Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 05/07/2023, 469947
Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 05/07/2023, 469947
Conseil d'État - 8ème - 3ème chambres réunies
- N° 469947
- ECLI:FR:CECHR:2023:469947.20230705
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
mercredi
05 juillet 2023
- Rapporteur
- Mme Alianore Descours
- Avocat(s)
- SCP RICHARD
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société à responsabilité limitée (SARL) Class J a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1816287 du 7 octobre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20PA03435 du 10 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la société Class J, annulé ce jugement et fait droit à sa demande.
Par un pourvoi, enregistré le 22 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Class J.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alianore Descours, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de la société Class J ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Class J a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au cours de laquelle le vérificateur a écarté sa comptabilité comme non probante et reconstitué son chiffre d'affaires en regardant comme des recettes dissimulées les sommes inscrites au crédit du compte courant d'associé de M. A..., son gérant. L'administration a notifié à la société des propositions de rectification en matière de taxe sur la valeur ajoutée, d'impôt sur les sociétés et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Elle a par ailleurs regardé ces sommes comme distribuées à M. A..., taxables entre ses mains en application des dispositions du c de l'article 111 du code général des impôts. L'administration a, par la suite, abandonné les rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Par un jugement du 7 octobre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 novembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, sur appel de la société, a annulé ce jugement et accueilli la demande de la société.
2. En raison de la séparation existant entre le patrimoine d'une société et celui de son gérant, l'administration ne peut estimer que l'enrichissement de ce dernier révèle l'existence de recettes dissimulées de la société que si la comptabilité de cette dernière est dépourvue de valeur probante, s'il est établi que le gérant doit être regardé comme le seul maître de l'affaire et s'il existe des circonstances précises et concordantes, tirées du fonctionnement même de la société, permettant d'établir l'existence d'une confusion de patrimoines entre la société et son gérant.
3. La cour a relevé, par des énonciations non contestées de son arrêt, d'une part, que la comptabilité de la société Class J était dépourvue de valeur probante et avait pu, à bon droit être écartée par le vérificateur, d'autre part, que M. A..., associé ultra-majoritaire et gérant de fait et de droit de la société, devait être regardé comme le seul maître de l'affaire.
4. En jugeant, après avoir relevé par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que le fonctionnement de la société était exempt de flux financiers entre celle-ci et les comptes personnels de son gérant ainsi que de liens juridiques ou d'affaires et de flux financiers avec les sociétés contrôlées par son gérant, que la situation de confusion de patrimoines n'était pas établie, la cour n'a entaché son arrêt ni d'erreur de droit, ni de contradiction de motifs, les circonstances que la comptabilité de la société a été écartée à bon droit et que le gérant peut être regardé comme le seul maître de l'affaire ne suffisant pas à caractériser à elles seules une telle confusion. Elle n'a pas davantage entaché son arrêt d'inexacte qualification juridique des faits.
5. La cour administrative d'appel n'a pas davantage commis d'erreur de droit en déduisant de l'absence de confusion de patrimoines le caractère radicalement vicié de la méthode de reconstitution retenue par l'administration, dont celle-ci ne contestait pas en appel qu'elle procédait de l'assimilation de l'enrichissement du gérant de la société à des recettes dissimulées. A défaut de tout mode alternatif de reconstitution des bénéfices de la société proposé par l'administration devant elle, la cour a pu juger sans davantage d'erreur de droit que la société devait être regardée comme apportant la preuve de l'exagération des bases des impositions contestées.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Class J au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Class J une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société à responsabilité limitée Class J.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 juin 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et Mme Alianore Descours, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 5 juillet 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Alianore Descours
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle
ECLI:FR:CECHR:2023:469947.20230705
La société à responsabilité limitée (SARL) Class J a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1816287 du 7 octobre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20PA03435 du 10 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de la société Class J, annulé ce jugement et fait droit à sa demande.
Par un pourvoi, enregistré le 22 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Class J.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alianore Descours, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de la société Class J ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Class J a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au cours de laquelle le vérificateur a écarté sa comptabilité comme non probante et reconstitué son chiffre d'affaires en regardant comme des recettes dissimulées les sommes inscrites au crédit du compte courant d'associé de M. A..., son gérant. L'administration a notifié à la société des propositions de rectification en matière de taxe sur la valeur ajoutée, d'impôt sur les sociétés et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Elle a par ailleurs regardé ces sommes comme distribuées à M. A..., taxables entre ses mains en application des dispositions du c de l'article 111 du code général des impôts. L'administration a, par la suite, abandonné les rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Par un jugement du 7 octobre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 novembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, sur appel de la société, a annulé ce jugement et accueilli la demande de la société.
2. En raison de la séparation existant entre le patrimoine d'une société et celui de son gérant, l'administration ne peut estimer que l'enrichissement de ce dernier révèle l'existence de recettes dissimulées de la société que si la comptabilité de cette dernière est dépourvue de valeur probante, s'il est établi que le gérant doit être regardé comme le seul maître de l'affaire et s'il existe des circonstances précises et concordantes, tirées du fonctionnement même de la société, permettant d'établir l'existence d'une confusion de patrimoines entre la société et son gérant.
3. La cour a relevé, par des énonciations non contestées de son arrêt, d'une part, que la comptabilité de la société Class J était dépourvue de valeur probante et avait pu, à bon droit être écartée par le vérificateur, d'autre part, que M. A..., associé ultra-majoritaire et gérant de fait et de droit de la société, devait être regardé comme le seul maître de l'affaire.
4. En jugeant, après avoir relevé par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que le fonctionnement de la société était exempt de flux financiers entre celle-ci et les comptes personnels de son gérant ainsi que de liens juridiques ou d'affaires et de flux financiers avec les sociétés contrôlées par son gérant, que la situation de confusion de patrimoines n'était pas établie, la cour n'a entaché son arrêt ni d'erreur de droit, ni de contradiction de motifs, les circonstances que la comptabilité de la société a été écartée à bon droit et que le gérant peut être regardé comme le seul maître de l'affaire ne suffisant pas à caractériser à elles seules une telle confusion. Elle n'a pas davantage entaché son arrêt d'inexacte qualification juridique des faits.
5. La cour administrative d'appel n'a pas davantage commis d'erreur de droit en déduisant de l'absence de confusion de patrimoines le caractère radicalement vicié de la méthode de reconstitution retenue par l'administration, dont celle-ci ne contestait pas en appel qu'elle procédait de l'assimilation de l'enrichissement du gérant de la société à des recettes dissimulées. A défaut de tout mode alternatif de reconstitution des bénéfices de la société proposé par l'administration devant elle, la cour a pu juger sans davantage d'erreur de droit que la société devait être regardée comme apportant la preuve de l'exagération des bases des impositions contestées.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Class J au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Class J une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société à responsabilité limitée Class J.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 juin 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et Mme Alianore Descours, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 5 juillet 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Alianore Descours
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle