Conseil d'État, 7ème chambre, 06/07/2023, 465511, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 4 juillet 2022 et les 10 et 27 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... et M. B... C... demandent au Conseil d'Etat, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à faire cesser les pratiques de traitement des réclamations par les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) et abroger la circulaire de la Caisse nationale d'assurance vieillesse n° 104-88 du 31 août 1988 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à ce que soit pris un décret permettant l'application du principe de parité entre les maîtres de l'enseignement public et les maîtres de l'enseignement privé sous contrat d'association avec l'Etat en matière de pension de réversion ;

3°) d'annuler pour excès de pouvoir les circulaires de la Caisse nationale d'assurance vieillesse n° 104-88 du 31 août 1988 et n° 2021-19 du 1er juin 2021 en tant qu'elles mettent en place et pérennisent une procédure " précontentieuse " ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au Premier ministre de prendre toutes dispositions adéquates de façon à faire cesser les pratiques de traitement des réclamations par les CARSAT qui résultent, notamment, des instructions contenues dans les circulaires du 31 août 1988, du 27 novembre 2019 et du 1er juin 2021, et d'abroger dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, lesdites circulaires ou, à titre plus subsidiaire, d'enjoindre au directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse d'abroger ces circulaires ;

5°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre, par voie réglementaire, les dispositions qu'impose l'application du principe de parité énoncé par l'article L. 914-1 du code de l'éducation et la loi n° 77-1285 du 25 novembre 1977 en matière de pension de réversion au bénéfice du conjoint survivant d'un maître de l'enseignement privé sous contrat d'association avec l'Etat ou, à titre subsidiaire, de présenter en conseil des ministres et de déposer au Parlement un projet de loi poursuivant les mêmes fins ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son préambule et ses articles 3 et 61-1 ;
- le code de l'éducation ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er juillet 2023, présentée par MM. Marc-Antoine ;



Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., retraité des industries électriques et gazières depuis le 1er décembre 1988, a sollicité de la caisse d'assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) du Languedoc-Roussillon, l'ouverture de droits au versement d'une pension de réversion à la suite du décès, le 11 novembre 2009, de son épouse, professeure certifiée retraitée de l'enseignement privé sous contrat d'association avec l'Etat. Après que la CARSAT a refusé de faire droit à sa demande, son fils, M. B... C..., agissant en qualité de représentant légal de son père et en son nom propre, a demandé au Premier ministre, par lettre reçue par ses services le 4 mai 2021, d'une part, de prendre les mesures visant à mettre en œuvre le principe de parité entre les enseignants titulaires de l'enseignement public et les maîtres contractuels des établissements d'enseignement privé sous contrat d'association avec l'Etat en matière de pension de réversion et, d'autre part, de mettre fin aux pratiques des CARSAT, sur instruction de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), en matière de traitement des réclamations et d'abroger la circulaire de la CNAV n°104-88 du 31 août 1988 ayant généralisé le dispositif de traitement des réclamations des assurés en instituant une " procédure précontentieuse ". M. A... C... et M. B... C... demandent l'annulation du refus implicitement opposé à leurs demandes ainsi que de la circulaire de la CNAV du 31 août 1988 et de celles des 27 novembre 2019 et du 1er juin 2021 l'ayant réitérée, en tant qu'elles instituent une " procédure précontentieuse ", et à ce qu'il soit enjoint au Premier ministre et au directeur de la CNAV de faire droit à leurs demandes.

