CAA de TOULOUSE, 1ère chambre, 26/01/2023, 21TL01230, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du conseil municipal de Beaucaire du 28 juin 2018 en tant qu'elle a adopté l'article 5 du règlement intérieur des temps d'accueils périscolaires qui met un terme au menu de substitution dans les cantines scolaires, ensemble la décision implicite par laquelle la commune de Beaucaire a rejeté sa demande du 11 octobre 2018 tendant à l'abrogation de cette délibération.

Par un jugement n° 1900310 du 9 février 2021, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision implicite par laquelle la commune de Beaucaire a rejeté la demande de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen tendant à l'abrogation de l'article 5 du règlement intérieur des temps d'accueils périscolaires adopté par la délibération du 28 juin 2018, et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 29 mars 2021, sous le n° 21MA01230 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille puis sous le n° 21TL01230 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, la commune de Beaucaire, représentée par Me Josserand, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen ;

3°) de mettre à la charge de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la décision de réorganisation du service public de la restauration scolaire aboutissant à la suppression des menus de substitution est conforme aux principes de laïcité et de neutralité du service public ;
- la délibération du 28 juin 2018 adoptant l'article 5 du règlement intérieur des temps d'accueils périscolaires est conforme au principe d'égalité des usagers devant le service public ;
- elle ne disposait pas des moyens humains et financiers pour maintenir un menu de substitution.

Par ordonnance du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de la commune de Beaucaire.

Par ordonnance du 17 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 25 novembre 2022.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de l'éducation ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Virginie Restino, première conseillère,
- et les conclusions de Mme Sylvie Cherrier, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 28 juin 2018, le conseil municipal de Beaucaire a adopté le règlement intérieur des temps d'accueils périscolaires et fixé son entrée en vigueur à compter de la rentrée de l'année scolaire 2018-2019. L'article 5 de ce règlement, qui est relatif au rappel des règles afférentes au principe de laïcité, fait obstacle à ce qu'un menu de substitution soit proposé dans les cantines des écoles maternelles et élémentaires publiques de la commune lorsque la demande est fondée sur un motif religieux. La commune de Beaucaire doit être regardée comme relevant appel du jugement du tribunal administratif de Nîmes en tant qu'il a annulé la décision par laquelle elle a implicitement rejeté la demande de la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen tendant à l'abrogation de l'article 5 du règlement intérieur des temps d'accueils périscolaires adopté par la délibération du 28 juin 2018 et rejeté ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ". Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ". Aux termes de l'article L. 141-2 du code de l'éducation : " L'Etat prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l'enseignement public la liberté des cultes et de l'instruction religieuse ".

3. S'il n'existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d'un service public de restauration scolaire de distribuer à ses usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, et aucun droit pour les usagers qu'il en soit ainsi, dès lors que les dispositions de l'article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers, ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d'égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que ces mêmes collectivités territoriales puissent proposer de tels repas.

4. Lorsque les collectivités ayant fait le choix d'assurer le service public de restauration scolaire définissent ou redéfinissent les règles d'organisation de ce service public, il leur appartient de prendre en compte l'intérêt général qui s'attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public, au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont disposent ces collectivités.

5. L'article 5 du règlement intérieur des temps d'accueils périscolaires, adopté par délibération du conseil municipal de Beaucaire le 28 juin 2018 rappelle, à destination des " usagers du service public municipal de restauration collective ", certains principes relatifs à la laïcité et à la neutralité des services publics et indique, à son troisième alinéa : " Aucune demande particulière, fondée sur des motifs religieux, ne pourra justifier une adaptation du service ".

6. Les dispositions de cet article qui, prises ensemble, font obstacle à ce qu'un menu de substitution soit proposé dans les cantines des écoles maternelles et élémentaires publiques lorsque la demande est fondée sur un motif religieux, se réfèrent aux principes de laïcité et de neutralité du service public. Toutefois, comme il a été rappelé au point 4 ci-dessus, ces principes ne font pas, par eux-mêmes, obstacle à ce que les collectivités territoriales puissent proposer des repas de substitution dans les cantines scolaires. Ainsi, le motif retenu par l'article 5 du règlement intérieur attaqué pour justifier l'absence de menus de substitution proposés pour un motif religieux est entaché d'erreur de droit.

7. Toutefois, pour établir que cet article 5 était légal, la commune de Beaucaire invoque, dans sa requête communiquée à la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme, un autre motif, tiré des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont elle dispose.

8. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

9. En l'espèce, eu égard au contenu des dispositions de l'article 5 précédemment rappelé, la substitution de motif indiquée au point 7 implique de modifier complètement ces dispositions. Elle n'est donc pas de nature à les justifier.

10. Au surplus, en tout état de cause, la commune requérante n'établit pas la contrainte que feraient peser sur ses moyens humains et financiers les menus de substitution proposés pour un motif religieux en se prévalant du coût moyen de chaque repas servi dans une cantine scolaire restant à sa charge, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et qu'il n'est d'ailleurs pas allégué, que ce reste à charge ne serait pas le même pour chaque repas, indépendamment de son contenu et, s'agissant des menus de substitution, indépendamment du motif de leur demande.

11. Il résulte de ce qui précède que la commune de Beaucaire n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision implicite par laquelle elle a rejeté la demande de la Ligue française de défense des droits de l'homme et du citoyen tendant à l'abrogation de l'article 5 du règlement intérieur des temps d'accueils périscolaires et par l'article 4 a rejeté sa demande d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Ligue française de défense des droits de l'homme et du citoyen, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme à verser à la commune de Beaucaire au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.


D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Beaucaire est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Beaucaire et à la Ligue française de défense des droits de l'homme et du citoyen.
Copie en sera adressée au préfet du Gard.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
M. Barthez, président,
M. Lafon, président assesseur,
Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023.
La rapporteure,
V. Restino
Le président,
A. Barthez
Le greffier,




F. Kinach



La République mande et ordonne au préfet du Gard en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°21TL01230



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