CAA de PARIS, 4ème chambre, 04/11/2022, 21PA04761, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D..., représentée par Me Icard avocat à la Cour, a demandé au tribunal administratif de Melun :
1°) d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2018 par lequel la présidente du centre communal d'action sociale de F... a prononcé sa révocation ainsi que la décision du 27 novembre 2018 prise par la même autorité rejetant son recours gracieux ;
2°) de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de F... la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 1901484 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 22 août 2021, Mme D... représentée par Me Icard demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1901484 du 24 juin 2021 du tribunal administratif de Melun rejetant sa demande ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 11 juillet 2018 par lequel la présidente du centre communal d'action sociale de F... a prononcé sa révocation, ensemble la décision du 27 novembre 2018 prise par la même autorité rejetant son recours gracieux

3°) de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de F... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la décision est entachée d'une erreur de droit, dans la mesure où il n'était possible pas d'engager une procédure disciplinaire alors qu'elle était en disponibilité pour convenance personnelle ;
- la décision est entachée d'une erreur de droit, dans la mesure où elle était en droit d'accepter le legs consenti par Mme E..., l'article L. 116-4 du code de l'action sociale et de la famille dans sa version applicable à la date de la décision a été déclaré inconstitutionnel par une décision du Conseil Constitutionnel, saisi sur question préjudicielle, n° 2020-888 du 12 mars 2021, applicable aux litiges en cours ;
- la décision est entachée d'une erreur de droit, dans la mesure où elle repose sur un texte caduc ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2022, le centre communal d'action sociale de F... conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la requérante en application des dispositions de l'article 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 9 mai 2022, la clôture a été fixée au 25 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... d'Argenlieu,
- les conclusions de Mme Iliada Lipsos, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Carrère, représentant le centre communal d'action sociale de F....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., initialement recrutée le 1er juillet 2009 par le centre communal d'action sociale de F..., en tant qu'agent social territorial contractuel, a été titularisée au grade d'agent social territorial de 2ème classe le 1er janvier 2012. Exerçant les fonctions d'aide à domicile auprès des personnes âgées bénéficiaires du service d'aide et d'accompagnement à domicile, elle a été placée en disponibilité pour convenances personnelles, à compter du 1er janvier 2015. A l'issue de la séance du 5 juillet 2018 au cours de laquelle le conseil de discipline a émis, à la majorité de ses membres, un avis favorable au prononcé de la sanction de révocation à l'encontre de Mme D..., la présidente du centre communal d'action sociale (CCAS) de F... a, par un arrêté du 11 juillet 2018, révoqué l'intéressée. Le 16 octobre 2018, la requérante a formé un recours gracieux contre cette décision, lequel a été rejeté par un courrier du 27 novembre 2018. Par un jugement n° 1901484 du 24 juin 2021, dont Mme D... relève appel, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 56 de la loi susvisée du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Tout fonctionnaire est placé dans une des positions suivantes : / 1° Activité à temps complet ou à temps partiel ; / 2° Détachement ; / 3° Position hors cadres ; / 4° Disponibilité ; / 5° Accomplissement du service national et des activités dans la réserve opérationnelle, dans la réserve sanitaire et dans la réserve civile de la police nationale ; / 6° Congé parental. / Les décisions relatives aux positions sont prises par l'autorité territoriale ". Aux termes de l'article 89 de la même loi : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité territoriale après avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline. Ce pouvoir est exercé dans les conditions prévues à l'article 19 du titre Ier du statut général ". Il résulte de ces dispositions que le pouvoir disciplinaire peut être exercé à l'encontre d'un fonctionnaire placé dans l'une des positions prévues à l'article 56 de la loi susvisée du 26 janvier 1984, notamment la disponibilité. Par ailleurs, un fonctionnaire en disponibilité, bien que placé en dehors du service, reste soumis aux obligations qui découlent de son statut.