Sur les conclusions des requérants tendant à l'annulation des circulaires de la CNAV en tant qu'elles instituent une " procédure précontentieuse " et du refus de les abroger :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 142-4 du code de la sécurité sociale : " Les recours contentieux formés dans les matières mentionnées aux articles L. 142-1, à l'exception du 7°, et L. 142-3 sont précédés d'un recours préalable, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 142-1 A du même code : " I.- Sous réserve des dispositions particulières prévues par la section 2 du présent chapitre et des autres dispositions législatives ou réglementaires applicables, la motivation des décisions prises par les autorités administratives et les organismes de sécurité sociale ainsi que les recours préalables mentionnés aux articles à l'article L. 142-4 du présent code, sont régis par les dispositions du code des relations du public avec l'administration. Ces décisions sont notifiées aux intéressées par tout moyen conférant date certaine à la notification. / (...) / III. - S'il n'en est disposé autrement, le délai de recours préalable et le délai de recours contentieux sont de deux mois à compter de la notification de la décision contestée. Ces délais ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision contestée ou, en cas de décision implicite, dans l'accusé de réception de la demande ". Aux termes de son article R. 142-1 : " Les réclamations relevant de l'article L. 142-4 formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil, du conseil d'administration ou de l'instance régionale de chaque organisme. / Cette commission doit être saisie dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision contre laquelle les intéressés entendent former une réclamation ". Aux termes de son article R. 142-6 : " Lorsque la décision du conseil, du conseil d'administration ou de l'instance régionale ou de la commission n'a pas été portée à la connaissance du requérant dans le délai de deux mois, l'intéressé peut considérer sa demande comme rejetée. / Le délai de deux mois prévu à l'alinéa précédent court à compter de la réception de la réclamation par l'organisme de sécurité sociale. Toutefois, si des documents sont produits par le réclamant après le dépôt de la réclamation, le délai ne court qu'à dater de la réception de ces documents. Si le comité des abus de droit a été saisi d'une demande relative au même litige que celui qui a donné lieu à la réclamation, le délai ne court qu'à dater de la réception de l'avis du comité par l'organisme de recouvrement ".

3. Aux termes de l'article L. 100-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Au sens du présent code et sauf disposition contraire de celui-ci, on entend par : / 1° Administration : (...) les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d'une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ; (...) ". Aux termes de l'article L. 412-2 de ce code : " Les recours administratifs préalables obligatoires sont régis par les règles énoncées au chapitre Ier, sous réserve des dispositions qui suivent ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 412-3 du même code : " La décision soumise à recours administratif préalable obligatoire est notifiée avec l'indication de cette obligation ainsi que des voies et délais selon lesquels ce recours peut être exercé ". Aux termes de l'article L. 411-3 du même code : " Les articles L. 112-3 et L. 112-6 relatifs à la délivrance des accusés de réception sont applicables au recours administratif adressé à une administration par le destinataire d'une décision ". Aux termes du premier alinéa de son article L. 112-3 : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception " et du premier alinéa de son article L. 112-6 : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation ".

4. Il ressort des pièces du dossier que la circulaire n° 104-88 du 31 août 1988 du directeur de la CNAV, à laquelle renvoie la circulaire n° 2021-19 du 1er juin 2021 ayant abrogé celle du 27 novembre 2019, aménage une procédure dite " pré-contentieuse " prévoyant qu'une fois la commission de recours amiable saisie par l'assuré d'un recours administratif préalable obligatoire en application des dispositions des articles L. 142-4 et R. 142-1 du code de la sécurité sociale, le service de la caisse qui a notifié la décision contestée donne par écrit à l'assuré toute explication utile à la bonne compréhension de cette décision au moyen d'une lettre lui indiquant que si ces explications ne lui donnent pas satisfaction, sa réclamation initiale sera transmise à la commission de recours amiable.

5. Il ressort des pièces du dossier que cet aménagement de la phase d'instruction des recours administratifs préalables obligatoires formés par les assurés ou leurs ayants droit devant les commissions de recours amiable instituées en application des dispositions mentionnées au point 2, destiné à réduire la charge de travail de ces dernières et à améliorer les relations des caisses avec le public, ne saurait ni dispenser les caisses de respecter les formalités de notification de leurs décisions et d'information de leurs destinataires fixées par les dispositions mentionnées au point 2, ni remettre en cause le délai imparti à la commission de recours amiable pour statuer, fixé par l'article R. 142-6 du code de la sécurité sociale, ou le délai de recours ouvert à l'intéressé, dont il est informé le cas échéant par l'accusé de réception qui lui a été notifié en application des dispositions mentionnées au point 3 auxquelles renvoie l'article R. 142-1 A du code de la sécurité sociale, pour saisir le juge dans l'hypothèse où la commission ne ferait pas droit à son recours préalable. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les circulaires précitées du directeur de la CNAV prévoyant un tel aménagement méconnaîtraient le droit à un recours effectif ou les dispositions du code de la sécurité sociale mentionnées au point 2.

