CAA de PARIS, 7ème chambre, 04/01/2023, 22PA03603, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2022 par lequel le préfet de Seine-et-Marne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.

Par un jugement n° 2201047 du 6 juillet 2022, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 2 août 2022, Mme A... D..., représentée par Me Papinot, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2201047 du 6 juillet 2022 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2022 du préfet de Seine-et-Marne ;

3°) d'enjoindre au préfet de Seine-et-Marne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Papinot en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :
- le refus de séjour n'est pas suffisamment motivé et est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- il est entachée d'une erreur de fait ;
- il méconnaît les articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2022, le préfet de Seine-et-Marne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... D..., ressortissante colombienne, née le 28 novembre 1992, entrée en France le 3 juin 2016, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 435-1 et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 25 janvier 2022, le préfet de Seine-et-Marne a refusé de lui délivrer le titre sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente-jours et a fixé le pays de destination. Elle relève appel du jugement du 6 juillet 2022 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 / (...) ".

3. En présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette hypothèse, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour. Il appartient en conséquence au préfet de motiver, conformément aux dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, tant en droit qu'en fait, un éventuel refus résultant de ce double examen.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a sollicité son admission exceptionnelle au séjour en se prévalant tant de sa situation personnelle et familiale que de son intégration professionnelle. En se bornant à opposer à l'intéressée, la circonstance qu'elle ne justifiait que d'une activité intermittente ne permettant pas d'assurer de manière pérenne la prise en charge de sa famille et représente de ce fait une charge déraisonnable pour l'Etat ainsi que l'existence d'attaches familiales dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 24 ans, le préfet de Seine-et Marne n'a pas apprécié s'il pouvait délivrer à Mme A... un titre de séjour " salarié " ou " travailleur temporaire " sur le fondement de l'article L. 435-1 précité. La décision est donc entachée d'un défaut d'examen de la situation de Mme A... et d'une insuffisance de motivation. Cette décision doit donc être annulée. Les décisions faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai d'un mois et fixant le pays de destination, qui sont fondées sur ce refus de titre illégal, doivent également être annulées par voie de conséquence.

5. Au surplus, il ressort des pièces du dossier que la requérante établit exercer sans discontinuer une activité salariée depuis le 1er décembre 2017 en qualité d'auxiliaire de vie auprès d'une personne âgée. A ce titre elle justifie travailler toutes les fins de semaine du vendredi 20h au lundi 8h et percevoir une rémunération horaire qui varie en fonction de sa durée de travail mensuel. Bien que n'étant rémunérées que pour 19h33 heures de travail effectif, Mme A... D... est indemnisée par sa présence en dehors de ces heures de travail effectif ce qui lui permet de percevoir tous les mois une rémunération supérieure à 1 000 euros net et pouvant aller jusqu'à plus de 1 500 euros net. Ainsi, en refusant le titre de séjour sollicité au motif que Mme A... D... avait une activité salariale intermittente ne lui assurant pas de manière pérenne la prise en charge de sa famille, le préfet de Seine-et-Marne a entaché sa décision d'erreur de fait. Mme A... D... est donc fondée à soutenir que le refus de séjour est fondé sur des faits matériellement inexacts et à demander sur ce fondement également l'annulation de cette décision ainsi que, par voie de conséquence, les décisions du même jour par lesquelles le préfet lui a fait obligation de quitter le territoire et a fixé le pays de destination.

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... D... est fondée, d'une part, à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 janvier 2022 et, d'autre part, à solliciter l'annulation du jugement attaqué ainsi que celle de l'arrêté du 25 janvier 2022 du préfet de Seine-et-Marne.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Eu égard aux circonstances de l'espèce, l'exécution du présent arrêt implique seulement que le préfet de Seine-et-Marne procède au réexamen de la situation de Mme A... D.... Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :
8. Mme A... n'ayant pas sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat n'est donc pas fondé à demande l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 afin qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat et lui soit versée au titre des frais non compris dans les dépens, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat. Toutefois, il y a lieu, de regarder la requérante comme demandant le versement d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser directement à la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2201047 du 6 juillet 2022 du Tribunal administratif de Melun et l'arrêté du 25 janvier 2022 du préfet de Seine-et-Marne sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Seine-et-Marne de réexaminer la situation de Mme A... D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A... D... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... D..., au préfet de Seine-et-Marne et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente assesseure,
- Mme Jurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 janvier 2023.

La rapporteure,
E. B...Le président,
C. JARDIN
La greffière,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA03603 2



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