CAA de NANTES, 5ème chambre, 26/09/2023, 22NT03685, Inédit au recueil Lebon
CAA de NANTES, 5ème chambre, 26/09/2023, 22NT03685, Inédit au recueil Lebon
CAA de NANTES - 5ème chambre
- N° 22NT03685
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
mardi
26 septembre 2023
- Président
- M. FRANCFORT
- Rapporteur
- M. Christian RIVAS
- Avocat(s)
- CABINET POLLONO
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... G... D..., M. F... C... D... et Mme H... B... G... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 16 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision implicite de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à M. C... D... et à Mme B... G... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2207413 du 24 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 octobre 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par les consorts G... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient qu'eu égard aux dispositions des articles L. 561-2 et R. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile il ne pouvait être fait droit aux demandes de visa présentées par les enfants de M. G... D..., majeurs à la date de dépôt de ces demandes le 18 novembre 2019 ; si l'intéressé a effectué des démarches en vue d'une réunification familiale en 2005, en 2010 et en 2013 aucune demande de visa n'a été déposée par les intéressés à ces périodes ; il n'est pas établi que les problèmes de santé de M. G... D... auraient empêché ses enfants de déposer des demandes de visa ; il n'est pas établi que les deux demandeurs de visa seraient à la charge exclusive de leur père où qu'ils vivraient depuis leur majorité avec leur mère où leur fratrie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2023, M. E... G... D..., M. F... C... D... et Mme H... B... G..., représentés par Me Pollono, concluent au rejet de la requête, subsidiairement à l'annulation de la décision du 16 mars 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France avec injonction au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir avec une astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai et à défaut de réexaminer ces demandes dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, et en tout état de cause de mettre à la charge de l'Etat au bénéfice de leur conseil une somme de 1 800 euros HT au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés ;
- la décision de la commission est intervenue en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors que les demandeurs de visa n'ont jamais été séparés de leur mère et de leur fratrie et sont à la charge intégrale de leur père ;
- la décision est insuffisamment motivée faute de mentionner un examen au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme H... B... G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive (CE) 2003/86 du Conseil du 22 septembre 2003 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas,
- les conclusions de M. Frank, rapporteur public,
- et les observations de Me Pavy substituant Me Pollono, représentant les consorts G... D....
Une note en délibéré, présentée pour les consorts G... D..., a été enregistrée le 8 septembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. M. G... D..., ressortissant congolais (République démocratique du Congo) né le 25 juillet 1962, s'est vu reconnaître en France la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 16 septembre 2005. Des demandes de visa de long séjour au titre de la réunification familiale ont été déposées le 18 novembre 2019, notamment pour ses enfants M. C... D... et Mme B... G..., nés respectivement les 22 septembre 1996 et 1er octobre 1999. Ces demandes ont été rejetées par une décision implicite de l'autorité consulaire française à Kinshasa. Le recours formé contre cette décision de refus devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 16 mars 2022. Par un jugement du 24 octobre 2022, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. Par une décision du 11 janvier 2023 le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article R. 561-1 de ce code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire mentionnée à l'article L. 561-5. (...) ".
3. La décision de refus de visa opposée par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aux demandes de visa déposées par M. C... D... et Mme B... G..., nés respectivement les 22 septembre 1996 et 1er octobre 1999, au titre de la réunification familiale est motivée par le fait que les intéressés étaient âgés de plus de 19 ans à la date où ils ont déposé leurs demandes de visas.
4. Selon l'article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial : " Les États membres autorisent l'entrée et le séjour, conformément à la présente directive (...) des membres de la famille suivants : / (...) c) les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du regroupant, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord (...) ". Lues conjointement avec celles des articles 7 et 12 de la même directive, ces dispositions ont pour objet de permettre à un réfugié d'être rejoint, au titre du regroupement familial, par ses enfants mineurs sans que le bénéfice de ce droit ne soit soumis aux conditions de ressources et de logement qui s'appliquent au titre du regroupement familial de droit commun des étrangers.
