Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 27/03/2023, 456550

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Caen de prononcer la réduction des cotisations primitives d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution sur les hauts revenus auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2013. Par un jugement n° 1701501 du 20 septembre 2019, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19NT04305 du 8 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par Mme B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 septembre et 8 décembre 2021 et le 13 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de Mme B... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 mars 2023, présentée par Mme B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en octobre 1999, M. B... a échangé des titres ... contre des actions .... Il a alors réalisé une plus-value qu'il a placée sous le régime du report d'imposition prévu par le II de l'article 92 B du code général des impôts alors en vigueur. Après le décès de son mari, Mme B... a, le 29 octobre 2013, cédé 100 000 actions .... Elle a mentionné, dans sa déclaration des revenus de l'année 2013, l'expiration du report d'imposition de la plus-value réalisée en 1999 par son mari. Toutefois, estimant avoir déclaré à tort cette plus-value dans ses revenus imposables, elle a sollicité, par une réclamation du 30 juillet 2016, la réduction de ses cotisations primitives d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution sur les hauts revenus. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 8 juillet 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel contre le jugement du tribunal administratif de Caen du 20 septembre 2019 ayant rejeté sa demande de réduction des impositions de l'année 2013.

Sur le pourvoi :

2. Aux termes de l'article 92 B du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " (...) II. 1. A compter du 1er janvier 1992 ou du 1er janvier 1991 pour les apports de titres à une société passible de l'impôt sur les sociétés, l'imposition de la plus-value réalisée en cas d'échange de titres résultant d'une opération d'offre publique (...) peut être reportée au moment où s'opérera la cession, le rachat, le remboursement ou l'annulation des titres reçus lors de l'échange. / (...) ". Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires, que les cessions mentionnées au II de cet article 92 B qui mettent fin au report d'imposition sont les cessions à titre onéreux et que lorsque le contribuable procède à une cession à titre gratuit des titres dont la plus-value a bénéficié du report d'imposition, cette dernière est définitivement exonérée d'imposition.

3. Il s'ensuit qu'en jugeant qu'en cas de transmission à titre gratuit de titres dont la plus-value a été placée en report d'imposition, l'imposition est due par leur nouveau détenteur, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit. Mme B... est, par suite, fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le règlement du litige :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article 1525 du code civil : " La stipulation de parts inégales et la clause d'attribution intégrale ne sont point réputées des donations, ni quant au fond, ni quant à la forme, mais simplement des conventions de mariage et entre associés ". Aux termes de l'article 1526 du même code : " Les époux peuvent établir par leur contrat de mariage une communauté universelle de leurs biens tant meubles qu'immeubles, présents et à venir. Toutefois, sauf stipulation contraire, les biens que l'article 1404 déclare propres par leur nature ne tombent point dans cette communauté. La communauté universelle supporte définitivement toutes les dettes des époux, présentes et futures ". Aux termes du premier alinéa de l'article 1527 du même code : " Les avantages que l'un ou l'autre des époux peut retirer des clauses d'une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes, ne sont point regardés comme des donations ".

6. Il résulte de ces dispositions que la mise en communauté de valeurs mobilières appartenant à l'un des époux, résultant de l'adoption par les époux du régime de la communauté universelle, comme leur attribution au conjoint survivant, résultant de l'application d'une clause en ce sens figurant dans le contrat de mariage, constituent des avantages matrimoniaux et non des donations et ne sauraient, par suite, être regardées comme des cessions à titre gratuit pour l'application des dispositions du II de l'article 92 B du code général des impôts.

7. Il résulte de ce qui précède que, ainsi que l'administration fiscale l'avait retenu dans le rejet de la réclamation de Mme B... et ainsi que le ministre de l'économie, des finances et de la relance l'a fait valoir dans l'instance, ni l'adoption par les époux B... du régime de la communauté universelle le 30 juin 2000, ni la mise en œuvre, à la suite du décès de M. B... le 28 avril 2011, de la clause d'attribution intégrale au conjoint survivant figurant dans le contrat de mariage des époux n'ont entraîné de cession, que ce soit à titre gratuit ou onéreux, au profit de Mme B..., des valeurs mobilières détenues antérieurement par son époux à la suite du décès de son père. Il s'ensuit que, à la vente des actions ...à laquelle elle a procédé en 2013, Mme B... était devenue, du fait des avantages matrimoniaux dont elle avait bénéficié, la redevable de l'imposition de la plus-value résultant de l'opération d'échange de titres réalisée par son mari en octobre 1999 et que cette cession à titre onéreux a mis fin au report d'imposition de cette plus-value sous le régime duquel elle avait été placée. Mme B... n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a imposé la plus-value qu'elle avait déclarée au titre de l'année 2013.

En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :

8. Mme B... ne peut se prévaloir, sur le fondement des dispositions du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du point 31 de l'instruction du 4 mai 1992, repris au paragraphe 330 de l'instruction administrative référencée BOI-RPPM-PVMBI-30-10-30-10, dès lors que d'une part, elle n'entre pas dans les prévisions de cette instruction qui ne porte que sur les cessions de valeurs mobilières à titre gratuit et que, d'autre part et en tout état de cause, l'imposition en litige est une imposition primitive.

9. Il résulte de tout de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande de réduction de l'imposition en litige.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 8 juillet 2021 est annulé.
Article 2 : La requête d'appel de Mme B... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme C... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 mars 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 27 mars 2023.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :
Signé : M. David Moreau

La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


ECLI:FR:CECHR:2023:456550.20230327
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