Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 28/12/2022, 447875

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

L'EARL La Lande du Vionay et M. B... A..., son gérant, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 3 juin 2017 par laquelle le maire de Servon-sur-Vilaine a implicitement délivré à M. D... C... un permis de construire visant à l'aménagement et l'extension d'un bâtiment existant. Par une ordonnance n° 2004849 du 1er décembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a suspendu l'exécution du permis tacitement accordé.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'État les 16 et 31 décembre 2020, M. D... C... demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de l'EARL La Lande du Vionay et de M. A... ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'EARL La Lande du Vionay et de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'arrêté du 27 décembre 2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l'autorisation au titre des rubriques n°s 2101, 2102, 2111 et 3660 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. C..., à la SARL Didier-Pinet, avocat de l'EARL La Lande du Vionay et autre et à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de la commune de Servon-sur-Vilaine ;




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. C... a déposé une demande de permis de construire visant à l'aménagement et l'extension d'un bâtiment existant sur le territoire de la commune de Servon-sur-Vilaine, au lieu-dit " Le Vionay ", qui a fait l'objet d'une autorisation tacite le 3 juin 2017, retirée, à la suite d'un recours administratif formé par l'EARL La Lande du Vionay et M. A..., son gérant, par un arrêté du maire de la commune du 4 septembre 2017. Par un jugement du 19 juin 2020, le tribunal administratif de Rennes a annulé pour excès de pouvoir la décision de retrait du 4 septembre 2017 et enjoint au maire de délivrer à M. C..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, un certificat de non-opposition au permis de construire tacitement obtenu. Le maire de Servon-sur-Vilaine a délivré, le 3 juillet 2020, un certificat d'autorisation tacite du permis de construire, attestant que M. C... était titulaire du permis qu'il avait sollicité. Par une ordonnance du 1er décembre 2020 contre laquelle M. C... se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative à la demande de l'EARL La Lande du Vionay et de M. A..., suspendu l'exécution de ce permis.

3. Lorsqu'une décision créatrice de droits est retirée et que ce retrait est annulé, la décision initiale est rétablie à compter de la date de lecture de la décision juridictionnelle prononçant cette annulation. Une telle annulation n'a, en revanche, pas pour effet d'ouvrir un nouveau délai de quatre mois pour retirer la décision initiale, délai réduit à trois mois s'agissant des décisions d'urbanisme en application de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme, alors même que celle-ci comporterait des irrégularités pouvant en justifier légalement le retrait. Toutefois, lorsqu'une décision créatrice de droits a été retirée dans le délai de recours contentieux puis rétablie à la suite de l'annulation juridictionnelle de son retrait, le délai de recours contentieux court à nouveau, à l'égard des tiers, à compter de la date à laquelle la décision créatrice de droits ainsi rétablie fait à nouveau l'objet des formalités de publicité qui lui étaient applicables ou, si de telles formalités ne sont pas exigées, à compter de la date de notification du jugement d'annulation.

4. A la suite de l'annulation juridictionnelle de son retrait, intervenu le 4 septembre 2017 dans le délai de recours contentieux, le permis de construire tacitement acquis par M. C... le 3 juin 2017 s'est trouvé rétabli à compter de la lecture de la décision juridictionnelle prononçant cette annulation, soit le 19 juin 2020. En jugeant, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête enregistrée le 5 novembre 2020, que le deuxième recours gracieux formé par M. A... et l'EARL La Lande du Vionay le 7 septembre 2020, contre le permis initial avait conservé à leur profit les délais de recours contentieux, alors qu'il devait être regardé comme un deuxième recours administratif formé contre le même acte, insusceptible de conserver ce délai, le juge des référés a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'à la suite de l'annulation juridictionnelle de son retrait le 19 juin 2020, le délai de recours contre le permis ainsi rétabli courait à nouveau à l'égard des tiers à compter du premier jour d'une période continue d'affichage de deux mois sur le terrain postérieure à cette annulation, dont il n'est pas sérieusement contesté qu'elle a débuté le 22 juin 2020, et dont il ressort des pièces du dossier qu'elle s'est poursuivie sur une période continue de deux mois. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le recours gracieux formé par l'EARL La Lande du Vionnay le 7 septembre 2020 n'a pu, en tout état de cause, conserver le délai de recours contentieux, et que le recours formé le 5 novembre 2020 était dès lors irrecevable.

8. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par l'EARL La Lande du Vionay et M. A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, tendant à ce que soit ordonnée la suspension du permis de construire tacitement obtenu le 3 juin 2017, doit être rejetée.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre conjointement à la charge de l'EARL La Lande du Vionay et de M. A... la somme de 1 000 euros à verser à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.




D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 1er décembre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Rennes est annulée.
Article 2 : La demande présentée par l'EARL La Lande du Vionay et M. A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Rennes est rejetée.
Article 3 : L'EARL La Lande du Vionay et M. A... verseront conjointement à M. C... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'EARL La Lande du Vionay et M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. D... C..., à l'EARL La Lande du Vionay, à M. B... A... et à la commune de Servon-Sur-Vilaine.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 décembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 28 décembre 2022.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé


La rapporteure :
Signé : Mme Rozen Noguellou


La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain

ECLI:FR:CECHR:2022:447875.20221228
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