Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 04/10/2023, 462030

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

M. et Mme A... et C... B... ont demandé au tribunal administratif de Rennes la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2016 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1901422 du 2 septembre 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 20NT03391 du 7 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par M. et Mme B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 mars et 2 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. et Mme B... ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) B... D..., créée en 1984, dont
M. et Mme B... étaient associés, a développé à partir de l'année 2012 une activité de production et de vente d'électricité d'origine photovoltaïque par l'installation de panneaux solaires sur les bâtiments agricoles de l'exploitation. Le 1er janvier 2016, elle a cédé son exploitation agricole et sa production d'électricité au groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) 2 de l'Oriolais, créé à la même date par les intéressés et un tiers, sans que M. et Mme B... ne déclarent, à cette occasion, aucune plus-value professionnelle. En outre, alors qu'ils avaient opté pour l'imposition de leurs bénéfices agricoles selon le système de la moyenne triennale prévu par l'article 75-0 B du code général des impôts, M. et Mme B... n'ont déclaré, au titre de l'année 2016, aucun surplus par rapport à cette moyenne, imposable au taux marginal. Par une proposition de rectification du 22 septembre 2017, l'administration fiscale, après avoir relevé l'existence d'une plus-value à court terme réalisée lors de la cession des équipements utilisés pour la production d'électricité, a considéré que cette plus-value était imposable. Elle a également imposé au taux marginal le surplus des bénéfices agricoles réalisés en 2016 par rapport à la moyenne triennale de ces bénéfices réalisés sur la période 2014-2016.
M. et Mme B... ont contesté le supplément d'impôt sur le revenu qui a été mis à leur charge en conséquence de ces rectifications au titre de l'année 2016. Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 7 janvier 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement du 2 septembre 2020 du tribunal administratif de Rennes rejetant leur demande de décharge de cette imposition.

Sur l'imposition de la plus-value :

2. Aux termes, de première part, de l'article 151 septies du code général des impôts : " I. - Les dispositions du présent article s'appliquent aux activités commerciales, industrielles, artisanales, libérales ou agricoles, exercées à titre professionnel. / II. - Les plus-values de cession soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies, à l'exception de celles afférentes aux biens entrant dans le champ d'application du A de l'article 1594-0 G, et réalisées dans le cadre d'une des activités mentionnées au I sont, à condition que l'activité ait été exercée pendant au moins cinq ans, exonérées pour : / 1° La totalité de leur montant lorsque les recettes annuelles sont inférieures ou égales à : / a) 250 000 € s'il s'agit d'entreprises dont le commerce principal est de vendre des marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place ou de fournir le logement, à l'exclusion de la location directe ou indirecte de locaux d'habitation meublés ou destinés à être loués meublés, ou s'il s'agit d'entreprises exerçant une activité agricole ; / b) 90 000 € s'il s'agit d'autres entreprises ou de titulaires de bénéfices non commerciaux (...) ".

3. Aux termes, de deuxième part, de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation. (...) Il en est de même de la production et, le cas échéant, de la commercialisation, par un ou plusieurs exploitants agricoles, de biogaz, d'électricité et de chaleur par la méthanisation, lorsque cette production est issue pour au moins 50 % de matières provenant d'exploitations agricoles. Les revenus tirés de la commercialisation sont considérés comme des revenus agricoles, au prorata de la participation de l'exploitant agricole dans la structure exploitant et commercialisant l'énergie produite (...) ".

4. Aux termes, de troisième part, de l'article 75 A du code général des impôts, applicable à l'année d'imposition en litige : " Les produits des activités de production d'électricité d'origine photovoltaïque ou éolienne réalisés par un exploitant agricole soumis à un régime réel d'imposition, sur son exploitation agricole, peuvent être pris en compte pour la détermination du bénéfice agricole, sous réserve des conditions suivantes. Au titre de l'année civile précédant la date d'ouverture de l'exercice, les recettes provenant de ces activités, majorées des recettes des activités accessoires prises en compte pour la détermination des bénéfices agricoles en application de l'article 75, n'excèdent ni 50 % des recettes tirées de l'activité agricole, ni 100 000 euros (...) ".

