CAA de NANTES, 1ère chambre, 13/01/2023, 21NT01389, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Blanchet Location de Bateaux a demandé au tribunal administratif de Caen de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2015 au 31 mars 2018.

Par un jugement n° 1902590 du 7 avril 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 25 mai 2021 et 20 janvier, 14 février et 4 novembre 2022 la SARL Blanchet Location de Bateaux, représentée par Me Gourlaouen, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a toujours exercé une activité de location de bateaux en tant qu'assujetti ;
- compte tenu des contrats d'assurance des navires loués, des contrats de location, des facturations et des durées répétées de location, elle démontre que le seul critère déterminant de l'activité économique, qui est la permanence des recettes, est rempli ; les tarifs des locations ne présentaient pas un caractère anormal ; elle était assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée ; elle pouvait donc procéder à des déductions de cette taxe ;
- la majoration pour manquement délibéré n'est pas justifiée.

Par des mémoires en défense enregistrés les 2 novembre 2021 et 4 février 2022 le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SARL Blanchet Location de Bateaux ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Saquerlotte, créée en 1994 et devenue le 26 février 2021 la SARL Blanchet Location de Bateaux, dont l'objet est l'activité d'école de croisières, de courses au large, de charter international, de location et aménagement de bateaux, de vente de fournitures et de conseils nautiques, est à cette fin propriétaire de deux navires, dont l'un a été cédé le 2 novembre 2015. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration, par une proposition de rectification du 13 décembre 2018, a remis en cause sa qualité d'assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée et, par suite, les déductions de taxe sur la valeur ajoutée pratiquées par elle au cours de la période du 1er janvier 2015 au 31 mars 2018. La SARL Blanchet Location de Bateaux a demandé au tribunal administratif de Caen de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés à ce titre. Par un jugement du 7 avril 2021, dont elle relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé des rappels :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

2. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. ". Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. (...) ". Le 1 du I de l'article 271 du même code dispose que : " La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération ".

3. Ces dispositions doivent être interprétées à la lumière des dispositions de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, dont elles assurent la transposition. Aux termes de l'article 2 de cette directive : " 1. Sont soumises à la TVA les opérations suivantes : (...) c) les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d'un État membre par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 9 de la même directive : " 1. Est considéré comme "assujetti" quiconque exerce, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. Est considérée comme "activité économique" toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services. Est en particulier considérée comme activité économique, l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en tirer des recettes ayant un caractère de permanence (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions qu'est considéré comme assujetti quiconque exerce, de façon indépendante, une activité économique, quels que soient les buts et les résultats de cette activité. Une activité est, en règle générale, qualifiée d'économique lorsqu'elle présente un caractère permanent et est effectuée contre une rémunération perçue par l'auteur de l'opération.

5. Il résulte de l'instruction que, durant la période vérifiée, les deux navires appartenant à la SARL Saquerlotte ont été loués par Mme A... C..., épouse du gérant, lequel détenait alors 409 parts sur 510 de la société requérante, puis par les époux C..., lesquels détenaient à compter de l'année 2016 90 % des parts de la SAS ANL qui détenait elle-même la totalité des parts de la SARL Saquerlotte. La durée de location par ces derniers a été de seize jours en 2015, vingt-deux jours en 2016 et trente-trois jours en 2017. De plus, l'un des navires a été loué pendant trois jours en 2016 et onze jours en 2017 par la SAS groupe LB, la société LB Invest étant l'associé unique et M. C... étant le président et le gérant de cette dernière. A l'exception de ces périodes de location, les locations à des tiers ont duré trois jours en 2015 et un seul jour en 2017. Les locations n'ont donné lieu à aucun contrat de location ni à aucun acompte au moment des réservations. L'exercice de cette activité n'était pas couvert par un contrat d'assurance spécifique en ce qui concerne la vedette " Sunseeker 400 Portofino " qui a été cédé le 2 novembre 2015. Quant à l'autre vedette, le contrat d'assurance prévoyait seulement qu'elle pouvait être louée occasionnellement sans skipper et non d'une manière permanente. Au surplus, la SARL Saquerlotte n'a effectué aucune démarche publicitaire en vue de trouver des preneurs et les prix affichés sur le site internet de la société et ceux facturés après location, inférieurs, manquaient de cohérence. Dans ces conditions, les navires ne peuvent être regardés, eu égard aux locations considérées et à leur durée, comme ayant été exploités en vue de réaliser des recettes ayant un caractère de permanence au sens des dispositions de l'article 256 A du code général des impôts et des stipulations de l'article 9 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a estimé que la SARL Saquerlotte n'avait pas la qualité d'assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée et a remis en cause les déductions de taxe sur la valeur ajoutée effectuées par cette dernière au titre de son activité de location de navires.



En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :

6. La SARL Blanchet Location de Bateaux se prévaut des instructions référencées BOI-TVA-CHAMP-10-10-30 n°400 du 15 février 2013 selon laquelle " L'article 256 A du CGI précise qu'une telle exploitation est notamment considérée comme une activité économique. / Il en est ainsi alors même que l'exploitation procurant des recettes ayant un caractère de permanence se concrétiserait par la réalisation d'une seule opération (location d'un bien meuble corporel et concession d'un bien incorporel par exemple). " et BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-30 n°10 du 12 septembre 2012 selon laquelle " D'une manière générale, les locations de biens meubles corporels et, en particulier, de tous matériels neufs ou d'occasion constituent des opérations soumises à la TVA. / Est notamment imposable la location : / - de coques de bateaux sans agrès ni appareils de navigation à une société de transports par eau ; (...) ". Toutefois, ces instructions ne donnent pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle dont il a été fait application.
Sur la majoration pour manquement délibéré :
7. L'administration, en se fondant sur le caractère répétitif des déductions pratiquées à tort pendant trois années et leur importance alors que le gérant de la SARL Saquerlotte, M. C..., connaissait les règles d'assujettissement à cette taxe et notamment le champ d'application ou non de la taxe en cas de location d'un moyen de transport de passagers par un particulier, apporte la preuve, dont la charge lui incombe, de l'intention de la SARL Saquerlotte d'éluder l'impôt et, par suite, du manquement délibéré justifiant l'application de la majoration prévue à l'article 1729 du code général des impôts.

8. Il résulte de ce qui précède que la SARL Blanchet Location de Bateaux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux frais liés à l'instance doivent être rejetées.

D E C I D E :


Article 1er : La requête de la SARL Blanchet Location de Bateaux est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Blanchet Location de Bateaux et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.


Délibéré après l'audience du 19 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, présidente de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur,
- M. Penhoat, premier conseiller.





Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 janvier 2023.


Le rapporteur
J.E. B... La présidente



I. Perrot La greffière
S. Pierodé

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


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N° 21NT01389



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