CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 09/10/2023, 23MA00572, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... G... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 7 février 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2301303 du 13 février 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.


Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée le 8 mars 2023 sous le n° 23MA00572, et deux mémoires enregistrés le 30 mars 2023 et le 20 mai 2023, M. G..., représenté par Me Btihadi, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral ;



3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai et, pendant ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Il soutient que :
- l'auteur de l'arrêté attaqué est incompétent ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 6 § 5 de l'accord franco-algérien et l'article 3 § 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- ne s'étant pas soustrait à deux précédentes mesures d'éloignement sous d'autres identités, il devait se voir octroyer un délai de départ volontaire ;
- l'interdiction de retour prononcée à son encontre est une mesure disproportionnée.


Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mars 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens présentés à l'appui de la requête d'appel sont infondés.


Par une décision en date du 28 avril 2023, M. G... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.


II. Par une requête, enregistrée le 8 mars 2023 sous le n° 23MA00573, M. G..., représenté par Me Btihadi, demande au juge des référés de suspendre l'exécution de l'arrêté du 7 février 2023 et du jugement n° 2301303 du tribunal administratif de Marseille, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône " de solliciter la remise en liberté immédiate de M. G... sous astreinte de 100 euros par jour de retard " et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- il justifie d'une urgence ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté au vu des moyens soulevés en appel.


Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de cette requête en soutenant que les moyens présentés à son soutien sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.




Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.


Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur.


Considérant ce qui suit :


1. M. G..., ressortissant algérien né le 27 août 1987, a été interpellé le 7 février 2023. Par arrêté du même jour, le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et a fixé le pays de renvoi. Par le jugement attaqué, dont M. G... relève appel, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par deux requêtes, qui sont relatives aux mêmes décisions et qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par un seul arrêt, M. G..., d'une part, relève appel de ce jugement et, d'autre part, demande au juge des référés de prononcer la suspension de l'exécution de l'arrêté préfectoral et du jugement.


2. En premier lieu, et contrairement à ce que soutient M. G..., le préfet des Bouches-du-Rhône a justifié en première instance de la délégation de signature accordée à Mme B... E... par son arrêté du 7 février 2023. Il y a donc lieu d'écarter ce moyen.


3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. / (...) ". Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".
4. Après avoir visé l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'arrêté attaqué relève que M. G... ne justifie pas être entré régulièrement sur le territoire français. Ainsi, il comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la mesure d'éloignement édictée à l'encontre de l'intéressé. Le préfet n'était pas tenu de faire état de l'ensemble des éléments de fait relatifs à la situation personnelle de l'intéressé mais seulement de ceux sur lesquels il s'est effectivement fondé pour prendre sa décision. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français ne serait pas motivée manque en fait.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant susvisée : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".


6. M. G..., s'il soutient être entré en France en octobre 2013, ne justifie résider en France qu'à compter de l'année 2017. S'il a eu un enfant, C..., né le 13 juin 2021, dont il s'occupe, il vit séparé de l'enfant et de la mère de celui-ci, Mme D... A.... En outre, s'il produit la copie d'un certificat de résidence d'un an accordé à Mme A..., ce titre a expiré le 17 juin 2022, antérieurement à la décision attaquée, et M. G... ne précise pas la situation administrative de Mme A... à la date de l'arrêté attaqué, et n'établit donc pas que son enfant et la mère de ce dernier auraient vocation à demeurer sur le territoire français. Par ailleurs, M. G... n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, et des conditions du séjour de l'intéressé en France, et en dépit des relations amicales dont il fait état, M. G... n'est pas fondé à soutenir qu'en lui faisant obligation de quitter le territoire, le préfet aurait méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 3 § 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ou qu'il bénéficierait, sur le fondement de l'article 6 § 5 de l'accord franco-algérien, d'un droit au séjour qui ferait obstacle à l'édiction d'une mesure d'éloignement.


7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation. ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / 2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / 3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; / 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; / 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; / 6° L'étranger, entré irrégulièrement sur le territoire de l'un des États avec lesquels s'applique l'acquis de Schengen, fait l'objet d'une décision d'éloignement exécutoire prise par l'un des États ou s'est maintenu sur le territoire d'un de ces États sans justifier d'un droit de séjour ; / 7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ; / 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5. ".


8. Il ressort de l'extrait du fichier automatisé des empreintes digitales qui a été produit par le préfet qu'une consultation décadactylaire a conclu à l'identité des empreintes de M. G..., né le 27 août 1987, et de celles du soi-disant M. H..., se disant né le 27 août 1994 ou le 27 juillet 1996, ayant fait l'objet d'un signalement pour vol le 17 mai 2018 à Nîmes et le 21 août 2021 à Marseille pour recel, et ayant à la suite de ces interpellations été obligé à deux reprises de quitter le territoire français. M. G..., qui se borne à nier avoir fait l'objet de précédentes mesures d'éloignement sous d'autres identités, ne conteste pas l'authenticité de l'extrait du fichier automatisé des empreintes digitales, alors qu'il dispose d'un droit légal de consultation et de rectification. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que le préfet aurait refusé tout délai de départ volontaire à M. G... s'il s'était fondé sur le seul motif tiré de ce qu'il est entré en France irrégulièrement et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Et aux termes de l'article L. 612-10 : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".


10. Il résulte de ces dispositions que, dès lors que le délai de départ volontaire lui a été à bon droit refusé, M. G... n'est pas fondé à soutenir qu'aucune interdiction de retour ne pouvait lui être faite. Toutefois, compte tenu de la situation privée et familiale de l'intéressé, rappelée au point 6, le préfet a fait une inexacte application de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lui faisant interdiction de retour pour une durée de deux ans, qui est disproportionnée.


11. Il résulte de tout ce qui précède que M. G... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision portant interdiction de retour pour une durée de deux ans. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à M. G... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le présent arrêt statuant au fond sur l'appel de M. G..., ses demandes de suspension de l'exécution de l'arrêté et de sursis à exécution du jugement sont devenues sans objet.




D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2301303 du 13 février 2023 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 7 février 2023 du préfet des Bouches-du-Rhône est annulé en tant qu'il fait interdiction de retour sur le territoire français à M. G... pour une durée de deux ans.
Article 3 : L'Etat versera à M. G... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des demandes de première instance de M. G... et des conclusions de sa requête d'appel n° 23MA00572 est rejeté.
Article 5 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 23MA00573 de M. G....
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... G..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Btihadi.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 octobre 2023.
Nos 23MA00572 - 23MA00573 2




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