CAA de PARIS, 5ème chambre, 17/02/2023, 21PA06066, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Institut de recherche en sémiologie de l'expression a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014, ensemble les pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1910976 du 28 septembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 27 novembre 2021 et 2 février 2022, l'association Institut de recherche en sémiologie de l'expression, représentée par Me Paciocco, demande à la Cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ainsi que la décharge des impositions contestées.

Elle soutient que :
- c'est à tort que l'administration a mis en œuvre la procédure de taxation d'office, au motif qu'elle n'a pas répondu aux mises en demeure de souscrire la déclaration d'impôt sur les sociétés nº 2065, alors qu'en sa qualité d'association agissant sans but lucratif, elle était seulement tenue de souscrire la déclaration n° 2070 ;
- il incombait à l'administration de lui notifier, avant l'envoi de la mise en demeure, les motifs de son assujettissement aux impôts commerciaux et d'engager avec elle un débat contradictoire ;
- la procédure d'imposition est irrégulière, dès lors que l'administration a débuté les opérations de vérification avant la notification de l'avis de vérification en méconnaissance des garanties offertes au contribuable ; la date de début des opérations de contrôle mentionnée sur l'avis de vérification est par ailleurs erronée, puisque les investigations menées le 28 décembre 2015 à partir des relevés communiqués par sa banque marquent le début de la vérification de comptabilité ;
- son assujettissement à l'impôt sur les sociétés procède de multiples erreurs, dès lors que ses statuts ne prévoient aucune activité commerciale, qu'elle n'est pas liée par un contrat de sous-traitance avec M. B..., que la convention signée en 2009 n'était pas applicable au titre de l'année 2013 et que la convention de 2014 ne prévoit pas que les produits issus de l'activité professionnelle de M. B... doivent être rattachés à ses produits ;
- c'est à tort que l'administration l'a assujettie à l'impôt sur les sociétés, alors que son activité ne présente pas de caractère lucratif, que sa gestion est désintéressée et que les recettes tirées des activités de formation professionnelle de son président, M. A... B..., ne sauraient être réintégrées au chiffre d'affaires de l'association ;
- le montant des recettes est en tout état de cause erroné.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 6 janvier et 1er mars 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, conclut au rejet de la requête en faisant valoir à titre principal que la requête est irrecevable pour ne pas satisfaire aux dispositions de l'article R. 811-7 du code de justice administrative et, pour le surplus, que les moyens y soulevés sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... ;
- et les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. L'association Institut de recherche en sémiologie de l'expression (IRSE), constituée le 18 mars 1985 avec pour objet " l'étude des phénomènes de l'expression et la publication, par tous moyens possibles, des résultats de ses travaux d'étude ", a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014. A l'issue de cette vérification, elle a été assujettie, selon la procédure de taxation d'office, à des cotisations d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013 et en 2014. L'association IRSE a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de ces impositions, ainsi que des pénalités correspondantes. Par sa requête, elle relève appel du jugement par lequel ce tribunal a, le 28 septembre 2021, rejeté cette demande.

Sur le principe de l'assujettissement de l'IRSE aux impôts commerciaux :

2. D'une part, aux termes de l'article 206 du code général des impôts dans sa version alors applicable : " 1. (...) sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, (...) toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. / 1 bis. Toutefois, ne sont pas passibles de l'impôt sur les sociétés prévu au 1 les associations régies par la loi du 1er juillet 1901, (...) dont la gestion est désintéressée, lorsque leurs activités non lucratives restent significativement prépondérantes et le montant de leurs recettes d'exploitation encaissées au cours de l'année civile au titre de leurs activités lucratives n'excède pas 60 000 €. (...) ".

3. Pour l'application de ces dispositions, les associations ne sont exclues du champ de l'impôt sur les sociétés que si, d'une part, leur gestion présente un caractère désintéressé, et, d'autre part, les services qu'elles rendent ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique. Toutefois, même dans le cas où l'association intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, elle reste exclue du champ de l'impôt sur les sociétés si elle exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, soit en répondant à certains besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit en s'adressant à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, notamment en pratiquant des prix inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et à tout le moins des tarifs modulés en fonction de la situation des bénéficiaires, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l'information du public sur les services qu'elle offre.

4. Il résulte de l'instruction que l'administration a, pour considérer que l'IRSE n'entrait pas dans le champ des dispositions du 1 bis de l'article 206 du code général des impôts, relevé qu'en vertu d'une convention du 10 décembre 2009, l'IRSE a confié à M. B..., son président, " la mission de dispenser des cours de formation, basés sur ses travaux d'étude. La rémunération de M. B... est fixée à 100 % des recettes encaissées jusqu'à un montant maximal de 120 000 euros (...). M. B... est expressément autorisé à encaisser, pour le compte de l'IRSE, les recettes (...) à charge pour lui de reverser à l'IRSE la part prévue (...). Elle est valable pour l'année 2010 et peut être modifiée ou annulée au cours des années à venir " et qu'une seconde convention du 1er avril 2014 a prévu, pour l'année 2014, que ces prestations donneraient lieu à une répartition pour moitié des recettes entre M. B... et l'IRSE. Le service a également relevé que les recettes de l'association étaient constituées à 86 % par le produit des prestations de M. B... pour l'année 2013 et à 95 % par ces mêmes prestations pour l'année 2014. Elle en a conclu qu'il existait une communauté d'intérêts entre l'IRSE, association présidée par M. B..., et l'activité libérale de formation exercée par ce dernier, en sorte que la gestion de l'IRSE ne pouvait être regardée comme désintéressée.

