CAA de NANTES, 3ème chambre, 16/03/2023, 22NT03493, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 8 avril 2022 par lequel le préfet du Calvados lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office.

Par un jugement n° 2201348 du 12 octobre 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 novembre 2022, M. C..., représenté par Me Launois-Fondaneche, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 12 octobre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du calvados du 8 avril 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Calvados, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de
100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
.

Il soutient que :
- le refus de titre de séjour est entaché d'une insuffisante motivation et d'un défaut d'examen particulier de sa situation ; notamment, le préfet a omis de se prononcer sur sa demande d'admission exceptionnelle au séjour ;
- il est entaché d'erreur de fait et de droit en lui opposant le défaut de visa de long séjour alors qu'il bénéficie d'une dispense de visa en raison de son entrée régulière en application de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation ;
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2022, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par M. C... ne sont pas fondés.


Vu les pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, signée à Schengen le 19 juin 1990, publiée par le décret n° 95-304 du 21 mars 1995 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., né le 9 septembre 1989, de nationalité marocaine, est entré en France le 29 mai 2014. Le 14 avril 2021, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française, sur le fondement de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 8 avril 2022, le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office. M. C... relève appel du jugement du 12 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 avril 2022.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 423-1du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger marié avec un ressortissant français, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an lorsque les conditions suivantes sont réunies : / 1° La communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ; 2° Le conjoint a conservé la nationalité française ; 3° Lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, il a été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français. " Aux termes de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, entré régulièrement et marié en France avec un ressortissant français avec lequel il justifie d'une vie commune et effective de six mois en France, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an.
La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ". L'article L. 412-1 de ce code subordonne la délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle à la production par l'étranger du visa de long séjour. Enfin, en vertu de l'article R. 431-8 du même code, l'étranger titulaire d'un document de séjour doit, en l'absence de présentation de demande de délivrance d'un nouveau document de séjour six mois après sa date d'expiration, justifier à nouveau, pour l'obtention d'un document de séjour, des conditions requises pour l'entrée sur le territoire national lorsque la possession d'un visa est requise pour la première délivrance d'un document de séjour.

3. En vertu de ces dispositions, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire est en principe, sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par la loi, subordonnée à la production par l'étranger d'un visa d'une durée supérieure à trois mois. Il en va différemment pour l'étranger déjà admis à séjourner en France et qui sollicite le renouvellement, même sur un autre fondement, de la carte de séjour temporaire dont il est titulaire. Lorsqu'un étranger présente, après l'expiration du délai de renouvellement du titre qu'il détenait précédemment, une nouvelle demande de titre de séjour, cette demande de titre doit être regardée comme une première demande à laquelle la condition de la détention d'un visa de long séjour peut être opposé. S'agissant d'un conjoint de Français, l'octroi de ce visa est de droit, sauf en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. Enfin, lorsque la durée de séjour en France de l'étranger avec son conjoint de nationalité française est supérieure à six mois et qu'il justifie d'une entrée régulière, sa demande de visa est déposée en France auprès de l'autorité compétente pour examiner sa demande de titre de séjour.

4. Pour refuser à M. C... la délivrance du titre de séjour en qualité de conjoint de Français, le préfet du Calvados s'est fondé, d'une part, sur la circonstance qu'il ne justifie pas être entré en France sous couvert du visa de long séjour prévu par l'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et que, d'autre part, il ne peut bénéficier de la dérogation à l'obligation de justification d'un visa de long séjour prévue par l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faute de justifier d'une entrée régulière sur le territoire français.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., entré en France le 29 mai 2014, sous couvert d'un visa de court séjour " Schengen " qui lui a été délivré par les autorités consulaires espagnoles sans justifier avoir effectué la déclaration prévue par l'article 22 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, a bénéficié d'un titre de séjour temporaire pour raisons de santé sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11, désormais codifié à l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile valable du 29 mai 2015 au 28 mai 2016. Le titre de séjour qui lui a été ainsi délivré pour raisons de santé a eu pour effet de régulariser sa situation quant aux conditions d'entrée en France, pour l'application de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile cité plus haut, et ne permettait plus au préfet du Calvados de lui opposer l'absence de visa de long séjour ou une entrée irrégulière pour fonder son refus de lui délivrer le titre de séjour temporaire qu'il sollicite en qualité de conjoint d'une ressortissante Française.
6. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. C... réside de manière continue sur le territoire français depuis le 29 mai 2014 et qu'il vit depuis 2019 avec une ressortissante française avec laquelle il s'est marié à Caen le 6 juin 2020. Eu égard à ce qui a été dit au point précédent, il remplit ainsi toutes les conditions requises par les dispositions de l'article L. 423-2 pour se voir délivrer un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de conjoint d'une ressortissante française. Il s'ensuit que c'est par une inexacte application de ces dispositions que le préfet du Calvados lui a refusé la délivrance de ce titre.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus de titre de séjour qui lui a été opposé le 8 avril 2022. La décision portant obligation de quitter le territoire français et celle fixant le pays de renvoi doivent être annulées par voie de conséquence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit délivré à M. C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de conjoint d'une ressortissante française. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer ce titre de séjour et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sans qu'il n'y ait lieu, d'assortir cette injonction de l'astreinte sollicitée.
Sur les frais liés à l'instance :
9. En application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 12 octobre 2022 et l'arrêté du 8 avril 2022 du préfet du Calvados sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Calvados de délivrer à M. C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,
- Mme Lellouch, première conseillère,
- M. Catroux, premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023.


La rapporteure,
J. B...
Le président,
D. Salvi
Le greffier,
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22NT03493



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