CAA de PARIS, 4ème chambre, 29/09/2023, 22PA01415, Inédit au recueil Lebon
CAA de PARIS, 4ème chambre, 29/09/2023, 22PA01415, Inédit au recueil Lebon
CAA de PARIS - 4ème chambre
- N° 22PA01415
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
vendredi
29 septembre 2023
- Président
- Mme BRIANÇON
- Rapporteur
- Mme Marguerite SAINT-MACARY
- Avocat(s)
- THOUY HÉLÈNE
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association L214 a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a implicitement refusé de dissoudre la cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole, dite " cellule Déméter ", et de résilier la convention du 13 décembre 2019 conclue entre le ministre de l'intérieur, la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles et Jeunes C..., d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de faire cesser l'activité de la cellule Déméter et l'exécution de la convention du 13 décembre 2019 sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2006530-2018140 du 1er février 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé le refus implicite du ministre de l'intérieur de mettre fin à celles des activités de la " cellule Déméter " qui se rattachent à l'objectif de prévention et de suivi d'" actions de nature idéologique ", enjoint au ministre de l'intérieur de faire cesser ces activités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête et un mémoire enregistrés, sous le n° 22PA01415, les 25 mars 2022 et 17 février 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a annulé son refus de mettre fin aux missions de suivi des actions de nature idéologique imparties à la " cellule Déméter " et lui a enjoint d'y mettre un terme sous astreinte
2°) de rejeter, dans cette mesure, la demande de l'association L214.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il s'est fondé sur un moyen qui n'était pas soulevé par les parties et n'est pas d'ordre public et en ce qu'il n'a pas informé les parties de ce moyen ;
- les activités de la " cellule Déméter " relatives au suivi des actions de nature idéologique se rattachent aux compétences de la gendarmerie dans sa mission d'information.
Par des mémoires en intervention enregistrés les 2 juin 2022 et 15 mars 2023, les associations " Pollinis France " et " Générations futures ", représentées par la SAS Huglo Lepage avocats, demandent que la Cour rejette la requête.
Elles soutiennent que :
- elles ont un intérêt à intervenir ;
- la requête est irrecevable ;
- les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 mars 2023, l'association L214, représentée par la SELARL Thouy avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable ;
- les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement en ce que le tribunal n'était pas compétent pour connaître des conclusions dirigées contre la " cellule Déméter ".
L'association L214 a présenté des observations sur ce moyen le 23 août 2023.
II. Par une requête et des mémoires enregistrés, sous le n° 22PA01514, les 4 avril 2022 et 17 février et 4 avril 2023, le ministre de l'intérieur demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a annulé son refus de mettre fin aux missions de suivi des actions de nature idéologique imparties à la " cellule Déméter " et lui a enjoint d'y mettre un terme sous astreinte, dont il demande l'annulation sous le n°22PA01415.
Il fait valoir que les conditions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont réunies.
Par des mémoires enregistrés les 3 mai 2022 et 16 mars 2023, l'association L214, représentée par la SELARL Thouy avocats, conclut au rejet de la demande de sursis à exécution et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'irrecevabilité de la requête principale entraîne la caducité de la requête de sursis à exécution ;
- le ministre n'invoque aucun moyen sérieux.
Par des mémoires en intervention enregistrés les 2 juin 2022 et 15 mars 2023, les associations Pollinis France et Générations futures, représentées par la SAS Huglo Lepage avocats, demandent que la Cour rejette la requête.
Elles soutiennent que :
- l'irrecevabilité de la requête principale entraîne par voie de conséquence l'irrecevabilité de la requête de sursis à exécution ;
- le ministre n'invoque aucun moyen sérieux.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement en ce que le tribunal n'était pas compétent pour connaître des conclusions dirigées contre la " cellule Déméter ".
L'association L214 a présenté des observations sur ce moyen le 25 avril 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- les conclusions de Mme A...,
- et les observations de Mme B..., représentant le ministre de l'intérieur et des outre-mer et de Me Thouy et Me Vidal, représentants l'association L214.
