CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 02/05/2023, 22BX02787, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 4 mars 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2201724 du 9 juin 2022, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 octobre 2022, Mme D..., représentée par Me Aymard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux du 9 juin 2022 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français contenues dans l'arrêté de la préfète de la Gironde du 4 mars 2022 ;

2°) d'annuler les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français contenues dans l'arrêté de la préfète de la Gironde du 4 mars 2022 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :
- elle justifie qu'une demande d'aide juridictionnelle a été adressée au bureau d'aide juridictionnelle de la cour nationale du droit d'asile le 3 décembre 2021, dans le délai de 15 jours suivant la notification de la décision de l'OFPRA rejetant la demande d'asile de sa fille mineure ; cette demande d'aide juridictionnelle a suspendu le délai de recours contentieux devant la cour nationale du droit d'asile ; le droit de sa fille au maintien sur le territoire français n'avait dès lors pas pris fin à la date de l'obligation de quitter le territoire français en litige ; la préfète de la Gironde a ainsi méconnu les dispositions de l'article L. 541-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision fixant le pays de renvoi a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L.721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; eu égard à ses origines et traditions familiales, elle ne pourrait pas s'opposer à l'excision de sa fille en cas de retour au Nigéria ; elle a elle-même fait l'objet d'une mutilation sexuelle coutumière ; elle établit que sa fille n'a pas fait l'objet d'une telle mutilation ; en revanche, sa fille ainée, restée au Nigéria, a aussi été victime d'une excision ;
- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français est privée de base légale et entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2023, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 24 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 13 mars 2023 à 12h00.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.


La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme F... B... a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante nigériane, est entrée en France en septembre 2014 selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été définitivement rejetée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 16 septembre 2020. Elle a présenté le 18 novembre 2020 une demande d'asile pour sa fille mineure, C... E..., née le 16 décembre 2019 à Talence, en invoquant un risque de mutilation sexuelle au Nigéria. Cette demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 24 novembre 2021, notifiée à Mme D..., en sa qualité de représentante légale de Bernice, le 30 novembre suivant. Par un arrêté du 4 mars 2022, la préfète de la Gironde a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme D..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Mme D... relève appel du jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux du 9 juin 2022 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français contenues dans l'arrêté de la préfète de la Gironde du 4 mars 2022.


Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " En l'absence de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin à la notification de cette décision. / Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci ". Aux termes de l'article L. 542-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : 1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : a) une décision d'irrecevabilité prise en application des 1° ou 2° de l'article L. 531-32 ;b) une décision d'irrecevabilité en application du 3° de l'article L. 531-32, en dehors du cas prévu au b du 2° du présent article ; c) une décision de rejet ou d'irrecevabilité dans les conditions prévues à l'article L. 753-5 ; d) une décision de rejet dans les cas prévus à l'article L. 531-24 et au 5° de l'article L. 531-27 ; e) une décision de clôture prise en application des articles L. 531-37 ou L. 531-38 ; l'étranger qui obtient la réouverture de son dossier en application de l'article L. 531-40 bénéficie à nouveau du droit de se maintenir sur le territoire français ;2° Lorsque le demandeur :a) a informé l'office du retrait de sa demande d'asile en application de l'article L. 531-36 ; b) a introduit une première demande de réexamen, qui a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité par l'office en application du 3° de l'article L. 531-32, uniquement en vue de faire échec à une décision d'éloignement ;c) présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen ; d) fait l'objet d'une décision définitive d'extradition vers un Etat autre que son pays d'origine ou d'une décision de remise sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen ou d'une demande de remise par une cour pénale internationale.
Les dispositions du présent article s'appliquent sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ".

3. Selon l'article R. 532-10 du même code, le recours devant la CNDA doit, à peine d'irrecevabilité, être exercé dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision de l'OFPRA. Aux termes de l'article 9-4 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Devant la Cour nationale du droit d'asile, le bénéfice de l'aide juridictionnelle est de plein droit, sauf si le recours est manifestement irrecevable. Si l'aide juridictionnelle est sollicitée en vue d'introduire le recours devant la cour, elle doit être demandée dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision de l'office. Dans le cas contraire, l'aide juridictionnelle peut être demandée lors de l'introduction du recours, exercé dans le délai (...) ".

4. Par ailleurs, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

5. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la capture d'écran de l'accusé de réception électronique correspondant, que Mme D... a, en sa qualité de représentante légale de Bernice, déposé le 3 décembre 2021, par voie dématérialisée, une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle de la CNDA. Cette demande d'aide juridictionnelle, présentée dans le délai de 15 jours suivant la notification de la décision de l'OFPRA du 24 novembre 2021, a eu pour effet de suspendre le délai de recours contentieux devant la CNDA. Il ne ressort par ailleurs d'aucune pièce du dossier que la demande d'asile de Bernice relèverait de l'une des hypothèses, énumérées à l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans lesquelles le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin dès la décision de l'OFPRA. Il s'ensuit qu'en vertu des dispositions de l'article L. 542-1 du même code, Bernice bénéficiait, à la date du 4 mars 2022 d'édiction de l'arrêté en litige, du droit de se maintenir sur le territoire français en sa qualité de demandeuse d'asile. Son recours devant la CNDA a d'ailleurs été enregistré le 8 mai 2022, après la décision du bureau d'aide juridictionnelle. Dans ces conditions, à la date à laquelle elle a été édictée, la mesure d'éloignement prise à l'encontre de Mme D... avait pour effet, soit de la séparer durablement de Bernice, soit, si cette dernière accompagnait sa mère, de compromettre l'instruction alors en cours de sa demande d'asile. Cette décision, contraire à l'intérêt supérieur de Bernice, a dès lors été prise en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la préfète de la Gironde du 4 mars 2022 lui faisant obligation de quitter le territoire français ainsi que, par voie de conséquence, des décisions du même jour fixant le pays de renvoi et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Il incombe à la préfète de la Gironde, en application des dispositions de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de munir la requérante d'une autorisation provisoire de séjour et de se prononcer à nouveau sur sa situation. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de la Gironde de munir l'intéressée d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours suivant la notification du présent l'arrêt et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt.


Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

8. Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser Me Aymard, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle







DECIDE :








Article 1er : Les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français que comporte l'arrêté de la préfète de la Gironde du 4 mars 2022 sont annulées.
Article 2 : Le jugement n° 2201724 du 9 juin 2022 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde de réexaminer la situation de Mme D... dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans un délai de 15 jours, une autorisation provisoire de séjour valable durant ce réexamen.
Article 4 : L'Etat versera à Me Aymard une somme de 1 200 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2023.

L'assesseur le plus ancien,
Manuel Bourgeois
La présidente,
Marie-Pierre Beuve B...La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX01635



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