Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 13/07/2023, 455810, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 mai et 22 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Compagnie Gervais Danone demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt n° 19VE03151 du 22 juin 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a remis à sa charge la retenue à la source à laquelle elle avait été assujettie sur les bénéfices réputés distribués à la société Danone Tikvesli au titre de l'année 2011, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts, notamment le 2 de son article 119 bis dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Compagnie Gervais Danone ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 22 de la loi du 30 décembre 2009 portant loi de finances rectificative pour 2009, dispose que les revenus distribués par les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés " donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France ou lorsqu'ils sont payés hors de France dans un Etat ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A. Un décret fixe les modalités et conditions d'application de cette disposition ".

3. Les dispositions, citées au point 2, de l'article 119 bis du code général des impôts sont applicables au présent litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Soulève une question présentant un caractère sérieux le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce que, d'une part, dès l'origine, elles ont instauré une différence de traitement injustifiée entre les sociétés déficitaires percevant des revenus de source française selon qu'elles sont établies en France ou à l'étranger, dès lors que les premières ne sont pas imposées en France au titre des revenus qu'elles perçoivent au cours de l'exercice concerné, et d'autre part, depuis leur mise en conformité par le juge de l'impôt avec le droit de l'Union européenne, elles instaurent une discrimination au détriment des seules sociétés déficitaires percevant des revenus distribués de source française qui sont établies en dehors de l'Union européenne lorsque les participations de la société distributrice ont le caractère d'un investissement direct, en vertu de la clause de gel prévue par l'article 64 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

4. Il y a dès lors lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.



D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2009 est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de la société Compagnie Gervais Danone jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Compagnie Gervais Danone et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 juillet 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et Mme Christelle Thomas, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 13 juillet 2023

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :
Signé : Mme Christelle Thomas

La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


ECLI:FR:CECHR:2023:455810.20230713
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