Une note en délibéré présentée par l'association L214 dans l'instance n°22PA01415 a été enregistrée le 19 septembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 22PA01415 et n° 22PA01514 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. Confronté à la hausse du nombre des atteintes à l'encontre des agriculteurs, le ministre de l'intérieur a décidé, le 3 octobre 2019, la mise en place d'une cellule dite " Démeter " au sein de la gendarmerie nationale et a signé, le 13 décembre 2019, une convention avec la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et Jeunes C.... L'association L214 lui a demandé de dissoudre cette cellule et de résilier la convention, puis a demandé au tribunal l'annulation du rejet implicite de sa demande. Par un jugement du 1er février 2022, le tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit à la demande de l'association en annulant le refus implicite du ministre de l'intérieur de mettre fin à celles des activités de la " cellule Déméter " qui se rattachent à l'objectif de prévention et de suivi d'" actions de nature idéologique ", enjoint au ministre de l'intérieur de faire cesser ces activités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et rejeté le surplus des conclusions de la demande. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement et demande qu'il soit sursis à son exécution en tant qu'il a annulé son refus de mettre fin aux missions de suivi des actions de nature idéologique imparties à la " cellule Déméter " et lui a enjoint d'y mettre un terme sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard.
Sur la requête n°22PA01415 tendant à l'annulation du jugement :
En ce qui concerne la recevabilité de l'intervention :
3. Est recevable à former une intervention, devant le juge du fond, toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. Au regard de leurs statuts et en particulier de leur objet respectif, les associations Pollinis France et Générations futures ont intérêt au maintien du jugement attaqué. Leurs interventions doivent, dès lors, être admises.
En ce qui concerne les fins de non-recevoir :
4. En premier lieu, la circonstance que le tribunal aurait prononcé l'annulation partielle d'un acte indivisible, si elle est susceptible d'entraîner l'irrégularité du jugement, est toutefois sans incidence sur la recevabilité des conclusions mêmes partielles de la requête d'appel.
5. En second lieu, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, en demandant l'annulation du jugement en tant seulement qu'il a annulé son refus de mettre fin aux activités de suivi des " actions de nature idéologiques " de la " cellule Démeter ", et non en tant qu'il annule son refus de mettre fin aux activités de prévention de telles actions, ne peut être regardé comme demandant l'annulation de sa propre décision relative à ces activités. Par suite, la fin de
non-recevoir tirée de ce qu'il présenterait des conclusions nouvelles en appel ne peut qu'être écartée.
En ce qui concerne la régularité du jugement :
6. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (...) / 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que la cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole, dite " Démeter ", créée au mois d'octobre 2019, est une structure fonctionnelle et permanente au sein de la direction générale de la gendarmerie nationale, impliquant la participation de la sous-direction de la sécurité publique et de la sécurité routière, de la
sous-direction de l'anticipation opérationnelle, de la sous-direction de la police judiciaire, du service central de renseignement criminel, de l'office central de lutte contre la délinquance itinérante et du service d'informations et de relations publiques des armées. Elle est destinée à garantir une approche transversale et globale du phénomène des atteintes en milieu agricole. Sa création correspond, dans ces conditions, à un acte d'organisation du service, pris par le ministre de l'intérieur dans le cadre de son pouvoir réglementaire. Ainsi, la demande présentée par l'association L214 devant le tribunal administratif de Paris relevait, en vertu des dispositions précitées du code de justice administrative, de la compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort. Il y a lieu, par suite, d'une part, d'annuler le jugement du 1er février 2022 en tant que le tribunal administratif de Paris a, à la demande de l'association L214, annulé le refus du ministre de mettre fin aux missions de suivi des actions de nature idéologique imparties à la " cellule Déméter " et, d'autre part, de renvoyer cette demande, dans cette mesure, au Conseil d'Etat.
Sur la requête n° 22PA01514 à fin de sursis à exécution :
8. Le présent arrêt se prononçant au fond sur l'appel du ministre de l'intérieur et des outre-mer, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête à fin de sursis à exécution.
Sur les frais du litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l'association L214 demande sur ce fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 22PA01514.
Article 2 : Les interventions des associations Pollinis France et Générations futures dans l'instance n° 22PA01415 sont admises.
Article 3 : Les articles 1 à 3 du jugement n° 2006530-2018140 du 1er février 2022 du tribunal administratif de Paris sont annulés en tant qu'ils portent sur le refus de mettre fin aux missions de suivi des actions de nature idéologique imparties à la " cellule Déméter ".
Article 4 : Les conclusions de la demande n° 2018140 tendant à l'annulation du refus du ministre de mettre fin aux missions de suivi des actions de nature idéologique imparties à la " cellule Déméter " sont transmises au Conseil d'Etat.
