Conseil d'État, 7ème chambre, 14/03/2023, 465456, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Chassaing TP a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, en premier lieu, d'ordonner à la communauté d'agglomération du Grand Cahors de corriger les vices affectant la procédure de passation de l'accord-cadre à bons de commande pour des travaux de réparation et d'extension des réseaux d'assainissement, en deuxième lieu, d'enjoindre à la communauté d'agglomération d'interrompre l'exécution de la décision du 25 mai 2022, notifiée le 3 juin suivant, rejetant les offres présentées et, en dernier lieu, d'enjoindre à la communauté d'agglomération, si elle entend poursuivre la procédure en vue de l'attribution du marché, de reprendre cette procédure au stade de la sélection des offres et de respecter ses obligations de mise en concurrence.

Par une ordonnance n° 2203148 du 21 juin 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a enjoint à la communauté d'agglomération du Grand Cahors, d'une part, d'interrompre sans délai l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du marché objet de l'accord-cadre litigieux et, d'autre part, si elle entendait poursuivre la réalisation du programme de travaux publics en litige, de reprendre la procédure de passation dans son ensemble au stade de la définition des lots susceptibles d'y figurer.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 et 19 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté d'agglomération du Grand Cahors demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Chassaing TP ;

3°) de mettre à la charge de la société Chassaing TP la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Guillarme, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la communaute d'agglomération du Grand Cahors et à la SCP Krivine, Viaud, avocat de la société Chassaing TP ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 février 2023, présentée par la société Chassaing TP ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de L. 551-5 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les entités adjudicatrices de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation (...). / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse que, par un avis d'appel public à la concurrence régulièrement publié, la communauté d'agglomération du Grand Cahors a, en qualité d'entité adjudicatrice, lancé une consultation en vue de la passation d'un accord-cadre à bons de commande, d'une durée de cinq ans, comportant trois lots, pour la réalisation de travaux d'extension, de réhabilitation et de réparation des réseaux d'assainissement ainsi que des travaux de branchements et de réparations ponctuelles sur ce même réseau. La société Chassaing TP, qui estime que l'offre qu'elle a présentée dans le cadre de cette consultation a été écartée à tort comme anormalement basse, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 25 mai 2022 rejetant les offres présentées et à ce qu'il soit enjoint à la communauté d'agglomération du Grand Cahors de reprendre la procédure au stade de la sélection des offres. Par une ordonnance du 21 juin 2022, contre laquelle la communauté d'agglomération se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif a enjoint à celle-ci, d'une part d'interrompre sans délai l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du marché en litige et, d'autre part, si elle entendait poursuivre la réalisation du programme de travaux publics en litige, de reprendre la procédure de passation dans son ensemble au stade de la définition des lots susceptibles d'y figurer.

3. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ". En vertu de l'article L. 2152-6 du même code : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre (...) ".

4. Il résulte des dispositions du code de la commande publique citées au point 3 que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Le caractère anormalement bas ou non d'une offre ne saurait résulter du seul constat d'un écart de prix important entre cette offre et d'autres offres que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier et il appartient notamment au juge du référé précontractuel, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse que, par lettre du 1er avril 2022, la communauté d'agglomération a demandé à la société Chassaing TP d'apporter, d'une part, les explications générales de nature à justifier les prix proposés, lesquels étaient en deçà de l'estimation et de la moyenne des autres offres avec des écarts importants et, d'autre part, tous éléments justificatifs pour une liste non exhaustive de prestations dont les coûts et prix apparaissaient incohérents. Au vu de la réponse de la société, le président de la communauté d'agglomération a rejeté son offre comme anormalement basse. Il a relevé, en premier lieu, que la société n'avait pas produit d'explication générale sur les tarifs appliqués, lesquels apparaissaient particulièrement bas en comparaison de l'estimation du pouvoir adjudicateur et des prix résultants des offres concurrentes, en deuxième lieu, que les détails complémentaires demandés pour certaines prestations n'apparaissaient pas en adéquation avec le descriptif du chantier-exemple produit dans le mémoire technique de l'entreprise, en troisième lieu, que les détails complémentaires demandés pour certaines prestations comportaient toujours des imprécisions et carences et, en dernier lieu, que les réponses apportées par la société Chassaing TP comportaient des incohérences dans les justifications apportées, ces deux dernières considérations étant assorties d'exemples précis. En estimant que la procédure ainsi suivie par la communauté d'agglomération méconnaissait les obligations de celle-ci rappelées aux points 3 et 4, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la communauté d'agglomération du Grand Cahors est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.

8. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le moyen tiré de ce que la communauté d'agglomération aurait méconnu la procédure applicable en cas de suspicion d'une offre anormalement basse doit être écarté.

9. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les précisions et justifications apportées par la société Chassaing TP ne sont pas suffisantes pour que le prix qu'elle a proposé pour chacun des trois lots ne soit pas regardé, d'une part, eu égard à l'ensemble des coûts nécessaires à la réalisation des prestations en cause, comme manifestement sous-évalué et, d'autre part, dans les circonstances de l'espèce, comme susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. Dès lors, la société Chassaing n'est pas fondée à soutenir qu'en écartant son offre comme anormalement basse, le pouvoir adjudicateur aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire. / Les offres sont appréciées lot par lot. / (...) ".

11. Il résulte de ce qui a été dit au point 9 que la société Chassaing TP n'est pas fondée à soutenir que la communauté d'agglomération aurait méconnu les dispositions de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique en ne retenant pas son offre alors qu'elle était économiquement la plus avantageuse.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble des conclusions présentées par la société Chassaing TP doivent être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative tant devant le Conseil d'Etat que devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Chassaing TP, sur le fondement des mêmes dispositions, la somme de 4 500 euros à verser à la communauté d'agglomération du Grand Cahors au titre de l'ensemble de la procédure.





D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 21 juin 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Chassaing TP devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse est rejetée.
Article 3 : La société Chassaing TP versera la somme de 4 500 euros à la communauté d'agglomération du Grand Cahors au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Chassaing TP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la communauté d'agglomération du Grand Cahors et à la société Chassaing TP.
Copie en sera adressée à la société Capraro et Cie et à la société TTPR Services.

ECLI:FR:CECHS:2023:465456.20230314
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