3. En l'espèce, Mme D..., bien que placée en disponibilité, restait donc tenue de respecter les obligations découlant de son statut, dont l'obligation de probité, laquelle faisait obstacle, notamment, à ce qu'elle acceptât le legs consenti par Mme E.... Dès lors, la présidente du CCAS de la commune de F... qui était en droit d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre de Mme D... pendant sa période de disponibilité pouvait la sanctionner pour ces faits. Le moyen tiré de l'erreur de droit ainsi commise doit, par conséquent, être écarté.
4. En deuxième lieu, l'article L. 116-4 du code de l'action sociale et des familles, dans sa version résultant de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations dispose : " Les personnes physiques propriétaires, gestionnaires, administrateurs ou employés d'un établissement ou service soumis à autorisation ou à déclaration en application du présent code ou d'un service soumis à agrément ou à déclaration mentionné au 2° de l'article L. 7231-1 du code du travail, ainsi que les bénévoles ou les volontaires qui agissent en leur sein ou y exercent une responsabilité, ne peuvent profiter de dispositions à titre gratuit entre vifs ou testamentaires faites en leur faveur par les personnes prises en charge par l'établissement ou le service pendant la durée de cette prise en charge, sous réserve des exceptions prévues aux 1° et 2° de l'article 909 du code civil. L'article 911 du même code est applicable aux libéralités en cause. L'interdiction prévue au premier alinéa du présent article est applicable au couple ou à l'accueillant familial soumis à un agrément en application de l'article L. 441-1 du présent code et à son conjoint, à la personne avec laquelle il a conclu un pacte civil de solidarité ou à son concubin, à ses ascendants ou descendants en ligne directe, ainsi qu'aux salariés mentionnés à l'article L. 7221-1 du code du travail accomplissant des services à la personne définis au 2° de l'article L. 7231-1 du même code, s'agissant des dispositions à titre gratuit entre vifs ou testamentaires faites en leur faveur par les personnes qu'ils accueillent ou accompagnent pendant la durée de cet accueil ou de cet accompagnement. " En instaurant une telle interdiction, le législateur entendait assurer la protection des personnes placées dans une situation particulière de vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d'une partie de leurs biens par ceux qui leur apportent cette assistance, compte tenu de leur état de santé et dans la mesure où elles devaient recevoir une assistance pour favoriser leur maintien à domicile. Ce texte a été censuré par une décision du Conseil constitutionnel n° 2020-88 du 12 mars 2021, aux motifs que l'interdiction s'appliquant même dans le cas où pouvait être apportée la preuve de l'absence de vulnérabilité ou de dépendance du donateur à l'égard de la personne qui l'assiste, elle avait une portée trop générale et était donc disproportionnée à l'objectif poursuivi. Le Conseil constitutionnel a jugé que cette déclaration d'inconstitutionnalité intervenait à compter de la date de publication de sa décision et qu'elle était applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
5. Mme D... fait valoir que l'article L. 116-4 précité du code de l'action sociale et de la famille ayant été déclaré inconstitutionnel, elle était en droit de bénéficier à titre gratuit des dispositions testamentaires faites en sa faveur par Mme E... dont elle avait la charge, et qu'ainsi le CCAS de F... en la sanctionnant pour ce fait a commis une erreur de droit. Toutefois, la décision en litige n'a pas été prise sur le fondement du code de l'action sociale et de la famille, mais en application de l'article 25 de la loi susvisée du 13 juillet 1983. Le moyen soulevé est donc inopérant et doit, par suite, être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 25 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité ". Aux termes du préambule du règlement de fonctionnement du service d'aide à domicile, il est indiqué : " Ce règlement de fonctionnement a été adopté par le conseil d'administration du CCAS de F...le 15 décembre 2010. Il est valable pour une durée maximale de 5 ans. Il peut toutefois faire l'objet d'une révision et d'une modification à tout moment ". Enfin, il ressort de l'article 16 de ce même règlement : " L'aide à domicile ne doit pas : (...) Recevoir de l'usager ou de son entourage une quelconque rémunération ou gratification (...) ".
