CAA de DOUAI, 2ème chambre, 07/02/2023, 22DA01447, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé son admission séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un mois.

Par un jugement n° 2200450 du 3 juin 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2022, M. C..., représenté par Me Hélène Veyrières, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- en considérant que le préfet aurait pris la même décision si son entrée sur le territoire pouvait être considérée comme régulière, le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen ;
- étant entré régulièrement en France en 1979 alors qu'il était mineur, la convention franco-congolaise du 1er janvier 1974 n'exigeait pas la détention d'un visa ;
- il ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- c'est à tort que les premiers juges mentionnent qu'il est sous le coup d'une interdiction définitive du territoire, alors que cette interdiction a été annulée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2022, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 septembre 2022.


Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., ressortissant congolais né le 14 décembre 1962 à Brazzaville, est entré en France en 1979. Il a présenté le 4 décembre 2020 auprès de la préfecture de la Seine-Maritime une demande d'admission au séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, devenu l'article L. 423-23 du même code. M. C... relève appel du jugement du 3 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 décembre 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'un mois.


Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention "résident de longue durée-UE" ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a été condamné à plusieurs reprises depuis 1990 pour acquisition non autorisée de stupéfiants, détention non autorisée de stupéfiants, participation intéressée à une contrebande de marchandises prohibées, détention de marchandise réputée importée en contrebande, soustraction à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière et entrée et séjour irrégulier d'un étranger en France. Le préfet de la Seine-Maritime justifie aussi en appel que M. C... a fait l'objet de cinq condamnations pénales entre 2002 et 2009, postérieurement à l'année 1998 prise en compte par les premiers juges. Toutefois, il est constant que M. C... ne fait plus l'objet d'aucune interdiction définitive du territoire français et, compte tenu de l'ancienneté des faits délictueux qui lui sont reprochés, qui remontent pour les plus récents à juillet 2008, soit plus de treize ans avant la date du 3 décembre 2021 de l'arrêté attaqué, le préfet de la Seine-Maritime n'établit pas que M. C... constituait encore une menace pour l'ordre public à la date de cet arrêté.

4. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est entré en France en 1979 à l'âge de dix-sept ans, qu'il n'a jamais depuis quitté le territoire national où il a été marié pendant neuf ans de 1988 à 1997, qu'il est père de deux filles nées en France respectivement les 20 mai 1987 et 10 septembre 1988 et grand-père de plusieurs petits-enfants résidant en France, avec lesquels il établit entretenir des liens. Ainsi, M. C..., qui soutient en outre être atteint de plusieurs pathologies qui ne lui permettent pas de travailler et perçoit l'allocation adulte handicapé, justifie d'une durée de séjour en France de quarante-deux ans. Dès lors, nonobstant la circonstance qu'il a fait l'objet de plusieurs périodes d'incarcération, dans les circonstances particulières de l'espèce, en prenant l'arrêté attaqué, le préfet de la Seine-Maritime doit être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant, en méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. C... est fondé à demander l'annulation du jugement du 3 juin 2022 du tribunal administratif de Rouen et de l'arrêté en date du 3 décembre 2021 du préfet de la Seine-Maritime.


Sur les conclusions aux fins d'injonction :

7. Le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Seine-Maritime procède au réexamen de la demande de titre de séjour du requérant au regard des motifs de la présente décision dans un délai de trois mois à compter de la notification de celle-ci. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.


Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Veyrières, avocate de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Veyrières de la somme de 1 000 euros.




DÉCIDE :



Article 1er : Le jugement n° 2200450 du tribunal administratif de Rouen en date du 3 juin 2022 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 3 décembre 2021 du préfet de la Seine-Maritime est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour de M. C... dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera à Me Veyrières une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1997, sous réserve que Me Veyrières renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.



Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime et à Me Hélène Veyrières.


Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2023.

Le président-rapporteur,
Signé : M. B...La présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
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N°22DA01447



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