CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 24/10/2023, 23BX00882, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 12 octobre 2022 par lequel le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2202919 du 24 janvier 2023, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la requête.

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 18 janvier 2023 par lequel le préfet de la Vienne a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2300257 du 8 mars 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 18 janvier 2023 du préfet de la Vienne et lui a enjoint de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement de M. B... dans le système d'information Schengen dans le délai de quinze jours à compter de sa notification.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 28 avril 2023 sous le n° 23BX01146, M. B..., représenté par Me Desroches, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 24 janvier 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Vienne du 12 octobre 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Vienne, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans les mêmes conditions ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :
- l'arrêté est entaché d'incompétence de son auteur ; la délégation de signature n'est pas suffisamment précise ;
- sa demande de titre de séjour aurait dû être examinée sur le fondement de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; à l'appui de sa demande, il n'a pas produit un contrat à durée déterminée, conclu postérieurement à cette demande et dont la durée était calquée sur celle de son récépissé de titre de séjour ; il a sollicité son admission au séjour en se prévalant d'une proposition d'emploi sous couvert d'un contrat à durée indéterminée et en produisant la demande d'autorisation de travail de son employeur ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé ; il ne vise pas l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; contrairement à ce qu'a retenu le tribunal le refus de séjour est fondé non pas sur l'absence de justification de l'état civil mais sur le défaut de visa long séjour, l'absence d'autorisation de travail et l'absence de métier en tension ;
- le préfet, saisi d'une demande d'autorisation de travail sur laquelle il lui appartenait de statuer, ne pouvait légalement fonder le refus de séjour sur le défaut d'une telle autorisation ; il ne pouvait davantage se fonder sur le fait que le métier envisagé ne figurait pas sur la liste des métiers en tension, sans apprécier la situation de l'emploi ;
- l'arrêté du 4 mai 2022 n'exige pas, s'agissant de la carte de séjour en qualité de salarié, la production d'un justificatif d'état civil et déroge ainsi sur ce point à l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; en tout état de cause, il a produit des pièces justifiant de son identité ;
- le préfet ne pouvait légalement fonder le refus de séjour sur la seule absence de justificatif d'état civil ; les autres motifs de l'arrêté sont erronés ; il a bénéficié d'un visa de régularisation, lequel tient lieu de visa long séjour ; son employeur avait déposé une demande d'autorisation de travail à son profit, sur laquelle le préfet devait statuer ; le métier d'agent de tri figure sur la liste des métiers en tension pour la Nouvelle Aquitaine ; l'administration devait statuer sur la condition tenant à l'opposabilité de la situation de l'emploi ; or, son employeur, pour lequel il travaille depuis de nombreuses années, avait publié, en vain, une offre d'emploi ;
- la décision de refus de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ses parents sont décédés, et il n'a plus d'attache dans son pays d'origine ; il justifie de sa parfaite insertion au sein de la société française ;
- l'obligation de quitter le territoire français est privée de base légale ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision ne pouvait être légalement fondée sur les dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet ne pouvait en effet lui opposer l'irrégularité de son entrée en France alors qu'il s'est vu délivrer un visa de régularisation ;
- la décision fixant le pays de renvoi est privée de base légale.

Par ordonnance du 20 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 5 septembre 2023.

Un mémoire a été présenté par le préfet de la Vienne le 21 septembre 2023, postérieurement à la clôture de l'instruction.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2023.

II) Sous le n° 23BX00882, par une requête enregistrée le 30 mars 2023, le préfet de la Vienne demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers du 8 mars 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Poitiers.

Il soutient que :
- M. B... a été préalablement entendu avant l'édiction la mesure en litige ; il a été mis en mesure de présenter ses observations lors de son interpellation par les services de police pour des faits de violences aggravées ; il ressort du procès-verbal de police du 17 janvier 2023 que M. B... a été interrogé sur la date de son entrée sur le territoire français, les conditions de son séjour, ainsi que sur les démarches entreprises pour régulariser sa situation administrative ;
- les autres moyens de première instance soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 avril 2023, M. B..., représenté par Me Desroches, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Desroches renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle et, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens invoqués par le préfet de la Vienne ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 11 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 mai 2023.
M. B... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mai 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions d'Isabelle Le Bris, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant guinéen, est entré en France en avril 2015 et a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Vienne. Le 30 novembre 2017, il a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions alors en vigueur du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 4 février 2019, la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité et lui a fait obligation de quitter le territoire français. En exécution d'un jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 juin 2019 annulant l'arrêté du 4 février 2019 et enjoignant à la préfète de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", une carte temporaire de séjour a été délivrée à l'intéressé le 29 juillet 2019, valable du 26 juin 2019 au 25 juin 2020. Par un arrêt du 17 décembre 2019, la cour a annulé le jugement du 26 juin 2019 et rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 février 2019. Par un arrêté du 15 septembre 2020, la préfète de la Vienne a refusé de lui accorder le renouvellement de son titre et lui a fait obligation de quitter le territoire français. M. B... a formé un recours contre cet arrêté qui a été rejeté par jugement du 5 février 2021 du tribunal administratif de Poitiers. Par un arrêt du 22 mars 2022, la cour a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

