Conseil d'État, 9ème chambre, 20/02/2023, 461284, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État, 9ème chambre, 20/02/2023, 461284, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - 9ème chambre
- N° 461284
- ECLI:FR:CECHS:2023:461284.20230220
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
lundi
20 février 2023
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. B... et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales, de contribution sur les hauts revenus et des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011. Par un jugement n° 1604720 du 19 avril 2017, le tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement prononcé en cours d'instance et rejeté le surplus de leur demande.
Par un arrêt n° 17PA01421 du 12 juillet 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. et Mme C... contre ce jugement.
Par une décision n°s 424052, 424062 du 22 juillet 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Paris.
Par un arrêt n° 20PA01893 du 8 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. et Mme C... contre le jugement du 19 avril 2017.
Par un pourvoi sommaire et trois mémoires complémentaires, enregistrés les 8 février et 9 mai 2022 et les 23 et 25 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme C... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de M. et Mme C... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 janvier 2023, présentée par
M. et Mme C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2010 et en 2011, l'administration fiscale a écarté la comptabilité de la société JB3C qui exerce une activité de bar-brasserie, comme non probante et reconstitué les recettes de la période vérifiée. Les minorations de recettes ont été regardées comme des revenus distribués à M. C..., associé de la société JB3C, imposables en application du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts. Par un jugement du 19 avril 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes de M. et Mme C... tendant à la décharge de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution sur les hauts revenus au titre des années 2010 et 2011 résultant de cette rectification. Ils demandent l'annulation de l'arrêt du 8 décembre 2021 de la cour administrative d'appel de Paris qui, statuant sur renvoi après cassation d'un premier arrêt du 12 juillet 2018 par décision du 22 juillet 2020 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rejeté de nouveau leur appel contre ce jugement.
2. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que lors des opérations de contrôle de la société JB3C, le vérificateur a estimé que la comptabilité comportait de graves irrégularités et procédé à la reconstitution des recettes et résultats taxables et que le prix moyen d'un repas hors boisson, fixé selon une moyenne arithmétique du prix des entrées, des plats et des desserts inscrits à la carte, commandés pour moitié selon une formule entrée et plat, et pour moitié selon une formule plat et dessert, a été estimé à 21 euros en 2010 et 24 euros en 2011. La cour a estimé que les requérants n'établissaient pas que ce prix moyen était excessif en se bornant à retenir une journée par mois choisie par eux au cours de la période de juin à décembre 2013, alors que, selon elle, rien ne permettait de constater que cette journée était significative de l'activité moyenne de l'année 2013, et qu'aucun élément ne permettait de s'assurer du caractère probant du document établi prétendument au vu des bandes de contrôles exploitées au cours de 240 jours courant du 1er mai au 31 décembre 2013, soit postérieurement au début des opérations de vérification.
3. En statuant ainsi, alors qu'il ressort des pièces du dossier que pour critiquer le prix moyen retenu par le vérificateur, les requérants avaient produit, à l'appui de leur réclamation préalable, un document retraçant les ventes effectuées entre le 1er mai et le 31 décembre 2013, soit au cours de 240 jours, dont il résultait un prix du ticket moyen de 18,61 euros, et indiqué tenir les bandes de contrôle à disposition pour vérification, et que l'administration s'est bornée, au vu de ses dernières écritures figurant dans son mémoire en défense devant la cour enregistré le 5 janvier 2021, à écarter cette contestation au seul motif que le prix des consommations en 2013 était supérieur à celui des exercices vérifiés, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
4. Il suit de là, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que les requérant sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
5. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, de seconds pourvois en cassation, il lui incombe de régler les affaires au fond.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
6. En premier lieu, les vices susceptibles d'affecter la décision par laquelle l'administration statue sur la réclamation préalable du contribuable sont sans influence sur la régularité ou le bien-fondé des impositions contestées. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision prise sur la réclamation de M. et Mme C... serait insuffisamment motivée doit être écarté.
7. En second lieu, en vertu du principe d'indépendance des procédures, les moyens relatifs à la régularité de la procédure d'imposition suivie à l'encontre d'une société soumise au régime d'imposition des sociétés de capitaux sont sans influence sur les impositions personnelles mises à la charge des bénéficiaires des revenus de capitaux mobiliers distribués par cette société. Par suite, M. et Mme C... ne peuvent utilement faire valoir, pour contester les impositions en litige, que la procédure de vérification de comptabilité de la société JB3C était irrégulière. Dès lors, ce moyen doit être écarté.
Sur la reconstitution des recettes de la société JB3C :
8. Il résulte de l'instruction que lors de la vérification de la comptabilité de la société JB3C, le vérificateur a relevé que la société n'avait pas été en mesure de présenter les doubles des notes de restaurant, les tickets de caisse et les tickets Z, de nature à justifier du détail de ses recettes, que les recettes étaient globalisées et reportées quotidiennement sur une feuille de papier, que les achats n'avaient pas été comptabilisés et que l'inventaire des stocks était imprécis, incomplet et présentait de nombreuses anomalies. Dans ces conditions, le vérificateur a estimé que la comptabilité n'était pas probante et a procédé à la reconstitution des recettes et résultats taxables selon la méthode dite " des serviettes ". En exploitant les factures de blanchisserie et après avoir appliqué un abattement de 10 % pour tenir compte des serviettes utilisées par le personnel et de leur remplacement, il a déterminé le nombre moyen de repas servis quotidiennement à 131 repas au titre de 2010 et 132 repas au titre de 2011. Le prix moyen d'un repas a été fixé selon une moyenne arithmétique du prix des entrées, des plats et des desserts inscrits à la carte, commandés pour moitié selon une formule entrée et plat, et pour moitié selon une formule plat et dessert. Après avoir effectué la moyenne de ces formules, le prix d'un repas a été estimé à 21 euros en 2010 et à 24 euros en 2011. Ce prix moyen de ticket a été, ensuite, multiplié par le nombre moyen de repas estimé afin d'obtenir le montant du chiffre d'affaires de l'activité de brasserie hors boisson, représentant 35 % du chiffre d'affaires total. Le montant du chiffre d'affaire total obtenu a été corrigé en appliquant un taux forfaitaire de 0,54 % d'offerts à la clientèle.
9. En premier lieu, au vu des anomalies entachant la comptabilité de la société JB3C mentionnées au point précédent, le vérificateur a pu valablement considérer que la comptabilité n'était pas probante et procéder à une reconstitution du chiffre d'affaires.
10. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que la méthode de reconstitution des recettes dites " des serviettes " mise en œuvre par le vérificateur est inadaptée à l'activité de la société JB3C consistant principalement en une activité de café-bar. Toutefois, il résulte de l'instruction que la méthode " des serviettes " n'a été utilisée que pour reconstituer les recettes de l'activité de brasserie dont le vérificateur a admis qu'elles ne représentaient que 35 % du chiffre d'affaires d'ensemble ainsi qu'il l'a été dit au point 8, la société ayant indiqué lors du contrôle que celui lié à la vente de liquides représentait 65 % du total. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la méthode dite " des liquides ", revendiquée par les requérants, n'a pas été mise en œuvre faute pour la société JB3C de présenter les doubles de notes de restaurant, les tickets de caisse et les tickets Z pour la période vérifiée et compte tenu des nombreuses anomalies affectant les inventaires de stocks des vins, alcools forts et sodas, lesquels ne mentionnaient notamment ni le poids, ni le format de conditionnement ni la contenance des différents produits.
11. En troisième lieu, si les requérants contestent les paramètres retenus par le vérificateur, il ne résulte pas de l'instruction que le nombre moyen de 131 repas journaliers, pour l'année 2010, et de 132, pour l'année 2011, serait exagéré. Il n'apparaît pas non plus que l'abattement de 10 % appliqué pour tenir compte du remplacement des serviettes et de celles utilisées par le personnel en salle et en cuisine aurait été insuffisant.
12. En revanche, les requérants font valoir que le prix moyen du ticket hors boisson fixé par le vérificateur à 21 euros pour 2010 et à 24 euros pour 2011 est anormalement supérieur à celui constaté au titre des années vérifiées, qui s'élèverait, en dernier lieu, à 16,24 euros pour 2010 et 17,91 euros pour 2011. Ils produisent à cet effet des bandes de contrôles exploitées au cours de 240 jours courant du 1er mai au 31 décembre 2013 dont il résulte un prix du ticket moyen de 18,61 euros, inférieur à ceux retenus par le vérificateur, lesquels ne prenaient en compte ni la popularité des plats de la carte ni le fait que de nombreux clients se limitent à un seul plat pour le déjeuner. Le ministre ne critique pas utilement ces données en se bornant à alléguer que les conditions d'exploitation auraient évolué entre les années d'imposition et l'année 2013. Par suite, le moyen tiré de la surévaluation du prix du ticket moyen issu de la reconstitution doit être accueilli. Dès lors il convient, dans les circonstances de l'espèce, de fixer le prix du ticket moyen à 18,61 euros pour les deux années vérifiées.
13. En dernier lieu, les requérants proposent deux méthodes alternatives, celle dite " des liquides " et celle dite " des serviettes corrigée ", fondées sur des éléments tirés de l'exploitation de l'année 2013. Toutefois, d'une part, les chiffres d'affaires de 1 303 660 euros en 2010 et de 1 371 639 euros en 2011 obtenus à partir de la méthode dite " des liquides " proposée par les requérants, sont inférieurs aux chiffres d'affaires déclarés par la société et regardés comme douteux par le vérificateur. D'autre part, le prix du ticket moyen tel qu'il est réformé au point précédent prend en compte les éléments retenus par les requérants dans la méthode dite " des serviettes corrigée " qu'ils proposent.
Sur l'appréhension des revenus distribués à M. C... :
14. Les requérants n'ayant pas accepté les rectifications en litige, lesquelles leur ont été notifiées selon la procédure contradictoire, il incombe à l'administration de démontrer l'appréhension par M. C... des revenus distribués en cause. L'administration est réputée apporter cette preuve lorsqu'elle établit que l'intéressé disposait seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, était en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et devait ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire.
15. Il est constant que M. C... était, au cours de années en cause, le gérant de droit de la société JB3C dont il détenait 50,10 % du capital social. En outre, il résulte de l'instruction que M. C... était le seul détenteur de la signature sur les comptes bancaires de la société, qu'il était en rapport avec les fournisseurs, qu'il recrutait et gérait le personnel et qu'il signait les déclarations de résultats déposées par la société. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a considéré que M. C... était le maître de l'affaire et devait, par suite, être regardé comme ayant appréhendé les sommes réputées distribuées par la société JB3C.
16. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 19 avril 2017, suffisamment motivé, le tribunal administratif de Paris, qui a correctement appliqué les règles relatives à la dévolution de la charge de la preuve, n'a pas prononcé la décharge des impositions en litige résultant de la réduction des bases mentionnées au point 12 ci-dessus.
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 8 décembre 2021 est annulé.
Article 2 : Le prix du ticket moyen hors boisson à prendre en compte pour la reconstitution du chiffre d'affaires de la société JB3C pour 2010 et 2011 est fixé à 18,61 euros.
Article 3 : M. et Mme C... sont déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales, de contribution sur les hauts revenus et des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011 résultant de la réduction des bases arrêtée à l'article 2.
Article 4 : Le jugement n° 1604720 du tribunal administratif de Paris du 19 avril 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. et Mme C... est rejeté.
