CAA de NANCY, 4ème chambre, 18/07/2023, 21NC01474, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Façade du Rhin a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision par laquelle la communauté de communes du Pays Rhénan a résilié à ses frais et risques le marché concernant l'opération de restructuration de la piscine intercommunale du Pays Rhénan à Drusenheim, d'ordonner la reprise des relations contractuelles et de condamner la communauté de communes du Pays Rhénan à lui verser les sommes de 37 969,99 euros au titre de l'acompte mensuel n° 3 non payé et de 41 386,20 euros en réparation des préjudices subis du fait de cette résiliation, outre intérêts et capitalisation.

La communauté de communes du Pays Rhénan a demandé, à titre reconventionnel, au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la société Façade du Rhin à lui verser une somme de 41 865,95 euros au titre du solde du décompte de résiliation.

Par un jugement n° 1908416 du 28 avril 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a estimé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles, a condamné la société Façade du Rhin à verser la somme de 41 895,95 euros à la communauté de communes du Pays Rhénan et a rejeté le surplus des conclusions des parties.


Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 mai 2021, la société Façade du Rhin, représentée par Me Schmitt, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner la communauté de communes du Pays Rhénan à lui verser la somme de 37 969,99 euros TTC au titre de l'acompte mensuel n° 3 non payé, assortie des intérêts au taux légal de 8 % à compter du 22 septembre 2019, capitalisés à compter du 22 septembre 2020, outre 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement ;

3°) de condamner la communauté de communes du Pays Rhénan à lui verser la somme de 36 386,20 euros, subsidiairement 8 626,62 euros, au titre du manque à gagner sur la partie résiliée du marché, ainsi que la somme de 5 000 euros, assorties des intérêts au taux légal de 8 % à compter du 24 octobre 2019, capitalisés à compter du 25 octobre 2020 ;

4°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Pays Rhénan le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que la minute du jugement n'a pas été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que ses conclusions indemnitaires étaient irrecevables ; le décompte de résiliation établi le 4 septembre 2019, avant le règlement des marchés de substitution, sur la base de simples devis, était seulement provisoire ; ce décompte provisoire n'était pas soumis à l'obligation pour l'entrepreneur d'adresser un mémoire en réclamation au maître de l'ouvrage dans un délai de 30 jours ; les dispositions du CCAG travaux s'imposaient aux parties ; c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le courrier adressés le 24 octobre 2019 à la communauté de communes constituait un mémoire en réclamation, alors qu'il s'agissait d'une réclamation indemnitaire préalable ;
- la procédure de résiliation aux frais et risques est irrégulière ; la mise en demeure du 8 août 2019 est irrégulière, faute de mentionner précisément les manquements constatés et d'exposer explicitement le risque de résiliation du marché ; cette mise en demeure était caduque et ne pouvait fonder la résiliation, dès lors que le maître d'ouvrage a laissé les rapports contractuels se maintenir au-delà du terme qu'il avait fixé ; la résiliation aux frais et risques de l'entreprise a été prononcée en l'absence de constatation contradictoire et sans l'avis préalable de la maîtrise d'œuvre ; le constat contradictoire valant réception prévu aux articles 47 et 48 du CCAG travaux n'a pas été réalisé ; les marchés de substitution ne lui ont pas été notifiés ;
- la résiliation n'était pas justifiée ; elle a procédé, jusqu'au 10 septembre 2019 et notamment les 3 et 4 septembre, à la finalisation des travaux, qui ont suscité des réserves mineures en fin de chantier, postérieurement au constat d'huissier ; les constatations sont sommaires et effectuées d'une manière non conforme par rapport aux prescriptions du DTU ayant valeur contractuelle ; les retards ne lui sont pas imputables, le planning EXE édité le 10 janvier 2019 n'avait pas été actualisé, le calendrier d'exécution actualisé au 14 avril 2019 n'est pas produit ; la résiliation est infondée et à tout le moins disproportionnée ;
- elle a droit au paiement de l'acompte mensuel n° 3, partiellement validé par la maîtrise d'ouvrage pour un montant de 37 969,99 euros TTC, outre les intérêts au taux légal de 8 % ainsi qu'au versement de l'indemnité forfaitaire de 40 ans prévue par l'article 10 de la loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 ;
- elle a droit à 5 000 euros au titre du préjudice financier lié aux heures supplémentaires réalisées en raison du retard de chantier imputable au maître d'ouvrage, ou subsidiairement de son préjudice moral ;
- les demandes financières de la communauté de communes du Pays Rhénan dirigées à son encontre quant au paiement des marchés de substitution et de constat d'huissier ne sauraient prospérer, dès lors que les conséquences de la mesure de résiliation ne sauraient être mises à sa charge, compte tenu de l'irrégularité de la résiliation ;
- le maître d'ouvrage avait renoncé à lui infliger des pénalités de retard, au regard des reports qui avaient été accordés ; les pénalités ne sont pas justifiées quant au nombre de jour retenu, à la base de calcul ou à la nature des manquements reprochés ; le retard ne lui est pas imputable, ainsi qu'il a été indiqué précédemment ; les conclusions du maître d'ouvrage à cet égard sont irrecevables, dès lors que ces pénalités n'ont pas été appliquées sur les projets de décompte mensuel ; il y aurait lieu à tout le moins de modérer les pénalités, qui représentent 33 % du montant hors taxe du marché.


Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2021, la communauté de communes du Pays Rhénan, représentée par Me Keller, conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la mise à la charge de la société requérante d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le décompte de résiliation était devenu définitif ;
- les conclusions tendant aux reprises des relations contractuelles, qui avaient perdu leur objet, doivent être regardées comme ayant été abandonnées ;
- aucun des moyens contestant la régularité ou le bien-fondé de la résiliation n'est fondé ;
- la demande de paiement présentée le 21 août 2019 était prématurée et irrecevable car l'ensemble des prestations dont la société requérante avait la charge n'avait pas été entièrement exécuté ; aucune demande de paiement ne pouvait intervenir tant que le règlement définitif des marchés de substitution passés pour l'achèvement des travaux n'était pas intervenu ; la requérante, qui a abandonné une partie de ses prétentions à cet égard, ne produit pas de justificatifs probants quant à sa perte de marge nette ; il n'est pas justifié de la réalité des heures supplémentaires réalisées, le surcoût allégué n'étant en toute hypothèse pas imputable à un manque de coordination du chantier ; le préjudice moral et relatif à une atteinte à l'image de l'entreprise n'est pas justifié et ne saurait être indemnisé compte tenu du caractère régulier et justifié de la résiliation ;
- la société requérante n'est pas fondée à remettre en cause la somme de 41 865,95 euros retenue au titre du solde du marché résilié ; les pénalités de retard sont justifiées et dues du seul fait du constat du retard, le maître d'ouvrage n'avait pas renoncé à leur application il n'a pas été accordé de délai supplémentaire à la société Façade du Rhin ; la demande de modulation des pénalités n'est pas assortie des précisions suffisantes et les pénalités ne sont pas excessives au regard du retard cumulé constaté ; les frais d'huissier sont justifiés par les manquements de la société requérante et la résiliation du marché qui en a résulté.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009, dans sa version résultant de l'arrêté du 3 mars 2014, portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Samson-Dye, présidente-rapporteure,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me Hassan, pour la communauté de communes du Pays Rhénan.


Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de l'opération de restructuration de la piscine intercommunale du Pays Rhénan à Drusenheim, la communauté de communes du Pays Rhénan a, selon un acte d'engagement du 16 janvier 2018, confié à la société Façade du Rhin la réalisation du lot n° 15 " revêtement façade - peinture - nettoyage ". Après avoir mis en demeure la société Façade du Rhin d'exécuter toutes les prestations prévues au contrat selon les exigences qualitatives requises pour le 26 août 2019, la communauté de communes du Pays Rhénan a prononcé la résiliation du marché aux frais et risques de l'entreprise, par une décision du 4 septembre 2019, notifiée le 19, à laquelle était jointe le décompte de résiliation, mettant notamment à sa charge le coût des travaux réalisés par d'autres prestataires. La société Façade du Rhin a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision de résiliation, d'ordonner la reprise des relations contractuelles et de condamner la communauté de communes du Pays Rhénan à lui verser les sommes de 37 969,99 euros au titre de l'acompte mensuel n° 3 non payé et de 41 386,20 euros en réparation des préjudices subis du fait de cette résiliation, outre intérêts et capitalisation. La communauté de communes a présenté des conclusions reconventionnelles, tendant à la condamnation de la société Façade du Rhin à lui verser la somme de 41 865,95 euros, correspondant au solde du décompte de résiliation. Le tribunal a estimé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles, a condamné la société Façade du Rhin à verser la somme de 41 895,95 euros à la communauté de communes du Pays Rhénan et a rejeté le surplus des conclusions des parties. La société Façade du Rhin doit être regardée comme relevant appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires et qu'il l'a condamnée à verser une somme au maître d'ouvrage.



Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué a été signée par le président de la formation de jugement, la rapporteure et la greffière d'audience, de sorte que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point précédent manque en fait. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée à la société requérante ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.

Sur le caractère définitif du décompte :

4. Aux termes de l'article 47.2.3 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux (CCAG Travaux), dans sa rédaction approuvée par l'arrêté du 8 septembre 2009, auquel renvoie le contrat en cause : " (...) lorsque le marché est résilié aux frais et risques du titulaire, le décompte de liquidation du marché résilié ne sera notifié au titulaire qu'après règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux. Dans ce cas, il peut être procédé à une liquidation provisoire du marché, dans le respect de la règlementation en vigueur ". Ces stipulations ne font pas, par elles-mêmes, obstacle à ce que le décompte général d'un marché résilié aux frais et risques de son titulaire puisse acquérir un caractère définitif, alors même que le règlement définitif du nouveau marché passé avec un autre entrepreneur pour l'achèvement des travaux n'est pas intervenu, dès lors qu'il appartient à l'entrepreneur, dans les conditions et délais prévus par les stipulations de l'article 13.4.3 du CCAG Travaux, de faire valoir les motifs de son refus ou de ses réserves dans un mémoire en réclamation.

5. La société Façade du Rhin n'est donc pas fondée à soutenir que le décompte qui lui a été notifié le 19 septembre 2019 ne pouvait être devenu définitif au motif qu'il a été édité avant le règlement définitif des nouveaux marchés conclus pour l'achèvement des travaux. Dès lors que son mémoire en réclamation a été présenté après l'expiration du délai qui lui était imparti par les stipulations pertinentes du CCAG Travaux, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu que ses conclusions indemnitaires étaient irrecevables en raison du caractère définitif du décompte de résiliation. Elle n'est pas non plus fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamnée à verser une somme au maître d'ouvrage sur le fondement de ce décompte définitif.

Sur les frais liés à l'instance :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la communauté de communes du Pays Rhénan qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la société Façade du Rhin la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la communauté de communes du Pays Rhénan.


D E C I D E :


Article 1er : La requête de la société Façade du Rhin est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la communauté de communes du Pays Rhénan au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Façade du Rhin et à la communauté de communes du Pays Rhénan.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- M. Denizot, premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2023.


La présidente-rapporteure,




Signé : A. Samson-Dye
L'assesseure la plus ancienne,
Signé : S. Roussaux La greffière,




Signé : M. A...
La République mande et ordonne au préfet de la Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M. A...
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N° 21NC01474



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