CAA de MARSEILLE, 1ère chambre, 22/06/2023, 22MA01740, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Real Immo a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 5 décembre 2019 par lequel le maire de Valbonne a sursis à statuer sur sa demande de permis de construire, ainsi que la décision du 12 mars 2020 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 2002620 du 15 avril 2022, le tribunal administratif de Nice a fait droit à sa demande et a, d'office, enjoint au maire de Valbonne de délivrer à la société Real Immo le permis de construire sollicité dans un délai de deux mois.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 juin 2022, la commune de Valbonne, représentée par Me Fiorentino, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de première instance de la société Real Immo ;

3°) de mettre à la charge de la société Real Immo la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal qui a commis une erreur de droit, le projet litigieux est de nature à compromettre l'exécution du futur plan local d'urbanisme ;
- les autres moyens invoqués en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 mars 2023, la société Real Immo, représentée par Me Zago, conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement attaqué et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la commune de Valbonne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le projet n'est pas de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan local d'urbanisme ;
- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;
- le maire aurait dû l'informer de la non-conformité du projet au plan local d'urbanisme alors en cours de révision.

Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mouret,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- les observations de Me Fiorentino, représentant la commune de Valbonne, et celles de Me Reghin, substituant Me Zago, représentant la société Real Immo.



Considérant ce qui suit :

1. La société Real Immo a déposé, le 21 mai 2019, une demande de permis de construire, ultérieurement complétée, en vue de l'édification d'un immeuble comportant douze logements sur un terrain situé 363 avenue de Pierrefeu sur le territoire de la commune de Valbonne. Par un arrêté du 5 décembre 2019, le maire de Valbonne a sursis à statuer sur sa demande de permis de construire. La commune de Valbonne relève appel du jugement du 15 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté ainsi que la décision du 12 mars 2020 rejetant le recours gracieux formé à son encontre.

Sur la régularité du jugement :

2. Il n'appartient pas au juge d'appel d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, la commune de Valbonne ne peut utilement se prévaloir, pour demander l'annulation du jugement attaqué, de l'erreur de droit commise, selon elle, par les premiers juges.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Pour annuler les décisions litigieuses, les premiers juges ont estimé que le maire de Valbonne a commis une erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 153-11 et L. 424-1 du code de l'urbanisme en opposant un sursis à statuer à la demande de permis de construire de la société Real Immo.

4. En vertu des dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l'annulation d'un acte intervenu en matière d'urbanisme en retenant un ou plusieurs moyens, de se prononcer expressément sur le bien-fondé des différents motifs d'annulation retenus par les premiers juges, dès lors que ceux-ci sont contestés devant lui, afin d'apprécier si ce moyen ou l'un au moins de ces moyens justifie la solution d'annulation. Dans ce cas, le juge d'appel n'a pas à examiner les autres moyens de première instance.

5. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme : " L'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l'article L. 424-1, sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable ". L'article L. 424-1 de ce code dispose que : " Il peut être sursis à statuer sur toute demande d'autorisation concernant des travaux, constructions ou installations dans les cas prévus (...) aux articles L. 153-11 (...) du présent code ".

6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la révision générale du plan local d'urbanisme de Valbonne a été prescrite par une délibération du 3 décembre 2015 et que le débat du conseil municipal relatif aux orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable de ce plan a eu lieu le 4 octobre 2018. Il est constant que le projet de plan révisé, qui a été arrêté par une délibération du 25 juillet 2019, était suffisamment avancé le 5 décembre suivant, date à laquelle le maire de Valbonne a sursis à statuer sur la demande de permis de construire de la société Real Immo.

7. D'autre part, un sursis à statuer ne peut être opposé à une demande de permis de construire, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, postérieurement au débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable, qu'en vertu d'orientations ou de règles que le futur plan local d'urbanisme pourrait légalement prévoir et à la condition que la construction, l'installation ou l'opération envisagée soit de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse son exécution.

8. L'arrêté de sursis à statuer en litige a été pris au motif que le projet de la société Real Immo est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan local d'urbanisme de Valbonne dès lors qu'il contrarie les prescriptions du règlement de la zone UD de ce futur plan, applicables au secteur UDb et relatives à l'emprise au sol, à la hauteur des constructions ainsi qu'au " coefficient de biotope ".

