CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 02/05/2023, 22BX03020, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... F... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 3 février 2022 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2200303 du 17 novembre 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cet arrêté du 3 février 2022 et a enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à Mme F... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois suivant la notification de ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2022, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 17 novembre 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme F... devant le tribunal administratif de la Guadeloupe.

Il soutient que :
- Mme F... ne pouvait utilement soulever le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sa demande n'ayant pas été présentée sur ce fondement ;
- Mme F... ne pouvait prétendre à un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que la reconnaissance de son enfant par un ressortissant français est entachée de fraude et qu'il n'est pas établi que celui-ci participe à l'entretien et l'éducation de l'enfant ;
- sa décision de refus de titre de séjour est fondée sur le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité établie au profit de l'enfant français de la requérante à seules fins de régularisation de sa situation ;
- il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que Mme D... C... a vécu plus de trente ans dans son pays d'origine dans lequel elle a des attaches familiales, et que sa présence en France constitue un trouble à l'ordre public.

La requête a été communiquée à Mme F..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 20 février 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 21 mars 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :

1. Mme B... F..., ressortissante haïtienne née le 6 octobre 1988, a déclaré être entrée en France le 26 janvier 2015. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 28 décembre 2015, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 22 novembre 2016. Elle a bénéficié d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " valable du 14 octobre 2020 au 15 octobre 2021. Le 24 septembre 2021, elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour en qualité de parent d'un enfant français. Par un arrêté du 3 février 2022, le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de la Guadeloupe relève appel du jugement du 17 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé son arrêté du 3 février 2022 et lui a enjoint de délivrer le titre de séjour sollicité à Mme F....

2. D'une part, aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ". Aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. (...) ".

3. D'autre part, si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. Il ressort des pièces du dossier que, le 8 octobre 2016, Mme F... a donné naissance à un enfant, prénommé Kerhayan, reconnu de manière anticipée le 27 juin 2016 par M. A..., ressortissant français. Pour refuser de renouveler le titre de séjour dont Mme F... était titulaire en qualité de mère d'un enfant français, le préfet de la Guadeloupe a estimé que cette dernière ne justifiait pas que M. A..., père de l'enfant Kerhayan, contribuait effectivement à son entretien et à son éducation dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil. Toutefois, Mme F... a produit des factures au nom de M. A... pour des vêtements d'enfants datées des mois de juillet et août 2021 et justifié que ce dernier avait effectué à son profit de nombreux virements bancaires, allant de 73 à 380 euros, aux mois de juillet, août, septembre et novembre 2019, septembre 2020, octobre 2021 et février 2022. En outre, Mme F... a fourni une attestation de M. A... indiquant que son fils avait séjourné chez lui du 24 juillet au 30 août 2021, déclarations corroborées par la production des billets d'avion correspondants. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, ces éléments sont de nature à établir l'existence d'une contribution effective du père à l'entretien et à l'éducation de son enfant au sens des dispositions précitées de l'article L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. L'administration peut, en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. Le préfet, qui soutient que sa décision est également fondée sur le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité, doit être regardé comme sollicitant une substitution de motifs. Toutefois, en se bornant à relever l'absence de vie commune entre M. A... et Mme F..., le caractère limité de la contribution financière de M. A... à l'entretien de Kerhayan, et la circonstance que la reconnaissance de paternité par anticipation par M. A... aurait été faite concomitamment au refus définitif de la demande d'asile de Mme F..., le préfet n'établit pas l'existence d'une fraude. En conséquence, sa demande de substitution de motifs ne peut être accueillie.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé son arrêté du 3 février 2022 et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à Mme F....


DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Guadeloupe est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Guadeloupe, à Mme B... F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 mai 2023.

La rapporteure,
Agnès E...
La présidente,
Marie-Pierre BEUVE DUPUY
La greffière,
Sylvie HAYET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°22BX03020 2



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