Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 14/12/2022, 448013, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

L'association Avenir du Littoral et l'association Trébeurden Patrimoine et Environnement ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 20 avril 2018 par lequel le maire de Trébeurden (Côte d'Armor) a délivré à la société Eolarmor un permis de construire pour la rénovation et l'extension d'un bâtiment existant ainsi que la décision du 17 juillet 2018 portant rejet de leur recours gracieux. Par un jugement n° 1804845-1804947 du 7 octobre 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 19NT04717 et 19NT04718 du 20 octobre 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de l'association Avenir du Littoral et de l'association Trébeurden Patrimoine et Environnement, annulé ce jugement, ainsi que l'arrêté du 20 avril 2018 du maire de Trébeurden et les décisions du 17 juillet 2018 portant rejet des recours gracieux formés par les associations Avenir du Littoral et Trébeurden Patrimoine et Environnement.

Par un pourvoi sommaire, et un mémoire complémentaire en réplique, enregistrés les 21 décembre 2020, 22 mars 2021 et 28 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Eolarmor demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de l'association Avenir du Littoral et de l'association Trébeurden Patrimoine et Environnement ;

3°) de mettre à la charge de l'association Avenir du Littoral et de l'association Trébeurden Patrimoine et Environnement la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la société Eolarmor, à la SCP Krivine, Viaud, avocat de l'association Avenir du Littoral et à la SARL Didier-Pinet, avocat de l'association Trébeurden Patrimoine et Environnement ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Eolarmor a déposé une demande de permis de construire pour la démolition partielle, la rénovation et l'extension d'un bâtiment existant en vue de la réalisation d'un immeuble collectif de douze logements sur le territoire de la commune de Trébeurden (Côtes d'Armor). Par un arrêté du 6 juin 2014, le maire a refusé la délivrance de ce permis. Par un jugement du 17 mars 2017, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision de refus et enjoint au maire de prendre une nouvelle décision. La commune a relevé appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Nantes. La société Eolarmor ayant confirmé sa demande, le maire a, par un arrêté du 9 mai 2017, à nouveau refusé de délivrer le permis. A la suite d'un protocole transactionnel entre la commune et la société Eolarmor, approuvé par une délibération du conseil municipal en date du 1er février 2018, la commune s'est désistée de l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 17 mars 2017. Par un arrêt du 16 mars 2018, la cour administrative d'appel de Nantes lui a donné acte de ce désistement. Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 17 mars 2017 annulant le refus de permis de construire est par suite devenu définitif. La société Eoloarmor a alors confirmé sa demande de permis de construire et le maire de Trébeurden a délivré le permis sollicité par un arrêté du 20 avril 2018. Les associations Avenir du littoral et Trébeurden Patrimoine et Environnement ont saisi le tribunal administratif de Rennes d'un recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ce permis. Par un jugement du 7 octobre 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes. Par un arrêt du 20 octobre 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement et le permis de construire du 20 avril 2018.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol ou l'opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l'objet d'une annulation juridictionnelle, la demande d'autorisation ou la déclaration confirmée par l'intéressé ne peut faire l'objet d'un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à la date d'intervention de la décision annulée sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire ".

3. Ces dispositions, qui ont un caractère dérogatoire, sont d'interprétation stricte. En jugeant que la demande présentée par la société Eolarmor ne pouvait être considérée comme une confirmation de sa demande d'autorisation initiale au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme dès lors qu'elle impliquait une modification du projet dépassant de simples ajustements ponctuels, qu'il s'agissait par suite d'une demande portant sur un nouveau projet et qu'elle devait, dans ces conditions, être appréciée non au regard des règles d'urbanisme en vigueur à la date de la décision illégale de refus de permis de construire, mais au regard des règles du plan local d'urbanisme adopté en 2017, applicables à la date de cette nouvelle demande, la cour administrative d'appel de Nantes, qui a porté sur les pièces du dossier une appréciation dénuée de dénaturation, n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ".

5. Il résulte de ces dispositions que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée sont susceptibles d'être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme. Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

6. Pour annuler le permis litigieux, la cour administrative d'appel de Nantes a retenu les moyens tirés de ce que plusieurs balcons excédaient la largeur maximale fixée par l'article UC 1 du plan local d'urbanisme, que l'emprise de la construction méconnaissait la règle d'implantation par rapport aux voies publiques prévue par l'article UC 5, que la construction ne respectait pas les règles de prospect prévues par l'article UC 6, que l'emprise au sol était deux fois supérieure au coefficient maximal d'emprise au sol de 40 % fixé par l'article UC 8, que la hauteur était supérieure à la hauteur maximale prévue par l'article UC 9, que le projet ne comportait pas de local ou abri extérieur réservé au stationnement des cycles non motorisés, contrairement à ce que prévoit l'article UC 11, et comportait un nombre insuffisant de places de stationnement eu égard au nombre de logements et à la surface de plancher globale, et enfin que par sa situation, ses dimensions et son volume, le projet était de nature à porter significativement atteinte au caractère et à l'intérêt du site classé des Roches Blanches en méconnaissance des articles UC 2 et UC 10 du plan local d'urbanisme. En statuant ainsi sans faire usage de l'obligation qui pèse sur elle de surseoir à statuer lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée sont susceptibles d'être régularisés, la cour a implicitement mais nécessairement estimé que l'un au moins des vices affectant la légalité du permis de construire était insusceptible d'être régularisé. La cour, qui n'était pas tenue de motiver son refus dès lors qu'elle n'était pas saisie d'une demande de régularisation, a ce faisant porté sur les pièces du dossier une appréciation dénuée de dénaturation et n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Eolarmor n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 20 octobre 2000.

8. L'association Avenir du Littoral a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Eolarmor la somme de 3 000 euros à verser à l'association Trébeurden Patrimoine et Environnement et à la SCP Krivine et Viaud, avocat de l'association Avenir du Littoral, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font, en revanche, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des associations Avenir du Littoral et Trébeurden Patrimoine et Environnement qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.



D E C I D E :
--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société Eolarmor est rejeté.
Article 2 : La société Eolarmor versera une somme de 3 000 euros à l'association Trébeurden Patrimoine et Environnement et à la SCP Krivine et Viaud, avocat de l'association Avenir du Littoral, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette SCP renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Eolarmor sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Eolarmor, à l'association Avenir du Littoral, à l'association Trébeurden Patrimoine et Environnement et à la commune de Trébeurden.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 novembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillers d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 14 décembre 2022.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé


La rapporteure :
Signé : Mme Rozen Noguellou


La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain


ECLI:FR:CECHR:2022:448013.20221214
Retourner en haut de la page