9. L'orientation n° 1 du projet d'aménagement et de développement durable, dans sa version résultant du projet de plan local d'urbanisme arrêté, vise à " confirmer l'identité paysagère et environnementale " de la commune de Valbonne. Elle comporte un objectif consistant à " préserver et valoriser les espaces végétalisés " et prévoit notamment, à ce titre, de " conserver, à l'échelle de la commune, une moyenne d'1/3 d'espaces végétalisés au sein du tissu urbain " ainsi que de " protéger les espaces de respiration (boisements, ...) au sein des espaces urbains ". L'objectif, relevant de cette même orientation et intitulé " favoriser le développement de la biodiversité et protéger les éléments des trames verte et bleue ", fait état, à propos de la trame verte, de la nécessité de " renforcer la trame végétale (éléments de paysage, coefficient de végétalisation, ...) dans les secteurs fragilisés par l'urbanisation ou par les infrastructures routières ". L'orientation n° 5 comprend un objectif intitulé " modérer la consommation de l'espace et délimiter les secteurs urbanisés ou à urbaniser " et prévoyant notamment de " contenir l'urbanisation dans les limites des fronts d'urbanisation actuels et dans le respect de l'environnement " ainsi que de " maintenir le caractère à dominante verte de la commune et préserver la trame verte et bleue existante ".

10. Le préambule du règlement de la zone UD du futur plan local d'urbanisme de Valbonne précise que cette zone " correspond à la zone urbaine à vocation résidentielle, située en frange urbaine " et qu'elle comprend plusieurs secteurs, au nombre desquels figure le secteur UDb dans lequel la construction de logements est autorisée en vertu de l'article UD 1 du projet de règlement arrêté. L'article UD 3 prévoit notamment que l'emprise au sol des constructions ne doit pas excéder " 20 % dans le secteur UDb " et fixe à 7 mètres la " hauteur maximum des constructions ". Son article UD 4 précise que, dans ce secteur, le " coefficient de biotope est fixé à 70 % de la superficie totale de l'unité foncière ". Selon le lexique figurant dans ce projet de règlement, le " coefficient de biotope " correspond à la partie d'une surface aménagée devant être " définitivement consacrée à la nature ", notamment sous forme de surface végétalisée.

11. L'immeuble projeté doit être édifié sur un terrain non bâti d'une superficie totale de 2 040 m² et s'inscrivant dans un secteur déjà urbanisé de la commune de Valbonne ayant vocation, à la date de l'arrêté contesté, à être classé en secteur UDb du futur plan local d'urbanisme communal. Il n'est pas contesté que, comme l'a relevé le maire de Valbonne, la construction en cause présente une emprise au sol d'un peu plus de 576 m², que sa hauteur est en partie supérieure à 7,30 mètres et que le projet prévoit de conserver 1 293 m² de " surface biotope ". Il ressort des pièces du dossier que l'emprise au sol du projet représente un peu plus de 28,8 % de la superficie du terrain d'assiette, alors que l'article UD 3 du règlement du futur plan fixe un coefficient d'emprise au sol de 20 % dans le secteur UDb, que la hauteur du bâtiment projeté dépasse, en plusieurs points, d'environ 30 centimètres la hauteur maximale de 7 mètres autorisée dans ce secteur en vertu de ce même article et que le coefficient de biotope du projet s'établit à un peu plus de 63,3 % alors que ce dernier coefficient devra atteindre 70 % en application de l'article UD 4 du règlement du futur plan. Toutefois, au regard du parti d'urbanisme retenu par les auteurs du futur plan local d'urbanisme de Valbonne ainsi que des caractéristiques du secteur urbanisé dans lequel l'immeuble projeté doit être implanté, les contrariétés ainsi constatées, prises isolément ou globalement, ne suffisent pas à établir, compte tenu de leur ampleur limitée, que le projet litigieux serait de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution de ce futur plan. Par suite, en opposant un sursis à statuer à la demande de permis de construire de la société Real Immo, le maire de Valbonne a fait une inexacte application des dispositions du code de l'urbanisme citées au point 5.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Valbonne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a fait droit à la demande de la société Real Immo.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Real Immo, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la commune de Valbonne au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Valbonne le versement, à la société Real Immo, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de ces dispositions.

D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Valbonne est rejetée.

Article 2 : La commune de Valbonne versera une somme de 2 000 euros à la société Real Immo au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Valbonne et à la société à responsabilité limitée Real Immo.
Délibéré après l'audience du 8 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Portail, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Mouret, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023.

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N° 22MA01740
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