5. Dans son arrêt du 16 juillet 2020, État belge (Regroupement familial - Enfant mineur), (A... 133/19, C 136/19 et C 137/19), la Cour de justice de l'Union européenne a relevé que, pour la mise en œuvre du droit au regroupement familial à l'égard des enfants du réfugié, s'il est laissé à la discrétion des États membres le soin de déterminer l'âge de la majorité légale, aucune marge de manœuvre ne saurait en revanche leur être accordée quant à la fixation du moment auquel il convient de se référer pour apprécier cet âge. Elle a également précisé que cette fixation doit permettre d'assurer que l'intérêt de l'enfant demeure, en toutes circonstances, une considération primordiale pour les États membres et de garantir, conformément aux principes d'égalité de traitement et de sécurité juridique, un traitement identique et prévisible à tous les demandeurs se trouvant chronologiquement dans la même situation sans faire dépendre le succès de la demande de regroupement familial principalement de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions nationales, en particulier de la plus ou moins grande célérité avec laquelle la demande est traitée ou il est statué sur un recours dirigé contre une décision de rejet d'une telle demande, et non pas de circonstances imputables au demandeur. En conséquence, elle a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, doit être interprété en ce sens que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride non marié est un enfant mineur, au sens de cette disposition, est celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins du regroupement familial pour enfants mineurs, et non celle à laquelle il est statué sur cette demande par les autorités compétentes de cet État membre, le cas échéant après un recours dirigé contre une décision de rejet d'une telle demande.
6. En outre, par un arrêt du 1er aout 2022, Bundesrepublik Deutschland (Regroupement familial d'un enfant devenu majeur), (C-279/20), la Cour de justice de l'Union européenne, saisie par la juridiction de renvoi d'une question trouvant son origine " dans les circonstances particulières de l'affaire au principal ", dans laquelle l'enfant concerné par la demande de regroupement familial était mineur lorsque son père avait présenté sa demande d'asile mais était devenu majeur avant que celui-ci ait obtenu le statut de réfugié et alors que la demande d'asile avait été initialement rejetée par les autorités compétentes, a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, doit être interprété en ce sens que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si l'enfant d'un regroupant ayant obtenu le statut de réfugié est un enfant mineur, au sens de cette disposition, dans une situation où cet enfant est devenu majeur avant l'octroi du statut de réfugié au parent regroupant et avant l'introduction de la demande de regroupement familial, est celle à laquelle le parent regroupant a présenté sa demande d'asile en vue d'obtenir le statut de réfugié. Elle a également dit pour droit que ce principe s'appliquait à condition qu'une demande de regroupement familial ait été introduite dans les trois mois suivant la reconnaissance du statut de réfugié au parent regroupant.
7. Il résulte ainsi du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive 2003/86/CE, tel qu'interprété par les arrêts précités de la Cour de justice de l'Union européenne des 16 juillet 2020 et 1er août 2022, que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si l'enfant doit être regardé comme mineur au sens de cette disposition est en principe celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins de regroupement familial pour rejoindre le parent réfugié. Il en va toutefois autrement lorsqu'il en découlerait que le succès de la demande de regroupement familial serait susceptible de dépendre principalement de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions nationales.
8. Il résulte des dispositions citées au point 2 que l'âge de l'enfant pour lequel il est demandé qu'il puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être apprécié à la date de la demande de réunification familiale, c'est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans qu'aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne peut être regardée comme effective qu'après son enregistrement par l'autorité consulaire, qui peut intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard.
9. Il est constant en l'espèce que les demandes de visa présentées par M. C... D... et Mme B... G... l'ont été pour la première fois le 18 novembre 2019, soit à une date à laquelle les intéressés avaient dépassé leur dix-neuvième anniversaire. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que cette circonstance résulterait de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions françaises. Par suite, c'est à bon droit que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a opposé à ces demandes le fait que les intéressés étaient âgés de plus de 19 ans à la date où ils ont déposé leurs demandes de visas.
10. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler la décision contestée, sur ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. Il appartient toutefois à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens soulevés par les consorts G... D..., tant devant le tribunal administratif de Nantes que la cour.
12. En premier lieu, s'il est soutenu que la décision du 16 mars 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France serait insuffisamment motivée, il ressort des termes mêmes de cette décision qu'elle mentionne les dispositions dont elle fait application, notamment l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et énonce clairement le motif factuel motivant son refus. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation en fait ou en droit doit être écarté.
13. En second lieu, M. C... D... et Mme B... G... soutiennent qu'ils n'ont jamais été séparés de leur mère et de leur fratrie et sont à la charge intégrale de leur père. Cependant aucune des pièces au dossier n'établit une telle situation alors même que M. G... D... établit avoir conservé des liens par messagerie électronique avec ses deux enfants ainés et qu'il leur a envoyé de l'argent à compter de 2019. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande des consorts G... D..., la décision du 16 mars 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a fait injonction au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités.
