Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 17/10/2023, 465913

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La société Maugin a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner la commune de Viry-Châtillon à lui verser une somme de 23 090,29 euros HT, soit 27 615,99 euros TTC, assortie des intérêts moratoires à compter du 29 mai 2014 et de leur capitalisation, en réparation de la faute résultant du refus de paiement direct des prestations qui lui ont été confiées par la société S3C Construction, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Par un jugement n° 1605133 du 11 février 2019, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 19VE01184 du 19 mai 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la société Maugin, condamné la commune de Viry-Châtillon à verser à cette société la somme de 23 090,29 euros HT et la TVA afférente, assortie des intérêts moratoires à compter du 29 mai 2014 et de leur capitalisation, réformé le jugement en conséquence et rejeté le surplus des conclusions de la société Maugin.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 juillet et 19 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Viry-Châtillon demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Maugin ;

3°) de mettre à la charge de la société Maugin la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Elise Adevah-Poeuf, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de la commune de Viry-châtillon et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Maugin ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Viry-Châtillon et la société S3C Construction ont conclu un marché public de travaux portant notamment sur la réhabilitation de trois écoles maternelles. Par acte spécial du 23 janvier 2013, signé par la commune le 30 janvier 2013, la société S3C Construction a confié à la société Maugin la fabrication de menuiseries, le montant maximum des sommes à régler à cette dernière, par paiement direct du maître d'ouvrage, étant fixé à 147 178,08 euros HT, soit 176 024,98 euros TTC. La société S3C Construction a émis, le 14 janvier 2014, un acte spécial modificatif, signé par la commune le 2 avril 2014 et notifié le lendemain à la société Maugin, réduisant le montant des sommes à lui verser à 113 325,82 euros HT, soit 135 537,68 euros TTC, correspondant à celles déjà servies à l'intéressée. La société Maugin, par courrier adressé à la société S3C Construction le 3 février 2014, a contesté les moins-values ainsi appliquées et demandé que lui soit réglée, sous huit jours, la somme de 34 913,79 euros HT. Le 24 février 2014, la société S3C Construction s'est opposée à cette demande. Par courrier du 9 avril 2014, la société Maugin, admettant le bien-fondé de certaines de ces moins-values, a transmis à la société S3C Construction une demande de paiement pour la somme de 23 090,29 euros HT, soit 27 615,99 euros TTC. En l'absence de réponse de l'entreprise titulaire, la société Maugin a sollicité le paiement direct de cette dernière somme auprès de la commune de Viry-Châtillon par un courrier du 12 mai 2014. Par une décision du 30 mai 2014, cette commune a rejeté sa demande. La société Maugin a alors demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner cette commune à lui verser cette même somme, assortie des intérêts moratoires à compter du 29 mai 2014 et de la capitalisation. Par un jugement du 11 février 2019, ce tribunal a rejeté sa demande. La commune de Viry-Châtillon se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 mai 2022 de la cour administrative d'appel de Versailles qui l'a condamnée à verser à la société Maugin la somme de 23 090,29 euros HT et la TVA afférente, assortie des intérêts moratoires à compter du 29 mai 2014.

2. En premier lieu, il ressort de la minute de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a analysé les mémoires produits devant elle par les parties, satisfaisant aux exigences résultant de l'article R.741-2 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêt serait pour ce motif entaché d'irrégularité doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " Au sens de la présente loi, la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ". Aux termes de l'article 6 de la même loi : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution (...) ".

4. Les décisions d'accepter une entreprise en qualité de sous-traitante et d'agréer ses conditions de paiement ne sont susceptibles d'ouvrir à celle-ci un droit au paiement direct de ses prestations que pour autant que ces prestations relèvent effectivement du champ d'application de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, lequel ne concerne que les prestations relatives à l'exécution d'une part du marché, à l'exclusion de simples fournitures au titulaire du marché conclu avec le maître de l'ouvrage. Des biens présentant des spécificités destinées à satisfaire des exigences particulières d'un marché déterminé ne peuvent être regardés, pour l'application de ces dispositions, comme de simples fournitures.

5. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a retenu, au terme d'une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la société Maugin avait fourni des menuiseries présentant des spécifications techniques déterminées conformément au cahier des clauses techniques particulières et fabriquées spécialement pour les besoins du marché et qu'elle était intervenue sur le chantier pour participer à leur pose. Par suite, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé que le contrat liant la société Maugin avec le titulaire du marché présentait le caractère d'un contrat de sous-traitance et que cette société avait ainsi droit à être payée directement par le maître d'ouvrage pour la part du marché dont elle avait assuré l'exécution.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 116 du code des marchés publics, dans sa rédaction applicable au litige : " Le sous-traitant adresse sa demande de paiement libellée au nom du pouvoir adjudicateur au titulaire du marché, sous pli recommandé avec accusé de réception, ou la dépose auprès du titulaire contre récépissé./ Le titulaire dispose d'un délai de quinze jours à compter de la signature de l'accusé de réception ou du récépissé pour donner son accord ou notifier un refus, d'une part, au sous-traitant et, d'autre part, au pouvoir adjudicateur ou à la personne désignée par lui dans le marché./ Le sous-traitant adresse également sa demande de paiement au pouvoir adjudicateur ou à la personne désignée dans le marché par le pouvoir adjudicateur, accompagnée des factures et de l'accusé de réception ou du récépissé attestant que le titulaire a bien reçu la demande ou de l'avis postal attestant que le pli a été refusé ou n'a pas été réclamé./ Le pouvoir adjudicateur ou la personne désignée par lui dans le marché adresse sans délai au titulaire une copie des factures produites par le sous-traitant (...) ". Aux termes de l'article 8 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " L'entrepreneur principal dispose d'un délai de quinze jours, comptés à partir de la réception des pièces justificatives servant de base au paiement direct, pour les revêtir de son acceptation ou pour signifier au sous-traitant son refus motivé d'acceptation./ Passé ce délai, l'entrepreneur principal est réputé avoir accepté celles des pièces justificatives ou des parties de pièces justificatives qu'il n'a pas expressément acceptées ou refusées./ Les notifications prévues à l'alinéa 1er sont adressées par lettre recommandée avec accusé de réception ".

7. Il résulte de ces dispositions que, si l'entrepreneur principal dispose d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle il a été saisi par le sous-traitant d'une demande tendant à son paiement direct par le maître d'ouvrage, pour faire connaître son acceptation ou son refus motivé, il doit, faute d'avoir formulé un tel refus dans ce délai, être regardé comme ayant accepté définitivement la demande de paiement. Dès lors, le refus qu'il exprimerait après l'expiration du délai de quinze jours ne saurait constituer un refus motivé, au sens de ces dispositions.

8. En l'espèce, la cour administrative d'appel a souverainement constaté que si la société S3C Construction s'était opposée, le 24 février 2014, à la demande de paiement présentée par la société Maugin le 3 février 2014, qui portait sur la somme de 34 913,79 euros HT, elle n'avait pas opposé de refus motivé dans le délai de quinze jours à la seconde demande faite par la société Maugin le 9 avril 2014, qui portait sur un montant différent, ramené à 23 090,29 euros HT après prise en compte des moins-values acceptées par cette dernière. En l'état de ses constatations souveraines, exemptes de dénaturation, la cour a pu juger, sans erreur de droit, que le titulaire du marché devait être regardé comme ayant définitivement accepté la demande de paiement direct du 9 avril 2014, pour en déduire que la commune n'était pas fondée à se prévaloir d'un refus du titulaire du marché pour rejeter cette dernière demande de paiement direct.

9. En dernier lieu, en jugeant qu'il n'était pas établi que la société Maugin n'aurait pas réalisé effectivement les travaux en cause ou que leur consistance ne correspondrait pas aux stipulations du marché, la cour administrative d'appel s'est livrée, sans les dénaturer, à une appréciation souveraine des faits de l'espèce et n'a pas commis d'erreur de droit.

10. Il résulte de ce qui précède que la commune de Viry-Châtillon n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Viry-Châtillon la somme de 3 000 euros au titre des mêmes dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Viry-Châtillon est rejeté.
Article 2 : La commune de Viry-Châtillon versera à la société Maugin une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Viry-Châtillon et à la société Maugin.


ECLI:FR:CECHR:2023:465913.20231017
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