Article 6 : L'Etat versera à M. et Mme C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. B... et Mme A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 janvier 2023 où siégeaient :
Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 20 février 2023.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Wafak Salem
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :
ECLI:FR:CECHS:2023:461284.20230220
M. B... et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales, de contribution sur les hauts revenus et des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011. Par un jugement n° 1604720 du 19 avril 2017, le tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement prononcé en cours d'instance et rejeté le surplus de leur demande.
Par un arrêt n° 17PA01421 du 12 juillet 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. et Mme C... contre ce jugement.
Par une décision n°s 424052, 424062 du 22 juillet 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Paris.
Par un arrêt n° 20PA01893 du 8 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. et Mme C... contre le jugement du 19 avril 2017.
Par un pourvoi sommaire et trois mémoires complémentaires, enregistrés les 8 février et 9 mai 2022 et les 23 et 25 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme C... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de M. et Mme C... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 janvier 2023, présentée par
M. et Mme C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2010 et en 2011, l'administration fiscale a écarté la comptabilité de la société JB3C qui exerce une activité de bar-brasserie, comme non probante et reconstitué les recettes de la période vérifiée. Les minorations de recettes ont été regardées comme des revenus distribués à M. C..., associé de la société JB3C, imposables en application du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts. Par un jugement du 19 avril 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes de M. et Mme C... tendant à la décharge de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution sur les hauts revenus au titre des années 2010 et 2011 résultant de cette rectification. Ils demandent l'annulation de l'arrêt du 8 décembre 2021 de la cour administrative d'appel de Paris qui, statuant sur renvoi après cassation d'un premier arrêt du 12 juillet 2018 par décision du 22 juillet 2020 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rejeté de nouveau leur appel contre ce jugement.
2. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que lors des opérations de contrôle de la société JB3C, le vérificateur a estimé que la comptabilité comportait de graves irrégularités et procédé à la reconstitution des recettes et résultats taxables et que le prix moyen d'un repas hors boisson, fixé selon une moyenne arithmétique du prix des entrées, des plats et des desserts inscrits à la carte, commandés pour moitié selon une formule entrée et plat, et pour moitié selon une formule plat et dessert, a été estimé à 21 euros en 2010 et 24 euros en 2011. La cour a estimé que les requérants n'établissaient pas que ce prix moyen était excessif en se bornant à retenir une journée par mois choisie par eux au cours de la période de juin à décembre 2013, alors que, selon elle, rien ne permettait de constater que cette journée était significative de l'activité moyenne de l'année 2013, et qu'aucun élément ne permettait de s'assurer du caractère probant du document établi prétendument au vu des bandes de contrôles exploitées au cours de 240 jours courant du 1er mai au 31 décembre 2013, soit postérieurement au début des opérations de vérification.
3. En statuant ainsi, alors qu'il ressort des pièces du dossier que pour critiquer le prix moyen retenu par le vérificateur, les requérants avaient produit, à l'appui de leur réclamation préalable, un document retraçant les ventes effectuées entre le 1er mai et le 31 décembre 2013, soit au cours de 240 jours, dont il résultait un prix du ticket moyen de 18,61 euros, et indiqué tenir les bandes de contrôle à disposition pour vérification, et que l'administration s'est bornée, au vu de ses dernières écritures figurant dans son mémoire en défense devant la cour enregistré le 5 janvier 2021, à écarter cette contestation au seul motif que le prix des consommations en 2013 était supérieur à celui des exercices vérifiés, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
4. Il suit de là, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que les requérant sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
5. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, de seconds pourvois en cassation, il lui incombe de régler les affaires au fond.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
6. En premier lieu, les vices susceptibles d'affecter la décision par laquelle l'administration statue sur la réclamation préalable du contribuable sont sans influence sur la régularité ou le bien-fondé des impositions contestées. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision prise sur la réclamation de M. et Mme C... serait insuffisamment motivée doit être écarté.
