Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 02/06/2023, 450086
Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 02/06/2023, 450086
Conseil d'État - 6ème - 5ème chambres réunies
- N° 450086
- ECLI:FR:CECHR:2023:450086.20230602
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
vendredi
02 juin 2023
- Rapporteur
- M. Bruno Bachini
- Avocat(s)
- SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
D'une part, la société Paprec Ile-de-France, venant aux droits de la société Métalarc, a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 235 000 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la décision du préfet du Val-de-Marne de mettre à la charge de la société Métalarc une partie des frais de dépollution d'un centre de traitement de déchets anciennement exploité par la société LGD Développement, situé sur le territoire de la commune de Limeil-Brévanne.
D'autre part, la même société a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) à lui restituer la somme de 1 235 000 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, qu'elle estime avoir été indûment mise à la charge de la société Métalarc.
Par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement de cette seconde demande a été attribué au tribunal administratif de Melun, en application des articles R. 342-1 et suivants du code de justice administrative.
Par un jugement nos 1508809, 1600202 du 8 juin 2018, le tribunal administratif de Melun, ayant joint ces demandes, a, d'une part, condamné l'ADEME à verser à la société Paprec Ile-de-France la somme de 1 235 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015, et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions présentées par cette société.
Par un arrêt n° 18PA02937 du 23 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel principal de l'ADEME et appel incident de la société Paprec Ile-de-France, d'une part, annulé ce jugement, d'autre part, rejeté la demande de la société Paprec Ile-de-France tendant à la condamnation de l'ADEME et, enfin, condamné l'Etat à verser à la société Paprec Ile-de-France la somme de 1 235 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 et de la capitalisation de ces intérêts.
Par un pourvoi, enregistré le 24 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la transition écologique demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt en tant qu'il condamne l'Etat.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de l'Agence de l'environnement et de la maitrise de l'énergie (ADEME) et à la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Paprec Ile-de-France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet du Val-de-Marne a, par un arrêté du 16 novembre 2005, autorisé la société LGD Développement à exploiter, au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, sur le territoire de la commune de Limeil-Brévannes, un centre de tri et de transit de déchets issus de chantiers de construction ou de démolition. Ayant constaté que cette société ne respectait pas les prescriptions relatives à l'exploitation du site, le préfet a, après mises en demeure infructueuses, suspendu son activité par un arrêté du 15 novembre 2010. A la suite de la liquidation judiciaire de la société, il a demandé à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) d'intervenir, pour sécuriser le site et évacuer les déchets, aux frais des personnes physiques ou morales responsables, cette dernière ayant engagé, à ce titre, des dépenses à hauteur d'un montant de 19 500 000 euros Par un courrier du 23 janvier 2012, le préfet du Val-de-Marne a indiqué à la société Métalarc, chargée de la collecte et du transport de déchets issus de chantiers pour le compte d'entreprises tierces, qu'elle devait être regardée comme responsable, au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, d'une partie des déchets abandonnés sur le site en question et qu'il lui appartenait, à ce titre, d'en financer l'élimination, sous peine de sanctions prises en application de l'article L. 541-3 du même code. Il l'invitait à se rapprocher de l'ADEME afin d'établir le montant de sa participation financière. Par un courrier du 15 juin 2012, le président de l'ADEME, après versement par cette société d'une somme d'un montant de 1 235 000 euros au titre de sa contribution aux travaux d'élimination des déchets, lui a adressé le titre de recettes correspondant.
2. Par deux courriers du 1er juillet 2015, la société Métalarc a, d'une part, demandé au préfet du Val-de-Marne que l'Etat lui verse la somme de 1 235 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de sa désignation comme responsable d'une partie des déchets abandonnés sur le site de Limeil-Brévannes et, d'autre part, demandé au président de l'ADEME de lui restituer cette même somme de 1 235 000 euros qu'elle estime avoir versée à tort. Par un jugement du 8 juin 2018, le tribunal administratif de Melun, ayant joint les demandes par lesquelles la société Paprec Ile-de-France, venant aux droits de la société Métalarc, a mis respectivement en cause la responsabilité de l'ADEME et celle de l'Etat, a, d'une part, condamné l'ADEME à verser à la société Paprec Ile-de-France la somme de 1 235 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de ses demandes. Par un arrêt du 23 décembre 2020, contre lequel le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires se pourvoit en tant qu'il lui est défavorable, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel principal de l'ADEME et appel incident de la société Paprec Ile-de-France, d'une part, annulé ce jugement, d'autre part, rejeté les conclusions des demandes de la société Paprec Ile-de-France tendant à la condamnation de l'ADEME et, enfin, condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 235 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 et capitalisation des intérêts.