Sur les frais d'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que les consorts G... D... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2207413 du tribunal administratif de Nantes du 24 octobre 2022 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... G... D..., M. F... C... D... et Mme H... B... G... devant le tribunal administratif de Nantes ainsi que leurs conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Nantes sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. E... G... D..., à M. F... C... D... et à Mme H... B... G....
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2023.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22NT03685
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... G... D..., M. F... C... D... et Mme H... B... G... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 16 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision implicite de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à M. C... D... et à Mme B... G... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2207413 du 24 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 octobre 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par les consorts G... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient qu'eu égard aux dispositions des articles L. 561-2 et R. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile il ne pouvait être fait droit aux demandes de visa présentées par les enfants de M. G... D..., majeurs à la date de dépôt de ces demandes le 18 novembre 2019 ; si l'intéressé a effectué des démarches en vue d'une réunification familiale en 2005, en 2010 et en 2013 aucune demande de visa n'a été déposée par les intéressés à ces périodes ; il n'est pas établi que les problèmes de santé de M. G... D... auraient empêché ses enfants de déposer des demandes de visa ; il n'est pas établi que les deux demandeurs de visa seraient à la charge exclusive de leur père où qu'ils vivraient depuis leur majorité avec leur mère où leur fratrie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2023, M. E... G... D..., M. F... C... D... et Mme H... B... G..., représentés par Me Pollono, concluent au rejet de la requête, subsidiairement à l'annulation de la décision du 16 mars 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France avec injonction au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir avec une astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai et à défaut de réexaminer ces demandes dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, et en tout état de cause de mettre à la charge de l'Etat au bénéfice de leur conseil une somme de 1 800 euros HT au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés ;
- la décision de la commission est intervenue en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors que les demandeurs de visa n'ont jamais été séparés de leur mère et de leur fratrie et sont à la charge intégrale de leur père ;
- la décision est insuffisamment motivée faute de mentionner un examen au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme H... B... G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive (CE) 2003/86 du Conseil du 22 septembre 2003 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas,
- les conclusions de M. Frank, rapporteur public,
- et les observations de Me Pavy substituant Me Pollono, représentant les consorts G... D....
Une note en délibéré, présentée pour les consorts G... D..., a été enregistrée le 8 septembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. M. G... D..., ressortissant congolais (République démocratique du Congo) né le 25 juillet 1962, s'est vu reconnaître en France la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 16 septembre 2005. Des demandes de visa de long séjour au titre de la réunification familiale ont été déposées le 18 novembre 2019, notamment pour ses enfants M. C... D... et Mme B... G..., nés respectivement les 22 septembre 1996 et 1er octobre 1999. Ces demandes ont été rejetées par une décision implicite de l'autorité consulaire française à Kinshasa. Le recours formé contre cette décision de refus devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 16 mars 2022. Par un jugement du 24 octobre 2022, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. Par une décision du 11 janvier 2023 le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article R. 561-1 de ce code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire mentionnée à l'article L. 561-5. (...) ".
3. La décision de refus de visa opposée par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aux demandes de visa déposées par M. C... D... et Mme B... G..., nés respectivement les 22 septembre 1996 et 1er octobre 1999, au titre de la réunification familiale est motivée par le fait que les intéressés étaient âgés de plus de 19 ans à la date où ils ont déposé leurs demandes de visas.
4. Selon l'article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial : " Les États membres autorisent l'entrée et le séjour, conformément à la présente directive (...) des membres de la famille suivants : / (...) c) les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du regroupant, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord (...) ". Lues conjointement avec celles des articles 7 et 12 de la même directive, ces dispositions ont pour objet de permettre à un réfugié d'être rejoint, au titre du regroupement familial, par ses enfants mineurs sans que le bénéfice de ce droit ne soit soumis aux conditions de ressources et de logement qui s'appliquent au titre du regroupement familial de droit commun des étrangers.
5. Dans son arrêt du 16 juillet 2020, État belge (Regroupement familial - Enfant mineur), (A... 133/19, C 136/19 et C 137/19), la Cour de justice de l'Union européenne a relevé que, pour la mise en œuvre du droit au regroupement familial à l'égard des enfants du réfugié, s'il est laissé à la discrétion des États membres le soin de déterminer l'âge de la majorité légale, aucune marge de manœuvre ne saurait en revanche leur être accordée quant à la fixation du moment auquel il convient de se référer pour apprécier cet âge. Elle a également précisé que cette fixation doit permettre d'assurer que l'intérêt de l'enfant demeure, en toutes circonstances, une considération primordiale pour les États membres et de garantir, conformément aux principes d'égalité de traitement et de sécurité juridique, un traitement identique et prévisible à tous les demandeurs se trouvant chronologiquement dans la même situation sans faire dépendre le succès de la demande de regroupement familial principalement de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions nationales, en particulier de la plus ou moins grande célérité avec laquelle la demande est traitée ou il est statué sur un recours dirigé contre une décision de rejet d'une telle demande, et non pas de circonstances imputables au demandeur. En conséquence, elle a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, doit être interprété en ce sens que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride non marié est un enfant mineur, au sens de cette disposition, est celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins du regroupement familial pour enfants mineurs, et non celle à laquelle il est statué sur cette demande par les autorités compétentes de cet État membre, le cas échéant après un recours dirigé contre une décision de rejet d'une telle demande.