7. En second lieu, en vertu du principe d'indépendance des procédures, les moyens relatifs à la régularité de la procédure d'imposition suivie à l'encontre d'une société soumise au régime d'imposition des sociétés de capitaux sont sans influence sur les impositions personnelles mises à la charge des bénéficiaires des revenus de capitaux mobiliers distribués par cette société. Par suite, M. et Mme C... ne peuvent utilement faire valoir, pour contester les impositions en litige, que la procédure de vérification de comptabilité de la société JB3C était irrégulière. Dès lors, ce moyen doit être écarté.
Sur la reconstitution des recettes de la société JB3C :
8. Il résulte de l'instruction que lors de la vérification de la comptabilité de la société JB3C, le vérificateur a relevé que la société n'avait pas été en mesure de présenter les doubles des notes de restaurant, les tickets de caisse et les tickets Z, de nature à justifier du détail de ses recettes, que les recettes étaient globalisées et reportées quotidiennement sur une feuille de papier, que les achats n'avaient pas été comptabilisés et que l'inventaire des stocks était imprécis, incomplet et présentait de nombreuses anomalies. Dans ces conditions, le vérificateur a estimé que la comptabilité n'était pas probante et a procédé à la reconstitution des recettes et résultats taxables selon la méthode dite " des serviettes ". En exploitant les factures de blanchisserie et après avoir appliqué un abattement de 10 % pour tenir compte des serviettes utilisées par le personnel et de leur remplacement, il a déterminé le nombre moyen de repas servis quotidiennement à 131 repas au titre de 2010 et 132 repas au titre de 2011. Le prix moyen d'un repas a été fixé selon une moyenne arithmétique du prix des entrées, des plats et des desserts inscrits à la carte, commandés pour moitié selon une formule entrée et plat, et pour moitié selon une formule plat et dessert. Après avoir effectué la moyenne de ces formules, le prix d'un repas a été estimé à 21 euros en 2010 et à 24 euros en 2011. Ce prix moyen de ticket a été, ensuite, multiplié par le nombre moyen de repas estimé afin d'obtenir le montant du chiffre d'affaires de l'activité de brasserie hors boisson, représentant 35 % du chiffre d'affaires total. Le montant du chiffre d'affaire total obtenu a été corrigé en appliquant un taux forfaitaire de 0,54 % d'offerts à la clientèle.
9. En premier lieu, au vu des anomalies entachant la comptabilité de la société JB3C mentionnées au point précédent, le vérificateur a pu valablement considérer que la comptabilité n'était pas probante et procéder à une reconstitution du chiffre d'affaires.
10. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que la méthode de reconstitution des recettes dites " des serviettes " mise en œuvre par le vérificateur est inadaptée à l'activité de la société JB3C consistant principalement en une activité de café-bar. Toutefois, il résulte de l'instruction que la méthode " des serviettes " n'a été utilisée que pour reconstituer les recettes de l'activité de brasserie dont le vérificateur a admis qu'elles ne représentaient que 35 % du chiffre d'affaires d'ensemble ainsi qu'il l'a été dit au point 8, la société ayant indiqué lors du contrôle que celui lié à la vente de liquides représentait 65 % du total. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la méthode dite " des liquides ", revendiquée par les requérants, n'a pas été mise en œuvre faute pour la société JB3C de présenter les doubles de notes de restaurant, les tickets de caisse et les tickets Z pour la période vérifiée et compte tenu des nombreuses anomalies affectant les inventaires de stocks des vins, alcools forts et sodas, lesquels ne mentionnaient notamment ni le poids, ni le format de conditionnement ni la contenance des différents produits.
11. En troisième lieu, si les requérants contestent les paramètres retenus par le vérificateur, il ne résulte pas de l'instruction que le nombre moyen de 131 repas journaliers, pour l'année 2010, et de 132, pour l'année 2011, serait exagéré. Il n'apparaît pas non plus que l'abattement de 10 % appliqué pour tenir compte du remplacement des serviettes et de celles utilisées par le personnel en salle et en cuisine aurait été insuffisant.