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par des mémoires présentés le 31 octobre 2017, la société Paprec Ile-de-France a demandé, dans chacune des deux instances ultérieurement jointes par le tribunal administratif, la condamnation solidaire de l'ADEME et de l'Etat à lui verser la somme de 1 235 000 euros. Par suite, en jugeant que l'appel incident de la société tendant à ce que l'Etat soit condamné au cas où il serait fait droit à l'appel de l'ADEME, qui ne soulevait pas un litige distinct, était recevable, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
4. En deuxième lieu, en estimant qu'il ne résultait pas de l'instruction que la société Métalarc aurait continué à déposer des déchets après la publication de la décision de suspension de l'activité de la société LGD prise par le préfet du Val-de-Marne le 15 novembre 2010, après avoir relevé que le courrier du préfet du 23 janvier 2012 faisant état d'apports de déchets entre mai 2010 et avril 2011 portait, en réalité, sur des déchets qui avaient été confiés à la société LGD entre le 1er janvier 2009 et le 23 novembre 2010, la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement : " Au sens du présent chapitre, on entend par : / Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire (...) / Gestion des déchets : la collecte, le transport, la valorisation et l'élimination des déchets et, plus largement, toute activité participant de l'organisation de la prise en charge des déchets depuis leur production jusqu'à leur traitement final, y compris les activités de négoce ou de courtage et la supervision de l'ensemble de ces opérations ; / Producteur de déchets : toute personne dont l'activité produit des déchets (producteur initial de déchets) ou toute personne qui effectue des opérations de traitement des déchets conduisant à un changement de la nature ou de la composition de ces déchets (producteur subséquent de déchets) ; / Détenteur de déchets : producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets (...) ". Aux termes de l'article L. 541-2 du même code : " Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d'en assurer ou d'en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. / Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. / Tout producteur ou détenteur de déchets s'assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge ". Aux termes de l'article L. 541-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Lorsque des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu'il encourt et (...) peut le mettre en demeure d'effectuer les opérations nécessaires au respect de cette réglementation dans un délai déterminé. / Au terme de cette procédure, si la personne concernée n'a pas obtempéré à cette injonction dans le délai imparti par la mise en demeure, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente peut (...) : / 1° L'obliger à consigner entre les mains d'un comptable public une somme correspondant au montant des mesures prescrites, laquelle est restituée au fur et à mesure de l'exécution de ces mesures. (...) / 2° Faire procéder d'office, en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, à l'exécution des mesures prescrites. Les sommes consignées en application du 1° peuvent être utilisées pour régler les dépenses ainsi engagées ; / (...) L'exécution des travaux ordonnés d'office peut être confiée par le ministre chargé de l'environnement à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ou à un autre établissement public compétent. Les sommes consignées leur sont alors reversées à leur demande. (...) / V. - Si le producteur ou le détenteur des déchets ne peut être identifié ou s'il est insolvable, l'Etat peut, avec le concours financier éventuel des collectivités territoriales, confier la gestion des déchets et la remise en état du site pollué par ces déchets à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ou à un autre établissement public compétent ". Il résulte de ces dispositions que le propriétaire ou le détenteur des déchets a la responsabilité de leur élimination, la seule circonstance qu'il ait passé un contrat en vue d'assurer celle-ci ne pouvant notamment l'exonérer de ses obligations légales auxquelles il ne peut être regardé comme ayant satisfait qu'au terme de l'élimination des déchets.
6. Toutefois, aux termes de l'article L. 541-8 du code de l'environnement : " La collecte, le transport, le courtage et le négoce de déchets sont, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, réglementés et soumis soit à autorisation de l'autorité administrative dès lors que les déchets présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts protégés par la présente section, soit à déclaration s'ils ne présentent pas de tels dangers ou inconvénients. / Les collecteurs, les transporteurs, les négociants et les courtiers respectent les objectifs visés à l'article L. 541-1 ". De plus, le I de l'article R. 541-50 du même code, dans sa version alors applicable, dispose que " pour exercer l'activité de collecte ou de transport de déchets, les entreprises doivent déposer une déclaration auprès du préfet du département où se trouve leur siège social ou, à défaut, le domicile du déclarant " et aux termes du I de l'article R. 541-51 du même code : " La déclaration prévue au I de l'article R. 541-50 comporte : / 1° Un engagement du déclarant de ne transporter les déchets que vers des installations de traitement conformes au titre Ier du présent livre ; / 2° Un engagement de procéder à la gestion des déchets transportés par ses soins qu'il aurait abandonnés, déversés ou orientés vers une destination non conforme à la réglementation relative au traitement des déchets ; / 3° Un engagement d'informer sans délai, en cas d'accident ou de déversement accidentel de déchets, le préfet territorialement compétent ".
7. En se fondant sur la circonstance que l'activité de la société Métalarc avait uniquement consisté à collecter et transporter des déchets pour le compte de tiers jusqu'à un centre de tri autorisé par l'administration conformément aux dispositions particulières du code de l'environnement régissant cette activité citées au point précédent, pour juger que cette société, dont elle a, par ailleurs, estimé, par une appréciation souveraine, qu'elle n'avait commis aucune négligence, ne pouvait être regardée comme ayant la qualité de producteur ou de détenteur des déchets au sens de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, et en déduire que le préfet du Val-de-Marne ne pouvait mettre une somme à sa charge sur le fondement de l'article L. 541-3 du même code, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il condamne l'Etat à verser à la société Paprec Ile-de-France la somme de 1 235 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 et capitalisation des intérêts.
Sur le pourvoi provoqué de la société Paprec Ile-de-France :
9. Il résulte de ce qui est dit au point 8 que, dès lors que les conclusions du pourvoi du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires contre l'arrêt du 23 décembre 2020 ne sont pas accueillies, la société Paprec Ile-de-France n'est pas recevable à demander, par des conclusions subsidiaires présentées après l'expiration du délai de recours, l'annulation du même arrêt en tant qu'il statue sur la responsabilité de l'ADEME.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la société Paprec Ile-de-France au titre de ces dispositions. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par l'ADEME soit mise à la charge de la société Paprec Ile-de-France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Paprec Ile-de-France une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le pourvoi provoqué de la société Paprec Ile-de-France est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la société Paprec Ile-de-France et à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 2 juin 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
ECLI:FR:CECHR:2023:450086.20230602
D'une part, la société Paprec Ile-de-France, venant aux droits de la société Métalarc, a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 235 000 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la décision du préfet du Val-de-Marne de mettre à la charge de la société Métalarc une partie des frais de dépollution d'un centre de traitement de déchets anciennement exploité par la société LGD Développement, situé sur le territoire de la commune de Limeil-Brévanne.
D'autre part, la même société a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) à lui restituer la somme de 1 235 000 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, qu'elle estime avoir été indûment mise à la charge de la société Métalarc.
Par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement de cette seconde demande a été attribué au tribunal administratif de Melun, en application des articles R. 342-1 et suivants du code de justice administrative.
Par un jugement nos 1508809, 1600202 du 8 juin 2018, le tribunal administratif de Melun, ayant joint ces demandes, a, d'une part, condamné l'ADEME à verser à la société Paprec Ile-de-France la somme de 1 235 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015, et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions présentées par cette société.
Par un arrêt n° 18PA02937 du 23 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel principal de l'ADEME et appel incident de la société Paprec Ile-de-France, d'une part, annulé ce jugement, d'autre part, rejeté la demande de la société Paprec Ile-de-France tendant à la condamnation de l'ADEME et, enfin, condamné l'Etat à verser à la société Paprec Ile-de-France la somme de 1 235 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 et de la capitalisation de ces intérêts.