6. En outre, par un arrêt du 1er aout 2022, Bundesrepublik Deutschland (Regroupement familial d'un enfant devenu majeur), (C-279/20), la Cour de justice de l'Union européenne, saisie par la juridiction de renvoi d'une question trouvant son origine " dans les circonstances particulières de l'affaire au principal ", dans laquelle l'enfant concerné par la demande de regroupement familial était mineur lorsque son père avait présenté sa demande d'asile mais était devenu majeur avant que celui-ci ait obtenu le statut de réfugié et alors que la demande d'asile avait été initialement rejetée par les autorités compétentes, a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, doit être interprété en ce sens que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si l'enfant d'un regroupant ayant obtenu le statut de réfugié est un enfant mineur, au sens de cette disposition, dans une situation où cet enfant est devenu majeur avant l'octroi du statut de réfugié au parent regroupant et avant l'introduction de la demande de regroupement familial, est celle à laquelle le parent regroupant a présenté sa demande d'asile en vue d'obtenir le statut de réfugié. Elle a également dit pour droit que ce principe s'appliquait à condition qu'une demande de regroupement familial ait été introduite dans les trois mois suivant la reconnaissance du statut de réfugié au parent regroupant.
7. Il résulte ainsi du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive 2003/86/CE, tel qu'interprété par les arrêts précités de la Cour de justice de l'Union européenne des 16 juillet 2020 et 1er août 2022, que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si l'enfant doit être regardé comme mineur au sens de cette disposition est en principe celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins de regroupement familial pour rejoindre le parent réfugié. Il en va toutefois autrement lorsqu'il en découlerait que le succès de la demande de regroupement familial serait susceptible de dépendre principalement de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions nationales.
8. Il résulte des dispositions citées au point 2 que l'âge de l'enfant pour lequel il est demandé qu'il puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être apprécié à la date de la demande de réunification familiale, c'est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans qu'aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne peut être regardée comme effective qu'après son enregistrement par l'autorité consulaire, qui peut intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard.
9. Il est constant en l'espèce que les demandes de visa présentées par M. C... D... et Mme B... G... l'ont été pour la première fois le 18 novembre 2019, soit à une date à laquelle les intéressés avaient dépassé leur dix-neuvième anniversaire. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que cette circonstance résulterait de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions françaises. Par suite, c'est à bon droit que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a opposé à ces demandes le fait que les intéressés étaient âgés de plus de 19 ans à la date où ils ont déposé leurs demandes de visas.
10. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler la décision contestée, sur ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. Il appartient toutefois à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens soulevés par les consorts G... D..., tant devant le tribunal administratif de Nantes que la cour.
12. En premier lieu, s'il est soutenu que la décision du 16 mars 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France serait insuffisamment motivée, il ressort des termes mêmes de cette décision qu'elle mentionne les dispositions dont elle fait application, notamment l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et énonce clairement le motif factuel motivant son refus. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation en fait ou en droit doit être écarté.
13. En second lieu, M. C... D... et Mme B... G... soutiennent qu'ils n'ont jamais été séparés de leur mère et de leur fratrie et sont à la charge intégrale de leur père. Cependant aucune des pièces au dossier n'établit une telle situation alors même que M. G... D... établit avoir conservé des liens par messagerie électronique avec ses deux enfants ainés et qu'il leur a envoyé de l'argent à compter de 2019. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande des consorts G... D..., la décision du 16 mars 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a fait injonction au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités.
Sur les frais d'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que les consorts G... D... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2207413 du tribunal administratif de Nantes du 24 octobre 2022 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... G... D..., M. F... C... D... et Mme H... B... G... devant le tribunal administratif de Nantes ainsi que leurs conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Nantes sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. E... G... D..., à M. F... C... D... et à Mme H... B... G....
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2023.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT03685