CAA de PARIS, 5ème chambre, 17/03/2023, 21PA01699, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2020 par lequel le préfet du Val-de-Marne a ordonné son expulsion du territoire français.

Par un jugement n° 2100699 du 1er mars 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 1er avril 2021, M. B..., représenté par Me Nessah, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100699 du 1er mars 2021 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2020 du préfet du Val-de-Marne ;
3°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou de réexaminer sa situation, dans le délai d'une semaine à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice.

Il soutient que :
- l'arrêté attaqué méconnaît la protection contre l'expulsion dont il bénéficie en application des dispositions du 1° de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est, à ce titre, entaché d'erreur de droit ;
- il a été pris par une autorité incompétente ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il n'est pas établi ni même expressément allégué que son comportement est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes, au sens du premier alinéa de l'article
L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- en tout état de cause, l'arrêté est entaché d'une erreur d'appréciation quant à l'existence d'une menace grave à l'ordre public et eu égard aux conséquences sur sa situation personnelle ;
- il méconnait les stipulations de l'article 8 et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête de M. B... a été transmise au préfet du Val-de-Marne, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... ;
- et les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 26 janvier 1995 à Casablanca (Maroc) et de nationalité marocaine, a fait l'objet d'une procédure d'expulsion engagée par le préfet du Val-de-Marne. Sa situation a été examinée en séance de la commission départementale d'expulsion le 19 novembre 2020. Par des arrêtés du 21 décembre 2020, notifiés le 24 décembre suivant, le préfet du Val-de-Marne a, d'une part, ordonné l'expulsion de M. B... et, d'autre part, fixé le Maroc comme pays de renvoi. Interpellé par les services de police le 19 janvier 2021, M. B... a fait l'objet d'une procédure de vérification de son droit au séjour. Au terme de celle-ci, le préfet du Val-de-Marne a décidé d'un placement en rétention administrative en vue de l'exécution de son arrêté d'expulsion. M. B... relève appel du jugement du 1er mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté ordonnant son expulsion.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 521-3 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : / 1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) ". Dans le cadre de la protection ainsi instituée par le législateur, les éventuelles périodes d'incarcération en France ne sont pas de nature à remettre en cause la continuité de la résidence habituelle en France depuis au plus l'âge de treize ans, alors même qu'elles emportent, pour une partie de la période de présence sur le territoire, une obligation de résidence pour l'intéressé, ne résultant pas d'un choix délibéré de sa part.

3. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 522-1 du même code : " L'autorité administrative compétente pour prononcer l'expulsion d'un étranger en application de l'article L. 521-1, après accomplissement des formalités prévues à l'article L. 522-1, est le préfet de département et, à Paris, le préfet de police ". Aux termes de l'article R. 522-2 du même code : " L'autorité administrative compétente pour prononcer l'expulsion d'un étranger en application des articles L. 521-2 ou L. 521-3 ainsi qu'en cas d'urgence absolue est le ministre de l'intérieur ". Il résulte de ces dispositions qu'un préfet de département peut ordonner l'expulsion d'un étranger, même en situation régulière sur le territoire, dont la présence constitue " une menace grave pour l'ordre public ". Dans le cas où la situation de cet étranger correspond à l'une de celles visées à l'article L. 521-3, son expulsion ne peut être ordonnée que par le ministre de l'intérieur et sous réserve que son " comportements [soit] de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ".

4. Il ressort des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas contesté, que M. B... a été scolarisé en France de 2001, année au cours de laquelle il indique y être entré, à l'âge de 6 ans, au titre du regroupement familial, à 2013, et qu'il a participé à la formation générale BAFA en 2014. A sa majorité, il lui a été délivré une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " valable du 12 mai 2014 au 11 mai 2015, renouvelée du 12 mai 2015 au 11 mai 2016. Il a été incarcéré du 6 mars 2016 au 20 juin 2020. Si une obligation de quitter le territoire français a été prise à son encontre par le préfet de police le 5 octobre 2020, celle-ci a été annulé par un jugement n° 2016358 du 12 octobre 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris et n'a donc pas été exécutée. Ainsi, et eu égard à ce qui a été dit au point 2, M. B... résidait habituellement en France depuis l'âge de cinq ans à la date de l'arrêté litigieux. Il faisait donc partie des étrangers susceptibles d'invoquer utilement la protection instituée par les dispositions du 1° de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, seul le ministre de l'intérieur était compétent pour prendre l'arrêté attaqué. Les moyens tirés de l'erreur de droit et de l'incompétence du préfet du Val-de-Marne doivent, par suite, être accueillis.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 décembre 2020 du préfet du Val-de-Marne ordonnant son expulsion.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

6. Le présent jugement n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, les conclusions de M. B... tenant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Val-de-Marne, sous astreinte, de procéder au réexamen de sa demande de délivrance d'un titre de séjour, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2100699 du 1er mars 2021 du tribunal administratif de Melun et l'arrêté du 21 décembre 2020 du préfet du Val-de-Marne ordonnant l'expulsion de M. B... sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- Mme Cécile Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mars 2023.
La rapporteure,
C. C...La présidente,
H. VINOT
La greffière,




E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA01699 2



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