Par un pourvoi, enregistré le 24 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la transition écologique demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt en tant qu'il condamne l'Etat.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de l'Agence de l'environnement et de la maitrise de l'énergie (ADEME) et à la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Paprec Ile-de-France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet du Val-de-Marne a, par un arrêté du 16 novembre 2005, autorisé la société LGD Développement à exploiter, au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, sur le territoire de la commune de Limeil-Brévannes, un centre de tri et de transit de déchets issus de chantiers de construction ou de démolition. Ayant constaté que cette société ne respectait pas les prescriptions relatives à l'exploitation du site, le préfet a, après mises en demeure infructueuses, suspendu son activité par un arrêté du 15 novembre 2010. A la suite de la liquidation judiciaire de la société, il a demandé à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) d'intervenir, pour sécuriser le site et évacuer les déchets, aux frais des personnes physiques ou morales responsables, cette dernière ayant engagé, à ce titre, des dépenses à hauteur d'un montant de 19 500 000 euros Par un courrier du 23 janvier 2012, le préfet du Val-de-Marne a indiqué à la société Métalarc, chargée de la collecte et du transport de déchets issus de chantiers pour le compte d'entreprises tierces, qu'elle devait être regardée comme responsable, au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, d'une partie des déchets abandonnés sur le site en question et qu'il lui appartenait, à ce titre, d'en financer l'élimination, sous peine de sanctions prises en application de l'article L. 541-3 du même code. Il l'invitait à se rapprocher de l'ADEME afin d'établir le montant de sa participation financière. Par un courrier du 15 juin 2012, le président de l'ADEME, après versement par cette société d'une somme d'un montant de 1 235 000 euros au titre de sa contribution aux travaux d'élimination des déchets, lui a adressé le titre de recettes correspondant.
2. Par deux courriers du 1er juillet 2015, la société Métalarc a, d'une part, demandé au préfet du Val-de-Marne que l'Etat lui verse la somme de 1 235 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de sa désignation comme responsable d'une partie des déchets abandonnés sur le site de Limeil-Brévannes et, d'autre part, demandé au président de l'ADEME de lui restituer cette même somme de 1 235 000 euros qu'elle estime avoir versée à tort. Par un jugement du 8 juin 2018, le tribunal administratif de Melun, ayant joint les demandes par lesquelles la société Paprec Ile-de-France, venant aux droits de la société Métalarc, a mis respectivement en cause la responsabilité de l'ADEME et celle de l'Etat, a, d'une part, condamné l'ADEME à verser à la société Paprec Ile-de-France la somme de 1 235 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de ses demandes. Par un arrêt du 23 décembre 2020, contre lequel le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires se pourvoit en tant qu'il lui est défavorable, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel principal de l'ADEME et appel incident de la société Paprec Ile-de-France, d'une part, annulé ce jugement, d'autre part, rejeté les conclusions des demandes de la société Paprec Ile-de-France tendant à la condamnation de l'ADEME et, enfin, condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 235 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 et capitalisation des intérêts.
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par des mémoires présentés le 31 octobre 2017, la société Paprec Ile-de-France a demandé, dans chacune des deux instances ultérieurement jointes par le tribunal administratif, la condamnation solidaire de l'ADEME et de l'Etat à lui verser la somme de 1 235 000 euros. Par suite, en jugeant que l'appel incident de la société tendant à ce que l'Etat soit condamné au cas où il serait fait droit à l'appel de l'ADEME, qui ne soulevait pas un litige distinct, était recevable, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
4. En deuxième lieu, en estimant qu'il ne résultait pas de l'instruction que la société Métalarc aurait continué à déposer des déchets après la publication de la décision de suspension de l'activité de la société LGD prise par le préfet du Val-de-Marne le 15 novembre 2010, après avoir relevé que le courrier du préfet du 23 janvier 2012 faisant état d'apports de déchets entre mai 2010 et avril 2011 portait, en réalité, sur des déchets qui avaient été confiés à la société LGD entre le 1er janvier 2009 et le 23 novembre 2010, la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement : " Au sens du présent chapitre, on entend par : / Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire (...) / Gestion des déchets : la collecte, le transport, la valorisation et l'élimination des déchets et, plus largement, toute activité participant de l'organisation de la prise en charge des déchets depuis leur production jusqu'à leur traitement final, y compris les activités de négoce ou de courtage et la supervision de l'ensemble de ces opérations ; / Producteur de déchets : toute personne dont l'activité produit des déchets (producteur initial de déchets) ou toute personne qui effectue des opérations de traitement des déchets conduisant à un changement de la nature ou de la composition de ces déchets (producteur subséquent de déchets) ; / Détenteur de déchets : producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets (...) ". Aux termes de l'article L. 541-2 du même code : " Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d'en assurer ou