12. En revanche, les requérants font valoir que le prix moyen du ticket hors boisson fixé par le vérificateur à 21 euros pour 2010 et à 24 euros pour 2011 est anormalement supérieur à celui constaté au titre des années vérifiées, qui s'élèverait, en dernier lieu, à 16,24 euros pour 2010 et 17,91 euros pour 2011. Ils produisent à cet effet des bandes de contrôles exploitées au cours de 240 jours courant du 1er mai au 31 décembre 2013 dont il résulte un prix du ticket moyen de 18,61 euros, inférieur à ceux retenus par le vérificateur, lesquels ne prenaient en compte ni la popularité des plats de la carte ni le fait que de nombreux clients se limitent à un seul plat pour le déjeuner. Le ministre ne critique pas utilement ces données en se bornant à alléguer que les conditions d'exploitation auraient évolué entre les années d'imposition et l'année 2013. Par suite, le moyen tiré de la surévaluation du prix du ticket moyen issu de la reconstitution doit être accueilli. Dès lors il convient, dans les circonstances de l'espèce, de fixer le prix du ticket moyen à 18,61 euros pour les deux années vérifiées.
13. En dernier lieu, les requérants proposent deux méthodes alternatives, celle dite " des liquides " et celle dite " des serviettes corrigée ", fondées sur des éléments tirés de l'exploitation de l'année 2013. Toutefois, d'une part, les chiffres d'affaires de 1 303 660 euros en 2010 et de 1 371 639 euros en 2011 obtenus à partir de la méthode dite " des liquides " proposée par les requérants, sont inférieurs aux chiffres d'affaires déclarés par la société et regardés comme douteux par le vérificateur. D'autre part, le prix du ticket moyen tel qu'il est réformé au point précédent prend en compte les éléments retenus par les requérants dans la méthode dite " des serviettes corrigée " qu'ils proposent.
Sur l'appréhension des revenus distribués à M. C... :
14. Les requérants n'ayant pas accepté les rectifications en litige, lesquelles leur ont été notifiées selon la procédure contradictoire, il incombe à l'administration de démontrer l'appréhension par M. C... des revenus distribués en cause. L'administration est réputée apporter cette preuve lorsqu'elle établit que l'intéressé disposait seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, était en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et devait ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire.
15. Il est constant que M. C... était, au cours de années en cause, le gérant de droit de la société JB3C dont il détenait 50,10 % du capital social. En outre, il résulte de l'instruction que M. C... était le seul détenteur de la signature sur les comptes bancaires de la société, qu'il était en rapport avec les fournisseurs, qu'il recrutait et gérait le personnel et qu'il signait les déclarations de résultats déposées par la société. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a considéré que M. C... était le maître de l'affaire et devait, par suite, être regardé comme ayant appréhendé les sommes réputées distribuées par la société JB3C.
16. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 19 avril 2017, suffisamment motivé, le tribunal administratif de Paris, qui a correctement appliqué les règles relatives à la dévolution de la charge de la preuve, n'a pas prononcé la décharge des impositions en litige résultant de la réduction des bases mentionnées au point 12 ci-dessus.
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 8 décembre 2021 est annulé.
Article 2 : Le prix du ticket moyen hors boisson à prendre en compte pour la reconstitution du chiffre d'affaires de la société JB3C pour 2010 et 2011 est fixé à 18,61 euros.
Article 3 : M. et Mme C... sont déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales, de contribution sur les hauts revenus et des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011 résultant de la réduction des bases arrêtée à l'article 2.
Article 4 : Le jugement n° 1604720 du tribunal administratif de Paris du 19 avril 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. et Mme C... est rejeté.
Article 6 : L'Etat versera à M. et Mme C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. B... et Mme A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 janvier 2023 où siégeaient :
Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 20 février 2023.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Wafak Salem
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :