CAA de NANCY, 2ème chambre, 16/03/2023, 22NC02046, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 2 mai 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office.

Par un jugement n° 2203431 du 24 juin 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 29 juillet 2022, sous le n° 22NC02046, M. D..., représenté par Me Airiau, demande à la cour, sous le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté attaqué ;

3°) d'enjoindre à l'autorité administrative compétente de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale ", subsidiairement de réexaminer sa situation sous couvert d'une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt et sous astreinte de cent-cinquante euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros à son avocat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire : ne repose pas sur un examen approfondi de sa situation personnelle et familiale ; est insuffisamment motivée ; ne tient pas compte de sa demande de titre de séjour pour raison de santé et n'examine pas son état de santé au regard des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; repose sur une erreur d'appréciation au regard du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ; repose sur une appréciation manifestement erronée de sa situation ;
- la décision fixant le pays de destination : est privée de base légale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ; viole les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales, l'article 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

II) Par une requête enregistrée le 29 juillet 2022, sous le numéro 22NC02047, M.D..., représenté par Me Airiau, demande à la cour, sous le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire de prononcer le sursis à exécution du jugement du 24 juin 2022.


M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 28 novembre 2022.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la constitution ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.


Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience publique.


A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. A....


Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant géorgien né en 1999, est entré en France en septembre 2020 et a sollicité la reconnaissance du statut de réfugié. Il a également déposé une demande de titre de séjour pour soins médicaux le 23 octobre 2020. Sa demande d'asile a été rejetée par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 12 avril 2022. Par un arrêté du 2 mai 2022, la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par les deux requêtes ci-dessus visées, qu'il y a lieu de joindre afin de statuer par un même arrêt, M. D... demande le sursis à exécution et relève appel du jugement du 24 juin 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

2. M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 28 novembre 2022. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions des requêtes tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :

3. Le présent arrêt se prononce sur l'appel de M. D... contre le jugement ci-dessus visé du 24 juin 2022. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête ci-dessus visée sous le n° 22NC02047 tendant au sursis à exécution de ce jugement.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

4. Il ressort des certificats médicaux circonstanciés du docteur C..., de l'Institut universitaire de réadaptation, des 23 mai et 22 juillet 2022, légèrement postérieurs à l'arrêté attaqué mais dépeignant nécessairement l'état de santé de l'intéressé au mois de mai 2022, que M. D... est atteint de tétraplégie à la suite d'une fracture de la colonne vertébrale, nécessitant l'usage permanent d'un fauteuil roulant et l'assistance d'une tierce personne pour les actes de la vie courante, assistance actuellement fournie par sa mère. L'incontinence urinaire et fécale ainsi que les graves escarres dont il est atteint l'exposent à de graves épisodes infectieux ayant donné lieu à des hospitalisations. Il ressort de ces certificats médicaux que l'état de santé de l'intéressé ne cesse de se dégrader, dans des conditions susceptibles d'entraîner des conséquences d'une extrême gravité en cas de défaut de prise en charge, et en particulier qu'il s'est aggravé depuis l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 11 mars 2021. Dans ces conditions, en obligeant le 2 mai 2022 M. D... à quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de la Géorgie après avoir rejeté implicitement sa demande de titre de séjour pour soins médicaux déposée le 23 octobre 2020, au seul vu de l'avis du collège de l'Ofii du 11 mars 2021, sans tenir compte de l'évolution depuis cet avis de son état de santé, la préfète du Bas-Rhin a apprécié de manière manifestement erronée la situation personnelle de M. D... ainsi que les conséquences, lesquelles seraient, au vu des certificats médicaux, disproportionnées, de ces décisions sur sa situation personnelle. Par suite, M. D... était fondé à demander l'annulation de l'arrêté attaqué.

5. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

6. L'annulation ci-dessus prononcée implique seulement que l'autorité préfectorale procède au réexamen de la situation de M. D..., notamment en ce qui concerne son état de santé, sous couvert d'une autorisation provisoire de séjour durant le temps de cet examen. Il y a lieu par suite d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin d'y procéder selon les modalités figurant au dispositif du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

7. M. D... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut prétendre au bénéfice de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Airiau, sous réserve de sa renonciation au versement de la part contributive de l'Etat à l'aide juridique, d'une somme de 1 500 euros au titre des frais que M. D... aurait exposés dans la présente instance s'il n'avait été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle.



D E C I D E :



Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et sur les conclusions de la requête ci-dessus visées sous le n° 22NC02047.

Article 2 : Le jugement n° 2203431 du 24 juin 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 3 : L'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 2 mai 2022 est annulé.

Article 4 : Il est enjoint à l'autorité préfectorale compétente de réexaminer la situation de M. D..., notamment en ce qui concerne son état de santé en sollicitant un nouvel avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer durant le temps de cette instruction une autorisation provisoire de séjour.
Article 5 : L'Etat versera à Me Airiau, sous réserve qu'il renonce au versement de la part contributive de l'Etat à l'aide juridique, la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M.Giorgi D..., à Me Airiau et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie du présent arrêt sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.


Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023.


Le rapporteur,
Signé : M. AgnelLe président,
Signé : J. Martinez
Le greffier,
Signé : J-Y. Gaillard


La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


Pour expédition conforme,
La greffière,




J-Y. Gaillard

N°s 22NC02046 et 22NC02047
2



Retourner en haut de la page