5. L'article 151 septies du code général des impôts cité au point 2 prévoit une exonération des plus-values réalisées dans le cadre de certaines activités professionnelles à l'occasion de la cession d'éléments de l'actif immobilisé, à la condition, notamment, que l'activité ait été exercée depuis plus de cinq ans. Lorsque le contribuable exerce plusieurs activités, le respect de cette condition s'apprécie activité par activité, c'est-à-dire au regard de l'activité dans le cadre de laquelle a été réalisée la plus-value. Pour l'application de cette disposition, la production et la vente d'électricité doivent être regardées, en principe, comme constituant une activité distincte des autres activités exercées par le contribuable.

6. En premier lieu, en jugeant que le tribunal administratif avait suffisamment motivé son jugement en distinguant, pour l'application des dispositions de l'article 151 septies du code général des impôts, la production et la vente d'électricité d'origine photovoltaïque des activités agricoles exercées par l'EARL B... D..., la cour, qui a elle-même suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit.

7. En second lieu, la cour a jugé que la production et la vente d'électricité d'origine photovoltaïque ne pouvaient être assimilées, pour l'application des dispositions de l'article 151 septies du code général des impôts et l'appréciation de la condition tenant à l'exercice de l'activité depuis plus de cinq ans, aux activités agricoles exercées par l'EARL B... D..., sans qu'aient d'incidence à cet égard ni l'unicité du bilan de l'entreprise, ni le caractère accessoire des produits tirés de la vente d'électricité, ni l'application des dispositions de l'article 75 A du code général des impôts, qui se bornent à autoriser l'imposition des produits de la vente d'électricité d'origine photovoltaïque par un exploitant agricole, sous certaines conditions, dans la catégorie des bénéfices agricoles, et pas davantage la circonstance que l'EARL, en tant que société civile, ne pouvait effectuer d'actes de commerce. Elle a également jugé qu'étaient sans incidence les dispositions de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime selon lesquelles sont réputées agricoles, notamment, les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation, alors même que les panneaux solaires utilisés pour produire l'électricité étaient installés sur des bâtiments de l'exploitation agricole. En jugeant ainsi, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.

Sur l'imposition au taux marginal :

8. Aux termes du premier alinéa de l'article 75-0 B du code général des impôts : " Sur option des contribuables titulaires de bénéfices agricoles soumis à un régime réel d'imposition, le bénéfice agricole retenu pour l'assiette de l'impôt progressif est égal à la moyenne des bénéfices de l'année d'imposition et des deux années précédentes ". Le sixième alinéa de cet article dispose que : " L'année de la cession ou de la cessation (...), l'excédent du bénéfice agricole sur la moyenne triennale est imposé au taux marginal d'imposition applicable au revenu global du contribuable déterminé compte tenu de cette moyenne triennale ". Le septième alinéa de cet article prévoit que : " Pour l'application du sixième alinéa, l'apport d'une exploitation individuelle, dans les conditions mentionnées au I de l'article 151 octies, à une société ou à un groupement dont les bénéfices sont, en application de l'article 8, soumis au nom de l'exploitant à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices agricoles, ne constitue pas une cession ou une cessation de l'exploitation. "

9. En premier lieu, en jugeant qu'alors même qu'ils avaient continué à percevoir des bénéfices agricoles en qualité de membres du GAEC 2 de l'Oriolais après 2016, M. et Mme B... devaient être regardés comme ayant cédé leur exploitation au sens du sixième alinéa de l'article 75-0 B du code général des impôts et ne relevaient pas de l'hypothèse réservée par le septième alinéa de ce même article, au motif qu'à l'occasion du transfert de leur exploitation agricole au GAEC en 2016, ils n'avaient pas apporté une exploitation individuelle agricole mais une exploitation détenue par l'EARL B... D..., personne morale distincte dont ils étaient les associés, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

10. En second lieu, les requérants n'entrent pas dans les énonciations du paragraphe n° 410 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-BA-LIQ-20, relatifs à l'imposition des bénéfices agricoles selon le système de la moyenne triennale, selon lesquelles : " La cessation partielle d'activité ne met pas un terme aux effets de l'option ", dès lors qu'il est constant que l'EARL dont ils étaient associés avait cessé complètement son activité. Il y a lieu de substituer ce motif qui, reposant sur des faits constants ressortant du dossier soumis aux juges du fond, est exclusif de toute appréciation de fait, et qui se borne à répondre au moyen tiré de l'opposabilité des énonciations précitées sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, à celui par lequel la cour a écarté ce moyen.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent. Leur pourvoi doit, par suite, être rejeté, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. et Mme B... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A... et C... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 septembre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 4 octobre 2023.


Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Saby
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam


La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :

ECLI:FR:CECHR:2023:462030.20231004
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