d'en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. / Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. / Tout producteur ou détenteur de déchets s'assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge ". Aux termes de l'article L. 541-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Lorsque des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu'il encourt et (...) peut le mettre en demeure d'effectuer les opérations nécessaires au respect de cette réglementation dans un délai déterminé. / Au terme de cette procédure, si la personne concernée n'a pas obtempéré à cette injonction dans le délai imparti par la mise en demeure, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente peut (...) : / 1° L'obliger à consigner entre les mains d'un comptable public une somme correspondant au montant des mesures prescrites, laquelle est restituée au fur et à mesure de l'exécution de ces mesures. (...) / 2° Faire procéder d'office, en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, à l'exécution des mesures prescrites. Les sommes consignées en application du 1° peuvent être utilisées pour régler les dépenses ainsi engagées ; / (...) L'exécution des travaux ordonnés d'office peut être confiée par le ministre chargé de l'environnement à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ou à un autre établissement public compétent. Les sommes consignées leur sont alors reversées à leur demande. (...) / V. - Si le producteur ou le détenteur des déchets ne peut être identifié ou s'il est insolvable, l'Etat peut, avec le concours financier éventuel des collectivités territoriales, confier la gestion des déchets et la remise en état du site pollué par ces déchets à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ou à un autre établissement public compétent ". Il résulte de ces dispositions que le propriétaire ou le détenteur des déchets a la responsabilité de leur élimination, la seule circonstance qu'il ait passé un contrat en vue d'assurer celle-ci ne pouvant notamment l'exonérer de ses obligations légales auxquelles il ne peut être regardé comme ayant satisfait qu'au terme de l'élimination des déchets.
6. Toutefois, aux termes de l'article L. 541-8 du code de l'environnement : " La collecte, le transport, le courtage et le négoce de déchets sont, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, réglementés et soumis soit à autorisation de l'autorité administrative dès lors que les déchets présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts protégés par la présente section, soit à déclaration s'ils ne présentent pas de tels dangers ou inconvénients. / Les collecteurs, les transporteurs, les négociants et les courtiers respectent les objectifs visés à l'article L. 541-1 ". De plus, le I de l'article R. 541-50 du même code, dans sa version alors applicable, dispose que " pour exercer l'activité de collecte ou de transport de déchets, les entreprises doivent déposer une déclaration auprès du préfet du département où se trouve leur siège social ou, à défaut, le domicile du déclarant " et aux termes du I de l'article R. 541-51 du même code : " La déclaration prévue au I de l'article R. 541-50 comporte : / 1° Un engagement du déclarant de ne transporter les déchets que vers des installations de traitement conformes au titre Ier du présent livre ; / 2° Un engagement de procéder à la gestion des déchets transportés par ses soins qu'il aurait abandonnés, déversés ou orientés vers une destination non conforme à la réglementation relative au traitement des déchets ; / 3° Un engagement d'informer sans délai, en cas d'accident ou de déversement accidentel de déchets, le préfet territorialement compétent ".
7. En se fondant sur la circonstance que l'activité de la société Métalarc avait uniquement consisté à collecter et transporter des déchets pour le compte de tiers jusqu'à un centre de tri autorisé par l'administration conformément aux dispositions particulières du code de l'environnement régissant cette activité citées au point précédent, pour juger que cette société, dont elle a, par ailleurs, estimé, par une appréciation souveraine, qu'elle n'avait commis aucune négligence, ne pouvait être regardée comme ayant la qualité de producteur ou de détenteur des déchets au sens de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, et en déduire que le préfet du Val-de-Marne ne pouvait mettre une somme à sa charge sur le fondement de l'article L. 541-3 du même code, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il condamne l'Etat à verser à la société Paprec Ile-de-France la somme de 1 235 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 et capitalisation des intérêts.
Sur le pourvoi provoqué de la société Paprec Ile-de-France :
9. Il résulte de ce qui est dit au point 8 que, dès lors que les conclusions du pourvoi du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires contre l'arrêt du 23 décembre 2020 ne sont pas accueillies, la société Paprec Ile-de-France n'est pas recevable à demander, par des conclusions subsidiaires présentées après l'expiration du délai de recours, l'annulation du même arrêt en tant qu'il statue sur la responsabilité de l'ADEME.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la société Paprec Ile-de-France au titre de ces dispositions. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par l'ADEME soit mise à la charge de la société Paprec Ile-de-France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Paprec Ile-de-France une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le pourvoi provoqué de la société Paprec Ile-de-France est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la société Paprec Ile-de-France et à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 2 juin 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain