CAA de DOUAI, 2ème chambre, 14/03/2023, 22DA01818, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 21 janvier 2022 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2202805 du 20 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 21 janvier 2022 du préfet du Nord et lui a enjoint de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à M. A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 août 2022, le préfet du Nord demande à la Cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :
- il maintient ses moyens de défense présentés en première instance ;
- à supposer établie la marge d'erreur de la radiographie du poignet, après vérification auprès des autorités espagnoles, il a été mis en évidence un résultat positif de comparaison d'empreintes de l'intéressé avec M. B... A..., né le 1er janvier 1999, ce qui est de nature à jeter un doute sérieux sur la réalité de sa minorité à son arrivée sur le territoire français ;
- il appartient à l'étranger, et non à l'administration, d'établir qu'il est dépourvu de liens privés et familiaux dans son pays d'origine ;
- l'intégration de M. A... depuis son entrée sur le territoire fait l'objet d'un doute sérieux, puisqu'il a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement assortie d'une interdiction de retour d'un an le 16 août 2018 à laquelle il n'a pas déféré ;
- M. A... n'a pas de projet professionnel sérieux, abouti et cohérent, puisqu'il s'est d'abord dirigé vers un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) d'agent polyvalent de restauration avant de se réorienter en chaudronnerie industrielle ;
- ainsi, eu égard au parcours de vie particulièrement chaotique de M. A... en France et à la présence de liens privés et familiaux dans son pays d'origine, l'autorité administrative était fondée à lui refuser la délivrance d'un titre de séjour et à l'obliger à quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2022, M. D... A..., représenté par Me Eurielle Rivière, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et subsidiairement de procéder au réexamen de sa situation et, dans cette attente, de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle, sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- les moyens soulevés par le préfet du Nord ne sont pas fondés ;
- il maintient ses moyens d'annulation présentés en première instance.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Lille le 14 mars 2022.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.




Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Baronnet, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen né le 21 novembre 2003, est entré en mars 2019 en France où lui a été reconnue la qualité de mineur isolé. Par une ordonnance du 15 avril 2019, pris par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nîmes, il a été placé provisoirement auprès de l'aide sociale à l'enfance. Par suite, il a été transféré dans le département du Nord. Son placement a été confirmé par un jugement du juge des enfants près le tribunal judiciaire de Lille le 17 juin 2019 valable jusqu'au 17 juin 2021. Par une demande du 27 septembre 2021, M. A... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en faisant valoir sa qualité de mineur placé auprès de l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans. Par un arrêté du 21 janvier 2022, le préfet du Nord a refusé de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un jugement du 20 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé ledit arrêté et a enjoint au préfet du Nord de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Le préfet du Nord relève appel de ce jugement.


Sur l'aide judictionnelle :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ".

M. A... ayant conclu à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, doit être regardé comme ayant demandé le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire. M. A... ayant droit au maintien de l'aide juridictionnelle totale, en application de l'article 8 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer, en application des dispositions précitées de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, l'admission provisoire de M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.


Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté en litige : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française ".

4. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour de plein droit portant la mention " vie privée et familiale ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 421-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, il ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le juge de l'excès de pouvoir exerce sur cette appréciation un entier contrôle.

5. En l'espèce, l'intimé a produit un jugement supplétif du 29 octobre 2018 du tribunal de première instance de Kaloum (République de Guinée) jugeant que M. D... A... est né le 21 novembre 2003, qui a été transcrit dans le registre d'état-civil de Kaloum le 28 décembre 2018. Cette date de naissance a notamment été prise en compte par le tribunal pour enfants près la cour d'appel de Douai, sur le fondement des dispositions de l'article 47 du code civil qui dispose que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité (...) ", pour décider de son placement en assistance éducative en qualité de mineur isolé en application de l'article 375 du code civil. Si le préfet du Nord se prévaut d'une radiographie du poignet du 16 août 2018 dont il ressort un âge osseux théorique de 19 ans selon la méthode de Greulich et Pyle, compte tenu de la marge d'erreur susceptible d'affecter les résultats de ce type d'examen osseux et en l'absence de tout autre examen clinique, un âge de plus de seize ans ne peut être regardé, en l'espèce, comme acquis à la date de son placement à l'aide sociale à l'enfance (ASE). La circonstance qu'une comparaison d'empreintes ait donné un résultat positif auprès des autorités espagnoles, qui ont enregistré un dénommé Saidou A... avec pour date et lieu de naissance le 1er janvier 1999 en Guinée, entré illégalement en Espagne le 28 avril 2018 et en infraction avec la législation sur les étrangers le 29 juillet 2018, ainsi qu'il ressort d'un procès-verbal du 16 août 2018, ne suffit pas à remettre en cause l'extrait du registre d'état-civil du 28 décembre 2018 produit par M. A.... Le procès-verbal du 16 août 2018 dressé par les services de police pour des faits notamment de " déclaration fausse ou incomplète pour obtenir d'un organisme de protection sociale une allocation ou prestation indue " qui n'ont donné lieu à aucune poursuite pénale, et le fichier du traitement d'antécédents judiciaires au nom du requérant sur lequel sont reportées ces mentions du procès-verbal, ne permettent pas, alors que la matérialité des faits en cause est contestée par M. A..., de caractériser l'existence de la menace pour l'ordre public alléguée par le préfet. Dans ces conditions, M. A... doit être regardé comme ayant été confié à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans.




6. Le préfet du Nord fait valoir la réorientation de M. A... pour contester le sérieux du suivi de sa formation. Cependant, il ressort des pièces du dossier qu'après des débuts difficiles, dont atteste son bulletin du premier trimestre 2019-2020, M. A... a fait de sérieux et de réels progrès, ainsi qu'en justifie son bulletin du premier trimestre 2020-2021. Ses bilans individuels d'insertion professionnelle montrent que s'il a d'abord effectué un stage dans le domaine de la restauration, il a en parallèle participé à différents ateliers de découverte de métiers, et a trouvé un poste d'apprenti en chaudronnerie, qui a donné lieu à la signature d'un contrat d'apprentissage en décembre 2020, l'employeur étant satisfait et l'apprenti étant sérieux et assidu. Dans ces circonstances, M. A... ne peut être regardé comme dépourvu d'un projet professionnel sérieux.

7. Le préfet du Nord soutient qu'il incombe à l'étranger, et non à l'administration, d'établir que l'intéressé est dépourvu de liens privés et familiaux dans son pays d'origine. Cependant, d'une part, les dispositions de l'article L. 423-22 précité n'exigent pas que le demandeur soit isolé dans son pays d'origine et, d'autre part, la délivrance du titre doit procéder d'une appréciation globale sur la situation de la personne concernée au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française. En l'espèce, si M. A... a en Guinée ses parents et sa sœur, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... entretienne avec sa famille demeurée dans son pays d'origine des liens d'une particulière intensité, ni même de quelconques relations, alors qu'il poursuit depuis son placement en 2019 une formation professionnelle sérieuse et assidue. En outre, plusieurs pièces au dossier, notamment une attestation du responsable de son centre de formation, une attestation de son employeur en contrat d'apprentissage, et une attestation sportive du Sporting Club d'Hazebrouck, justifient de la bonne insertion, professionnelle et extra-professionnelle, de M. A... dans la société française. Dans ces circonstances, le préfet ne pouvait, sans entacher sa décision d'une erreur d'appréciation, refuser la délivrance du titre sollicité.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille, par le jugement du 20 juillet 2022, a annulé son arrêté du 21 janvier 2022 et lui a enjoint de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à M. A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.


Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte de M. A... :

9. L'exécution de la présente décision implique nécessairement que le préfet du Nord délivre à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord ait déjà exécuté l'injonction prononcée par les premiers juges, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de confirmer cette injonction de procéder à la délivrance de ce titre dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.






Sur les frais liés au litige :

9. Le présent arrêt accorde à M. A... le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Rivière, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Rivière de la somme de 1 000 euros.










































DÉCIDE :


Article 1er : M. A... est admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : La requête du préfet du Nord est rejetée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Nord de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Rivière une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1997, sous réserve que Me Rivière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. D... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord et à Me Eurielle Rivière.

Délibéré après l'audience du 21 février 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2023.

L'assesseur le plus ancien,
Signé : G. VandenbergheLe président-rapporteur,
Signé : M. C...La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
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N°22DA01818



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