Article 5 : Les conclusions de l'association L214 présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à l'association L214, à l'association Pollinis France et à l'association Générations futures.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Briançon, présidente,
M. Pascal Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 septembre 2023.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
C. BRIANÇON
La greffière,
O. BADOUX-GRARE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22PA01415-22PA01514
Procédure contentieuse antérieure :
L'association L214 a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a implicitement refusé de dissoudre la cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole, dite " cellule Déméter ", et de résilier la convention du 13 décembre 2019 conclue entre le ministre de l'intérieur, la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles et Jeunes C..., d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de faire cesser l'activité de la cellule Déméter et l'exécution de la convention du 13 décembre 2019 sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2006530-2018140 du 1er février 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé le refus implicite du ministre de l'intérieur de mettre fin à celles des activités de la " cellule Déméter " qui se rattachent à l'objectif de prévention et de suivi d'" actions de nature idéologique ", enjoint au ministre de l'intérieur de faire cesser ces activités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête et un mémoire enregistrés, sous le n° 22PA01415, les 25 mars 2022 et 17 février 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a annulé son refus de mettre fin aux missions de suivi des actions de nature idéologique imparties à la " cellule Déméter " et lui a enjoint d'y mettre un terme sous astreinte
2°) de rejeter, dans cette mesure, la demande de l'association L214.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il s'est fondé sur un moyen qui n'était pas soulevé par les parties et n'est pas d'ordre public et en ce qu'il n'a pas informé les parties de ce moyen ;
- les activités de la " cellule Déméter " relatives au suivi des actions de nature idéologique se rattachent aux compétences de la gendarmerie dans sa mission d'information.
Par des mémoires en intervention enregistrés les 2 juin 2022 et 15 mars 2023, les associations " Pollinis France " et " Générations futures ", représentées par la SAS Huglo Lepage avocats, demandent que la Cour rejette la requête.
Elles soutiennent que :
- elles ont un intérêt à intervenir ;
- la requête est irrecevable ;
- les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 mars 2023, l'association L214, représentée par la SELARL Thouy avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable ;
- les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement en ce que le tribunal n'était pas compétent pour connaître des conclusions dirigées contre la " cellule Déméter ".
L'association L214 a présenté des observations sur ce moyen le 23 août 2023.
II. Par une requête et des mémoires enregistrés, sous le n° 22PA01514, les 4 avril 2022 et 17 février et 4 avril 2023, le ministre de l'intérieur demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a annulé son refus de mettre fin aux missions de suivi des actions de nature idéologique imparties à la " cellule Déméter " et lui a enjoint d'y mettre un terme sous astreinte, dont il demande l'annulation sous le n°22PA01415.
Il fait valoir que les conditions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont réunies.
Par des mémoires enregistrés les 3 mai 2022 et 16 mars 2023, l'association L214, représentée par la SELARL Thouy avocats, conclut au rejet de la demande de sursis à exécution et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'irrecevabilité de la requête principale entraîne la caducité de la requête de sursis à exécution ;
- le ministre n'invoque aucun moyen sérieux.
Par des mémoires en intervention enregistrés les 2 juin 2022 et 15 mars 2023, les associations Pollinis France et Générations futures, représentées par la SAS Huglo Lepage avocats, demandent que la Cour rejette la requête.
Elles soutiennent que :
- l'irrecevabilité de la requête principale entraîne par voie de conséquence l'irrecevabilité de la requête de sursis à exécution ;
- le ministre n'invoque aucun moyen sérieux.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement en ce que le tribunal n'était pas compétent pour connaître des conclusions dirigées contre la " cellule Déméter ".
L'association L214 a présenté des observations sur ce moyen le 25 avril 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- les conclusions de Mme A...,
- et les observations de Mme B..., représentant le ministre de l'intérieur et des outre-mer et de Me Thouy et Me Vidal, représentants l'association L214.