5. Si l'IRSE soutient qu'elle ne dispose d'aucun agrément pour exercer une activité de formation et que c'est à tort que l'administration considère que ses statuts prévoient une activité professionnelle, ces circonstances sont sans incidence sur l'activité réelle exercée par l'association et révélée par les conventions susmentionnées. A cet égard, au vu des termes précités de la convention du 10 décembre 2009, l'IRSE, qui ne produit aucun acte la modifiant ou l'annulant avant l'intervention de la convention du 1er avril 2014, n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne trouvait pas à s'appliquer au cours de l'année 2013. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration fiscale a considéré que la gestion de l'association requérante ne pouvait, pour les motifs exposés au point précédent, être regardée comme désintéressée au sens des dispositions précitées du 1 bis de l'article 206 du code général des impôts et l'a, par suite, assujettie à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013 et en 2014.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : (...) 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 (...) ". L'article L. 68 de ce livre dispose que : " La procédure de taxation d'office prévue au(x) 2° (...) de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure (...) ".

7. Si l'association requérante fait valoir que l'administration, qui ne lui a pas préalablement exposé les motifs pour lesquels elle estimait qu'elle était passible de l'impôt sur les sociétés, ne pouvait lui adresser les mises en demeure du 7 décembre 2015, reçues le 11 décembre suivant, consistant dans l'obligation de dépôt de la déclaration n° 2065 alors qu'elle était seulement, du fait du régime sous lequel elle s'est placée, tenue au dépôt d'une déclaration n° 2070, il ne résulte d'aucune disposition du code général des impôts que l'administration fût tenue de lui expliquer préalablement les motifs pour lesquels elle estimait qu'elle entrait dans le champ des impôts commerciaux. Par suite, dès lors qu'il est constant que l'association requérante, qui entrait, comme il été dit, dans le champ des impôts commerciaux, n'a pas déposé de déclaration de résultat à la suite de ces mises en demeure, c'est à bon droit que le service a mis en œuvre la procédure de taxation d'office prévue par les dispositions précitées du 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales.

8. En second lieu, l'IRSE soutient que l'administration a exercé son droit de communication auprès de ses établissements bancaires le 21 décembre 2015, et qu'elle a obtenu, le 28 décembre 2015, avant même le début des opérations de vérification programmées le 13 janvier 2016, les copies de ses opérations bancaires, en sorte que la vérification de comptabilité a en réalité commencé avant le 13 janvier 2016, date figurant sur l'avis de vérification, et que l'erreur de date qui en résulte entache la régularité de la procédure d'imposition. Toutefois, aucune disposition législative ou réglementaire ne s'oppose à ce que l'administration exerce son droit de communication préalablement à la mise en œuvre d'une vérification de comptabilité, le contribuable ne pouvant utilement, le cas échéant, qu'invoquer la garantie procédurale qui s'attache à ce que les pièces ainsi obtenues fassent l'objet d'un débat oral et contradictoire dans l'hypothèse où elles constitueraient des éléments de sa comptabilité. En l'espèce, les copies de relevés bancaires de l'IRSE obtenues par l'administration le 28 décembre 2015 ne constituent pas de tels documents. Le moyen ne peut, par suite et en tout état de cause, qu'être écarté.

Sur le montant des impositions :

9. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ". Ainsi qu'il l'a été dit, les impositions litigieuses ont été régulièrement établies selon la procédure de taxation d'office. Dès lors, la charge de la preuve de l'exagération des impositions mises à la charge de l'association requérante lui incombe.

10. Si l'association requérante conteste la réintégration dans son chiffre d'affaires des recettes provenant des enseignements dispensés par M. B... et encaissées sur les comptes bancaires de ce dernier, il résulte des stipulations des conventions du 10 décembre 2009 et du 1er avril 2014 que l'association doit être regardée comme exerçant une activité commerciale de formation professionnelle, dont elle sous-traite la réalisation à M. B.... Au demeurant, pour la détermination du résultat imposable de l'association, l'administration a admis la possibilité pour l'association, en application du 1 de l'article 39 du code général des impôts, de déduire en tant que charge d'exploitation, la rémunération versée à M. B... au titre du contrat de sous-traitance. Il s'en suit que l'administration était fondée à considérer l'association IRSE comme titulaire de la totalité des recettes encaissées pour son compte par son président et qu'elle a réintégré les sommes correspondantes à son chiffre d'affaires, au titre des exercices clos en 2013 et en 2014.

11. Il résulte de tout ce qui précède que l'association IRSE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande aux fins de décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014. Par suite, sa requête doit être rejetée, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre.



DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'association Institut de recherche en sémiologie de l'expression est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Institut de recherche en sémiologie de l'expression et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Vignot, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente-assesseure,
- M. Perroy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 février 2023.
Le rapporteur,




G. C...La présidente,




H. VINOT

La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA06066
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