité préfectorale a compétence liée pour rejeter la demande d'abrogation présentée. L'intéressé peut néanmoins utilement invoquer la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.


4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., né le 1er octobre 1974, a été condamné le 20 janvier 2012 par la Cour d'assises de La Roche-sur-Yon à une peine d'emprisonnement de 5 ans pour des faits de violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner, commis le 3 septembre 2009. Il a été libéré selon ses déclarations après 14 mois d'emprisonnement du fait d'un aménagement de sa peine. L'arrêté du 8 mars 2013 prononçant son expulsion n'ayant pas été mis à exécution, il est demeuré en France depuis sa levée d'écrou. Le 1er juin 2019, il a épousé une compatriote titulaire d'un titre de séjour temporaire qui est la mère de ses deux enfants nés en 2005 et 2009 et qui sont de nationalité française. Il résulte des avis d'imposition, des attestations établies par les établissements dans lesquels ces enfants ont été scolarisés ainsi que des courriers émanant des organismes d'assurance maladie que le couple vit ensemble avec ses enfants depuis au moins 2010 jusqu'à aujourd'hui. Eu égard à la durée de cette vie familiale et à l'âge et la nationalité française de ces enfants, à l'unique condamnation pénale dont il a fait l'objet, à la date et à la gravité des faits ayant justifié celle-ci, à l'absence de nouvelle atteinte à l'ordre public et en dépit de l'absence d'éléments révélant une insertion professionnelle du requérant et de son épouse, M. B... est fondé à soutenir qu'en refusant d'abroger l'arrêté du 8 mars 2013, le préfet des Bouches-du-Rhône a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


6. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort, que par l'ordonnance attaquée, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.


Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. D'une part, en l'absence de changement dans les circonstances de droit et de fait, le présent arrêt implique pour le préfet des Bouches-du-Rhône d'abroger l'arrêté du 8 mars 2013 prononçant l'expulsion de M. B.... Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'impartir au préfet un délai d'un mois pour y procéder.


8. D'autre part, à la date du 26 décembre 2022 à laquelle le préfet a refusé d'abroger l'arrêté du 8 mars 2013, le requérant ne détenait aucun titre de séjour. Le présent arrêt, qui annule cette décision, n'implique pas pour le préfet de reprendre l'instruction de la demande de titre qui avait donné lieu à la remise d'un récépissé, pour une durée aujourd'hui expirée. Il n'y a donc pas lieu d'adresser au préfet une injonction en ce sens.


Sur les frais liés au litige :

9. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Kuhn-Massot, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Kuhn-Massot de la somme de 1 500 euros.

D É C I D E :

Article 1er : L'ordonnance du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille du 20 avril 2023 et la décision du préfet des Bouches-du-Rhône du 26 décembre 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône d'abroger son arrêté du 8 mars 2013 prononçant l'expulsion de M. B..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me Kuhn-Massot en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Kuhn-Massot.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023, où siégeaient :

- M. Portail, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2023.

N° 23MA02045 2



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