Une note en délibéré présentée par l'association L214 dans l'instance n°22PA01415 a été enregistrée le 19 septembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 22PA01415 et n° 22PA01514 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. Confronté à la hausse du nombre des atteintes à l'encontre des agriculteurs, le ministre de l'intérieur a décidé, le 3 octobre 2019, la mise en place d'une cellule dite " Démeter " au sein de la gendarmerie nationale et a signé, le 13 décembre 2019, une convention avec la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et Jeunes C.... L'association L214 lui a demandé de dissoudre cette cellule et de résilier la convention, puis a demandé au tribunal l'annulation du rejet implicite de sa demande. Par un jugement du 1er février 2022, le tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit à la demande de l'association en annulant le refus implicite du ministre de l'intérieur de mettre fin à celles des activités de la " cellule Déméter " qui se rattachent à l'objectif de prévention et de suivi d'" actions de nature idéologique ", enjoint au ministre de l'intérieur de faire cesser ces activités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et rejeté le surplus des conclusions de la demande. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement et demande qu'il soit sursis à son exécution en tant qu'il a annulé son refus de mettre fin aux missions de suivi des actions de nature idéologique imparties à la " cellule Déméter " et lui a enjoint d'y mettre un terme sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard.
Sur la requête n°22PA01415 tendant à l'annulation du jugement :
En ce qui concerne la recevabilité de l'intervention :
3. Est recevable à former une intervention, devant le juge du fond, toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. Au regard de leurs statuts et en particulier de leur objet respectif, les associations Pollinis France et Générations futures ont intérêt au maintien du jugement attaqué. Leurs interventions doivent, dès lors, être admises.
En ce qui concerne les fins de non-recevoir :
4. En premier lieu, la circonstance que le tribunal aurait prononcé l'annulation partielle d'un acte indivisible, si elle est susceptible d'entraîner l'irrégularité du jugement, est toutefois sans incidence sur la recevabilité des conclusions mêmes partielles de la requête d'appel.
5. En second lieu, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, en demandant l'annulation du jugement en tant seulement qu'il a annulé son refus de mettre fin aux activités de suivi des " actions de nature idéologiques " de la " cellule Démeter ", et non en tant qu'il annule son refus de mettre fin aux activités de prévention de telles actions, ne peut être regardé comme demandant l'annulation de sa propre décision relative à ces activités. Par suite, la fin de
non-recevoir tirée de ce qu'il présenterait des conclusions nouvelles en appel ne peut qu'être écartée.
En ce qui concerne la régularité du jugement :
6. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (...) / 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que la cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole, dite " Démeter ", créée au mois d'octobre 2019, est une structure fonctionnelle et permanente au sein de la direction générale de la gendarmerie nationale, impliquant la participation de la sous-direction de la sécurité publique et de la sécurité routière, de la
sous-direction de l'anticipation opérationnelle, de la sous-direction de la police judiciaire, du service central de renseignement criminel, de l'office central de lutte contre la délinquance itinérante et du service d'informations et de relations publiques des armées. Elle est destinée à garantir une approche transversale et globale du phénomène des atteintes en milieu agricole. Sa création correspond, dans ces conditions, à un acte d'organisation du service, pris par le ministre de l'intérieur dans le cadre de son pouvoir réglementaire. Ainsi, la demande présentée par l'association L214 devant le tribunal administratif de Paris relevait, en vertu des dispositions précitées du code de justice administrative, de la compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort. Il y a lieu, par suite, d'une part, d'annuler le jugement du 1er février 2022 en tant que le tribunal administratif de Paris a, à la demande de l'association L214, annulé le refus du ministre de mettre fin aux missions de suivi des actions de nature idéologique imparties à la " cellule Déméter " et, d'autre part, de renvoyer cette demande, dans cette mesure, au Conseil d'Etat.
Sur la requête n° 22PA01514 à fin de sursis à exécution :
8. Le présent arrêt se prononçant au fond sur l'appel du ministre de l'intérieur et des outre-mer, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête à fin de sursis à exécution.
Sur les frais du litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l'association L214 demande sur ce fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 22PA01514.
Article 2 : Les interventions des associations Pollinis France et Générations futures dans l'instance n° 22PA01415 sont admises.
Article 3 : Les articles 1 à 3 du jugement n° 2006530-2018140 du 1er février 2022 du tribunal administratif de Paris sont annulés en tant qu'ils portent sur le refus de mettre fin aux missions de suivi des actions de nature idéologique imparties à la " cellule Déméter ".
Article 4 : Les conclusions de la demande n° 2018140 tendant à l'annulation du refus du ministre de mettre fin aux missions de suivi des actions de nature idéologique imparties à la " cellule Déméter " sont transmises au Conseil d'Etat.
Article 5 : Les conclusions de l'association L214 présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à l'association L214, à l'association Pollinis France et à l'association Générations futures.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Briançon, présidente,
M. Pascal Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 septembre 2023.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
C. BRIANÇON
La greffière,
O. BADOUX-GRARE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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