2. M. B... a sollicité le 16 mars 2022 la délivrance d'un titre de séjour en se prévalant d'une demande d'autorisation de travail de son employeur. Par un arrêté du 12 octobre 2022, le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Dans l'instance enregistrée sous le n° 23BX01146, M. B... relève appel du jugement du 24 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par ailleurs, le préfet de la Vienne a, par un arrêté du 18 janvier 2023, fait interdiction à M. B... de revenir sur le territoire français pour une durée de deux ans sur le fondement des dispositions de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un jugement du 8 mars 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé cet arrêté du 18 janvier 2023. Dans l'instance enregistrée sous le n° 23BX00882, le préfet de la Vienne relève appel de ce jugement. Les requêtes présentées par M. B... et par le préfet de la Vienne concernant la situation d'un même étranger et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.


Sur l'appel de M. B... :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a produit des documents justifiant de son identité à l'appui de sa demande de titre de séjour, en particulier un passeport en cours de validité dont le préfet de la Vienne ne soutient pas qu'il s'agirait d'un document apocryphe. Par suite, et alors même que le préfet conteste l'authenticité des actes d'état civil sur la base desquels ce document a été établi, cette demande était complète au sens des dispositions précitées de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il s'ensuit que c'est à tort que le tribunal a considéré que le motif tenant à la méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile justifiait légalement, à lui seul, le refus de titre de séjour en litige.

5. En second lieu, aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " d'une durée maximale d'un an. La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail, dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. Par dérogation aux dispositions de l'article L. 433-1, elle est prolongée d'un an si l'étranger se trouve involontairement privé d'emploi. Lors du renouvellement suivant, s'il est toujours privé d'emploi, il est statué sur son droit au séjour pour une durée équivalente à celle des droits qu'il a acquis à l'allocation d'assurance mentionnée à l'article L. 5422-1 du code du travail ".

6. Il ressort des pièces du dossier que la demande de séjour présentée le 16 mars 2022 par M. B... tendait, selon le formulaire renseigné par l'intéressé, à la délivrance d'un titre " salarié-travailleur temporaire-entrepreneur/profession libérale " et était accompagnée d'une demande d'autorisation de travail présentée le 14 février 2022 par l'entreprise Suez aux fins de recruter l'intéressé comme agent de tri sous couvert d'un contrat à durée indéterminée. Cette demande devait ainsi être regardée comme tendant à la délivrance du titre de séjour mention " salarié " prévu par les dispositions citées au point précédent. Or, il ressort tant des termes de l'arrêté contesté que des écritures du préfet de la Vienne que cette autorité n'a examiné la demande de séjour de M. B... que sur le fondement de l'article L. 421-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif au titre de séjour mention " travailleur temporaire " délivré à l'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée déterminée. La décision de refus de titre de séjour est, par suite, entachée d'une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 24 janvier 2023, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus de titre de séjour du 12 octobre 2022 ainsi que, par voie de conséquence, des décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de renvoi.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :

8. Eu égard aux motifs d'annulation ci-dessus retenus, et alors que les autres moyens soulevés par M. B... ne sont pas susceptibles d'être accueillis et d'avoir une influence sur la portée de l'injonction à prononcer, le présent arrêt implique seulement que le préfet de la Vienne procède à un nouvel examen de la demande de titre de séjour de l'intéressé. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.


Sur l'appel du préfet de la Vienne :

9. Aux termes de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ".

10. L'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours contenue dans l'arrêté du préfet de la Vienne du 12 octobre 2022 étant annulée par le présent arrêt, l'arrêté du 18 janvier 2023 par lequel cette même autorité a, sur le fondement des dispositions précitées, fait interdiction à M. B... de revenir sur le territoire français pour une durée de deux ans, est privé de base légale.

11. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Vienne n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué du 8 mars 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 18 janvier 2023.


Sur les frais liés au litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat et au profit de Me Desroches, avocate de M. B..., une somme globale de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.



DECIDE :



Article 1er : La requête du préfet de la Vienne est rejetée.
Article 2 : Le jugement n° 2202919 du 24 janvier 2023 du tribunal administratif de Poitiers et l'arrêté du préfet de la Vienne du 12 octobre 2022 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Vienne de procéder à nouvel examen de la demande de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Desroches une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Vienne, à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Desroches.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2023.


La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
Le président,
Laurent Pouget Le greffier,
Anthony Fernandez
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX00882, 23BX01146



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