7. La décision contestée est motivée dans ces termes, notamment : " Considérant qu'il est reproché à Madame D... A... d'avoir manqué à son obligation de probité en acceptant l'héritage de Madame E... dont elle avait la charge en tant qu'aide à domicile pour le compte du CCAS de F..., méconnaissant ainsi les dispositions du règlement de fonctionnement du service d'aide à domicile dans sa partie " recevoir de l'usager ou de son entourage une quelconque rémunération ou gratification ". Madame D... soutient que la présidente du CCAS de F... a commis une erreur de droit en faisant reposer l'arrêté litigieux sur le règlement de fonctionnement du service d'aide à domicile qui était devenu caduc à la date de sa décision. Toutefois, à supposer que le règlement puisse être considéré comme étant devenu caduc à cette date à défaut d'avoir été remplacé ou à tout le moins renouvelé, ce que le CCAS conteste au motif que la durée de validité était purement indicative, cette circonstance ne faisait pas disparaitre le devoir de probité qui s'impose à tout fonctionnaire, et dont le corollaire est l'obligation de désintéressement. Par suite, la présidente du CCAS de F... aurait pris la même décision si elle s'était uniquement fondée sur l'article 25 précité de la loi susvisée du 13 juillet 1983. Le moyen tiré de l'erreur de droit doit, par suite, être écarté.
8. En quatrième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que pour infliger à Mme D... la sanction de révocation, la présidente du CCAS de F... s'est fondée sur le fait que l'intéressée avait accepté l'héritage de Mme E... dont elle avait la charge en tant qu'aide à domicile, qu'elle avait accepté que cette dernière cède gracieusement sa voiture à son fils et qu'elle avait abusé de la faiblesse d'une personne vulnérable. La réalité des faits et leur caractère fautif ne sont plus contestés par la requérante, laquelle soulève uniquement le caractère disproportionné de la sanction.
9. En l'espèce, Mme D... fait valoir qu'elle entretenait depuis 2005 des relations amicales avec Mme E..., que cette dernière n'était pas dans un état de vulnérabilité tel que cela aurait eu une influence sur son discernement quant aux gratifications en cause, et qu'elle a agi en toute bonne foi. Toutefois, à la supposer établie, cette amitié de longue date, que la requérante a d'ailleurs à tort omis de signaler au CCAS, ne justifiait pas l'atteinte à l'obligation de probité s'imposant à tout fonctionnaire, et plus particulièrement aux aides à domicile tenues à des règles particulières de déontologie au regard de la fragilité des personnes dont elles ont la charge, alors d'ailleurs que la requérante avait signé en 2011 le règlement de fonctionnement du service d'aide à domicile qui posait l'interdiction de recevoir de l'usager ou de son entourage une quelconque rémunération ou gratification. En outre, l'état de vulnérabilité de Mme E... au moment des faits ressort sans ambiguïté du compte rendu de la visite à domicile faite le 7 mars 2014. En outre et surtout, il ressort des pièces du dossier qu'après avoir découvert que l'ex-mari de Mme D... se rendait souvent chez Mme E..., cette dernière le considérant comme son " neveu ", le CCAS a proposé une nouvelle aide à domicile afin d'éloigner les deux femmes. Mme D... a alors demandé à être placée en disponibilité, tandis que Mme E... a mis fin aux prestations fournies par le CCAS au motif que sa famille allait prendre le relais. Or Mme D... a admis s'être occupée de la défunte contre rémunération pendant sa période de disponibilité. Mme D... apparait donc comme ayant contourné à dessein les mesures que le CCAS, qui avait pris conscience des risques que comportait la trop grande proximité entre les deux femmes, envisageait à l'époque de prendre. Par conséquent, compte tenu de la chronologie des faits, de leur gravité au regard des fonctions exercées et de l'impact que ceux-ci ont eu sur l'image de la commune, la présidente du centre communal d'action sociale de F... n'a pas prononcé une sanction disproportionnée en révoquant Mme D....
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.


DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au centre communal d'action sociale (CCAS) de F....
Délibéré après l'audience du 14 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Mireille Heers, présidente de chambre ;
- M. d'Haëm, président-assesseur ;
- Mme C... d'Argenlieu, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 novembre 2022.

La rapporteure,
L. D'ARGENLIEU
La présidente,
M. B...
La greffière,
O. BADOUX-GRARE
La République mande et ordonne à la préfète du Val-de-Marne en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA04761



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