6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions des requérants tendant à l'annulation de la décision rejetant leur demande tendant à faire cesser les pratiques de traitement des réclamations par les CARSAT et à abroger la circulaire de la CNAV du 31 août 1988, ainsi que celles tendant à l'annulation des circulaires de la CNAV des 31 août 1988, 27 novembre 2019 et 1er juin 2021, doivent en tout état de cause être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du refus du Premier ministre de prendre des mesures visant à mettre en œuvre le principe de parité entre les enseignants titulaires de l'enseignement public et les maîtres contractuels des établissements d'enseignement privé sous contrat d'association avec l'Etat en matière de pension de réversion :

7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 914-1 du code de l'éducation : " Les règles générales qui déterminent les conditions de service et de cessation d'activité des maîtres titulaires de l'enseignement public, ainsi que les mesures sociales et les possibilités de formation dont ils bénéficient, sont applicables également et simultanément aux maîtres justifiant du même niveau de qualification, habilités par agrément ou par contrat à exercer leur fonction dans des établissements d'enseignement privés liés à l'Etat par contrat. Ces maîtres bénéficient également des mesures de promotion et d'avancement prises en faveur des maîtres de l'enseignement public ".

8. Aux termes de l'article L. 311-2 du code de la sécurité sociale : " Sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 353-1 du même code : " En cas de décès de l'assuré, son conjoint survivant a droit à une pension de réversion à partir d'un âge et dans des conditions déterminées par décret si ses ressources personnelles ou celles du ménage n'excèdent pas des plafonds fixés par décret ".

9. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Ont droit au bénéfice des dispositions du présent code : / 1° Les fonctionnaires civils auxquels s'appliquent les lois n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, relatives aux titres Ier et II du statut général des fonctionnaires ; / 2° Les magistrats de l'ordre judiciaire ; / 3° Les militaires de tous grades possédant le statut de militaires de carrière ou servant au-delà de la durée légale en vertu d'un contrat et les militaires servant au titre d'un engagement à servir dans la réserve opérationnelle ou au titre de la disponibilité ; / 4° Leurs conjoints survivants et leurs orphelins ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 38 du même code : " Les conjoints d'un fonctionnaire civil ont droit à une pension de réversion égale à 50 % de la pension obtenue par le fonctionnaire ou qu'il aurait pu obtenir au jour de son décès ".

10. Il résulte des dispositions citées aux points 8 et 9 que, contrairement aux enseignants titulaires de l'enseignement public, les maîtres contractuels des établissements d'enseignement privé sous contrat avec l'Etat n'entrent pas dans le champ d'application des dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite et relèvent du régime général d'assurance vieillesse régi par les dispositions du code de la sécurité sociale, et, par conséquent, de celles de son article L. 353-1 subordonnant l'ouverture d'un droit au versement d'une pension de réversion à une condition de ressources. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, les dispositions de l'article L. 914-1 du code de l'éducation mentionnées au point 7 n'ont ni pour objet ni pour effet de supprimer toute différence de traitement dans la gestion de la situation respective de ces deux catégories d'enseignants. Elles ne peuvent dès lors être regardées comme excluant les conjoints survivants des maîtres contractuels du champ d'application des dispositions de l'article L. 353-1 du code de la sécurité sociale. Par suite, ainsi que le fait valoir en défense le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, seule une modification législative permettrait de dispenser les conjoints survivants des maîtres contractuels des établissements d'enseignement privé sous contrat avec l'Etat de la condition de ressources pour l'ouverture d'un droit au versement d'une pension de réversion fixée par ces dispositions.

11. Il résulte de ce qui a été dit au point 10 que le Premier ministre ne pouvait prendre les mesures demandées par voie réglementaire et que, par suite, les requérants doivent être regardés comme contestant son refus de déposer un projet de loi dans les conditions prévues à l'article 39 de la Constitution, lequel présente le caractère d'un acte du pouvoir exécutif concernant ses rapports avec le Parlement, insusceptible de faire l'objet d'un recours contentieux. Dès lors, et sans qu'il soit, en tout état de cause, besoin de statuer sur la demande de renvoi au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par MM. C..., leurs conclusions tendant à l'annulation de la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté leur demande tendant à ce que soient prises les mesures permettant l'application du principe de parité entre les maîtres de l'enseignement public et les maîtres de l'enseignement privé sous contrat d'association avec l'Etat en matière de pension de réversion ne peuvent qu'être rejetées.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par les consorts C... doivent être rejetées, y compris leurs conclusions accessoires à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête des consorts C... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... C..., premier requérant dénommé, au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à la Caisse nationale d'assurance vieillesse.
Copie en sera adressée à la Première ministre.

ECLI:FR:CECHS:2023:465511.20230706
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