Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 25/01/2023, 445937

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La société Touche Automobiles a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 11 décembre 2019 par lequel le maire de la commune de Marans a délivré à la société Lowima un permis de construire un garage de mécanique automobile et de vente de véhicules. Par une ordonnance n° 2000384 du 22 avril 2020, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 20BX01947 du 3 septembre 2020, le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Touche Automobiles contre l'ordonnance rendue en première instance.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 novembre 2020 et 3 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Touche Automobiles demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de la société Lowima et de la commune de Marans la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet François Pinet, avocat de la société Touche Automobiles et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Marans ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les sociétés Lowima et Touche Automobiles, exploitantes de garages et concessionnaires automobiles, ont chacune fait connaître leur intérêt pour l'acquisition de la parcelle cadastrée ZT n° 0066, d'une contenance de 6 016 m², que la communauté de communes Aunis Atlantique entendait mettre en vente dans la zone d'activités Saint François, située sur le territoire de la commune de Marans. Par des courriers du 21 août 2018, la communauté de communes a fait savoir aux deux sociétés qu'elle entendait céder la parcelle litigieuse à la société Lowima. Par une délibération du 26 septembre 2018, le conseil communautaire de la communauté de communes Aunis Atlantique a fixé le prix du mètre carré de la parcelle. La société Touche Automobiles a adressé le 17 octobre 2018 à la communauté de communes une offre d'achat de cette parcelle à ce prix. Le 19 avril 2019, la société Touche Automobiles a fait assigner la communauté de communes Aunis Atlantique devant le tribunal de grande instance de La Rochelle aux fins de voir juger parfaite la vente de la parcelle à son profit. Par une délibération du 2 juillet 2019, le conseil communautaire a formalisé sa décision de vendre à la société Lowima et, par un arrêté du 11 décembre 2019, le maire de la commune de Marans a délivré à cette dernière un permis de construire pour la construction d'un garage de mécanique automobile et de vente de véhicules sur la parcelle en cause. Par une ordonnance du 22 avril 2020, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de la société Touche Automobiles d'annuler pour excès de pouvoir le permis de construire ainsi délivré. Par une ordonnance du 3 septembre 2020 contre laquelle la société Touche Automobiles se pourvoit en cassation, le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel qu'elle a formé contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation / (...) ". Aux termes de l'article R. 600-4 du même code : " Les requêtes dirigées contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code doivent, à peine d'irrecevabilité, être accompagnées du titre de propriété, de la promesse de vente, du bail, du contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation, du contrat de bail, ou de tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l'occupation ou de la détention de son bien par le requérant./ (...) ".

3. En premier lieu, il ressort des pièces de la procédure qu'une invitation a été adressée à la société requérante par le greffe du tribunal administratif de Poitiers le 21 février 2020 visant à régulariser sa requête introductive d'instance par la production des documents prévus par l'article R. 600-4 du code de l'urbanisme, dont les termes étaient reproduits. En jugeant régulière l'invitation à régularisation de la requête sur le fondement de cet article qui impose, à peine d'irrecevabilité, la production des pièces justificatives nécessaires pour apprécier si les conditions de recevabilité fixées par les articles L. 600-1-1 et L. 600-1-2 du code de l'urbanisme sont remplies, sans qu'il soit nécessaire de faire référence à ces dispositions, l'auteur de l'ordonnance attaquée n'a pas commis d'erreur de droit.

4. En second lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme que la contestation d'une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le code de l'urbanisme est ouverte aux personnes physiques ou morales qui justifient de leur qualité d'occupant régulier ou de propriétaire d'un bien immobilier dont les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance sont de nature à être directement affectées par le projet. Une personne, entendant agir comme propriétaire d'un tel bien, qui ne fait état ni d'un acte de propriété, ni d'une promesse de vente, ni d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ne justifie pas d'un intérêt de nature à lui donner qualité pour demander l'annulation d'une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le code de l'urbanisme, sauf à ce qu'elle puisse sérieusement revendiquer la propriété de ce bien devant le juge compétent.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Touche Automobiles a produit, à l'appui de sa demande d'annulation du permis de construire délivré à la société Lowima, une offre d'acquisition de la parcelle qui constitue le terrain d'assiette de la construction autorisée, au prix fixé par la délibération de la communauté de communes, qu'elle lui avait adressée le 17 octobre 2018, et un acte de saisine du tribunal de grande instance de La Rochelle du 19 avril 2019 aux fins de voir juger la vente de cette parcelle parfaite à son profit. En jugeant que la simple présentation d'une offre pour le terrain d'assiette du projet suivie de l'engagement d'une action devant le juge civil, lesquels ne sauraient faire regarder la société Touche Automobiles comme pouvant sérieusement revendiquer la propriété de ce terrain, ne pouvaient fonder l'intérêt de la société Touche Automobiles à contester la légalité du permis litigieux ni, par suite, permettre la régularisation de sa requête sur le fondement de l'article R. 600-4 du code de l'urbanisme, l'auteur de l'ordonnance attaquée n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Touche Automobiles n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Lowima et de la commune de Marans, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Touche Automobiles la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Marans au titre de ces mêmes dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Touche Automobiles est rejeté.
Article 2 : La société Touche Automobiles versera à la commune de Marans la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SARL Touche Automobiles, à la SCI Lowima et à la commune de Marans.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 janvier 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 25 janvier 2023.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :
Signé : Mme Rozen Noguellou

La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain

ECLI:FR:CECHR:2023:445937.20230125
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