Conseil d'État, 9ème chambre, 10/03/2023, 460695, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Import Négoce International a demandé au tribunal administratif de la Martinique de lui accorder le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er octobre 2015 au 28 février 2017. Par un jugement n° 1900240 du 18 juin 2020, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 20BX02586 du 23 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Import Négoce International contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 21 janvier, 24 mars et 6 octobre 2022 ainsi que le 10 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Import Négoce International demande au Conseil d'Etat, à titre principal, de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'intervienne la décision du doyen des juges d'instruction près le tribunal judiciaire de Fort-de-France sur sa plainte avec constitution de partie civile pour faux, usage de faux et escroquerie au jugement et, à titre subsidiaire :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 76-448 du 24 mai 1976 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la société Import Négoce International ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 février 2023, présentée par la société Import Négoce International ;



1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Import Négoce International, qui importe du tabac en Martinique et le revend à des distributeurs locaux, a demandé le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 1 559 066 euros au titre de la période du 1er octobre 2015 au 28 février 2017. A la suite de cette demande, l'administration fiscale a procédé à une vérification de comptabilité au titre de la même période, à l'issue de laquelle elle a notifié à la société, par une proposition de rectification du 25 septembre 2017, un rappel de taxe qui aurait dû, selon elle, être collectée sur les ventes de tabacs réalisées par la société, pour un montant de 1 419 416 euros. Compte tenu de ce rappel, l'administration n'a, par une décision du 18 février 2019, fait droit à la demande de remboursement présentée par la société qu'à hauteur d'un montant de 105 202 euros. Par un arrêt du 23 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Import Négoce International contre le jugement du 18 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande tendant au remboursement, pour le surplus, du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont elle s'estimait titulaire. La société demande l'annulation de cet arrêt.

2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire ".

3. La demande de remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée constitue une réclamation au sens des dispositions citées au point précédent. Par suite, la décision par laquelle l'administration rejette tout ou partie d'une telle réclamation n'a pas le caractère d'une procédure de reprise ou de rectification. Dès lors, les irrégularités susceptibles d'avoir entaché la procédure d'instruction de cette réclamation, y compris celles qui affecteraient les opérations de vérification ou de contrôle effectuées, le cas échéant, à cette occasion, sont sans incidence sur le bien-fondé de cette décision. Il s'ensuit que la circonstance, à la supposer établie, que fût dépourvue de signature la proposition de rectification établie à l'issue du contrôle diligenté par l'administration afin d'instruire la demande de remboursement présentée par la société est sans incidence sur le bien-fondé de la décision contestée devant les juges du fond. Il y a lieu de substituer ce motif, qui n'appelle d'appréciation d'aucune circonstance de fait, au motif par lequel la cour administrative d'appel a écarté le moyen soulevé par la société et tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition. Il en résulte que les moyens du pourvoi dirigés contre ce motif sont inopérants.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 298 quaterdecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. Les opérations portant sur les tabacs manufacturés sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions de droit commun, sous réserve des dispositions ci-après. / II. Le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux ventes dans les départements de France métropolitaine de tabacs manufacturés est celui qui est prévu à l'article 575 C. / La taxe est assise sur le prix de vente au détail, à l'exclusion de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même. / Elle est acquittée par le fournisseur dans le même délai que le droit de consommation ". Aux termes de l'article 298 sexdecies du même code : " Dans les départements de La Réunion, de la Martinique et de la Guadeloupe, les marges commerciales postérieures à la fabrication ou à l'importation demeurent exclues de la taxe sur la valeur ajoutée ". Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de l'article 15 de la loi du 24 mai 1976 dont elles sont issues, que dans les départements de La Réunion, de la Martinique et de la Guadeloupe, les opérations portant sur les tabacs manufacturés sont, à chacun des stades du circuit de commercialisation, soumises à la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle sont soumises les ventes de tabacs manufacturés réalisées dans les conditions du droit commun. Demeurent toutefois exclues de l'assiette de la taxe les marges commerciales prises postérieurement à la fabrication ou à l'importation de ces tabacs.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a jugé que l'administration fiscale avait pu, sans excéder la base d'imposition prévue par les dispositions citées au point 4, établir la taxe litigieuse sur le prix de revient des tabacs importés et revendus par la société, dès lors que le prix de revient à l'importation ainsi calculé, par construction, n'incluait pas la marge commerciale, exclue de la base taxable. En statuant ainsi, et en en déduisant que la société ne pouvait utilement soutenir qu'en l'absence de définition légale de la marge commerciale à exclure de la base d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée, les dispositions de l'article 298 sexdecies du code général des impôts étaient inapplicables, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

6. En troisième et dernier lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente (...) ". Si ces dispositions instituent une garantie contre les changements de doctrine de l'administration, qui permet aux contribuables de se prévaloir des énonciations contenues dans les notes ou instructions publiées, qui ajoutent à la loi ou la contredisent, c'est à la condition que les intéressés entrent dans les prévisions de la doctrine, appliquée littéralement, résultant de ces énonciations. Les contribuables ne peuvent se prévaloir utilement, sur le fondement de l'article L. 80 A précité, d'une partie seulement d'une telle doctrine dont les éléments, bien qu'énoncés successivement, sont indissociables.

7. Le I de l'instruction publiée au Bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-TVA-GEO-20-50, qui reprend les commentaires administratifs publiés le 1er septembre 1998 au Bulletin officiel des impôts sous la référence 3 G-261, prévoit que : " 1. Dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion où la législation sur les taxes sur le chiffre d'affaires a été introduite, les tabacs manufacturés sont soumis à la TVA dans les conditions ci-après. / 10. Dans ces départements, les marges commerciales postérieures à la fabrication ou à l'importation sont, aux termes de l'article 298 sexdecies du CGI, exclues de la TVA. Il en résulte que les négociants grossistes, dépositaires, détaillants ou débitants qui opèrent la distribution des tabacs ne doivent pas être recherchés en paiement de la taxe. / 20. La TVA est exigible soit à l'importation, soit à l'issue de la fabrication, c'est-à-dire à la sortie des tabacs manufacturés des établissements de production. / 30. Le taux applicable aux tabacs est le taux normal applicable dans les DOM. / 40. Les fabricants exercent leurs droits à déduction par imputation sur la taxe due à l'issue des opérations de fabrication des tabacs et, le cas échéant, la fraction non imputable de ces droits peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions fixées aux articles 242 OA et suivants de l'annexe II au CGI. / Dans la mesure où ils sont dispensés du paiement de la TVA, les négociants qui opèrent la distribution des tabacs dans les départements d'outre-mer ne peuvent prétendre à aucun droit à déduction ". Il ressort des énonciations de cette instruction, qui sont indissociables sur ce point, que si l'administration fiscale tolère que les entreprises qui opèrent la distribution des tabacs importés dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion ne facturent ni ne collectent de taxe sur la valeur ajoutée lors de la revente, c'est à la condition qu'elles renoncent à leur droit à déduction de cette taxe. Par suite, après avoir relevé que la société n'avait pas renoncé à son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la cour administrative d'appel, qui n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis, a pu juger, sans commettre d'erreur de droit, qu'elle ne pouvait se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de cette tolérance admise par l'administration.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer jusqu'à la décision qui sera rendue par le tribunal judiciaire de Fort-de-France sur la plainte avec constitution de partie civile introduite par la société Import Négoce International, cette société n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, lequel n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Import Négoce International est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Import Négoce International et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 février 2023 où siégeaient :
Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 10 mars 2023.


La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Saby
La secrétaire :
Signé : Mme Wafak Salem
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :



ECLI:FR:CECHS:2023:460695.20230310
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