Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 08/12/2022, 463624, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er mai et 5 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association de financement du parti Reconquête ! demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du Premier ministre rejetant sa demande tendant à l'abrogation du 5° de l'article 11-3 du décret n° 90-606 du 9 juillet 1990 dans sa rédaction issue du décret n° 2020-1397 du 17 novembre 2020 qui prévoit que le montant des fonds perçus par le biais d'un prestataire de service de paiement est versé intégralement et sans délai sur le compte de dépôt ouvert par le mandataire financier et que la perception éventuelle de frais par le prestataire ne peut intervenir qu'après ce versement ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de procéder à l'abrogation demandée sous un mois ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 400 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 ;
- la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 ;
- la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 ;
- le décret n° 90-606 du 9 juillet 1990 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public ;




Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. Aux termes du dernier alinéa de l'article 11-1 de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, tel qu'issu de la loi du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral : " Pour recueillir des fonds, l'association de financement [d'un parti ou groupement politique] peut avoir recours à des prestataires de services de paiement définis à l'article L. 521-1 du code monétaire et financier. Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités de ces transferts financiers afin de garantir la traçabilité des opérations financières et le respect de l'article 11-4 de la présente loi ". L'article 11-4 de la même loi dispose que : " Une personne physique peut verser un don à un parti ou groupement politique si elle est de nationalité française ou si elle réside en France. Les dons consentis et les cotisations versées en qualité d'adhérent d'un ou de plusieurs partis ou groupements politiques par une personne physique dûment identifiée à une ou plusieurs associations agréées en qualité d'association de financement ou à un ou plusieurs mandataires financiers d'un ou de plusieurs partis ou groupements politiques ne peuvent annuellement excéder 7 500 euros. / Par exception, les cotisations versées par les titulaires de mandats électifs nationaux ou locaux ne sont pas prises en compte dans le calcul du plafond mentionné au premier alinéa. / Les personnes morales à l'exception des partis ou groupements politiques ne peuvent contribuer au financement des partis ou groupements politiques (...). / L'association de financement ou le mandataire financier délivre au donateur un reçu pour chaque don ou cotisation. Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'établissement, d'utilisation et de transmission du reçu à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Dans les conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, le parti ou groupement bénéficiaire communique chaque année à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques la liste des personnes ayant consenti à lui verser un ou plusieurs dons ou cotisations, ainsi que le montant de ceux-ci. / Tout don de plus de 150 euros consenti à une association de financement ou à un mandataire financier d'un parti ou groupement politique doit être versé, à titre définitif et sans contrepartie, soit par chèque, soit par virement, prélèvement automatique ou carte bancaire. / Aucune association de financement ou aucun mandataire financier d'un parti ou groupement politique ne peut recevoir, directement ou indirectement, des contributions ou aides matérielles d'un Etat étranger ou d'une personne morale de droit étranger (...) ".

2. L'article L. 521-1 du code monétaire et financier dispose que : " I. - Les prestataires de services de paiement sont les établissements de paiement, les établissements de monnaie électronique, les établissements de crédit et les prestataires de services d'information sur les comptes. / (...) ".

3. Aux termes de l'article 11-3 du décret du 9 juillet 1990 pris pour l'application de la loi du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, tel que modifié par le décret du 17 novembre 2020 pris pour l'application de la loi du 2 décembre 2019 : " Lorsqu'il a recours, pour le recueil de fonds en ligne, à un prestataire de services de paiement, le mandataire s'assure : / 1° Que la page internet de l'opération de financement comprend bien l'intégralité des mentions prévues par le dernier alinéa de l'article 11-4 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence de la vie politique s'agissant des dons (...) ; / 2° Que le prestataire met en place des procédures permettant d'assurer, pour la collecte de dons ou de cotisations, le respect des deux premiers alinéas de l'article 11-4 de la même loi (...) ; / 3° Que le prestataire lui fournit, pour chaque donateur ou cotisant, toutes les informations requises en application de l'article 11 du présent décret, concomitamment au versement des fonds sur le compte de dépôt ouvert par le mandataire, ainsi qu'une attestation sur l'origine des fonds et la qualité de personne physique du donateur, cotisant ou prêteur ; / 4° Que les données correspondantes sont transmises sous la forme d'un fichier normalisé compatible avec la liste des donateurs et cotisants mentionnée par l'article 11-1 du présent décret ; / 5° Que le montant des fonds perçus est versé intégralement et sans délai sur le compte de dépôt qu'il a ouvert. La perception éventuelle de frais par le prestataire ne peut intervenir qu'après ce versement ; / 6° Qu'aucun remboursement n'est effectué par le prestataire sans son autorisation et qu'il est limité aux opérations de moins de 150 euros ; / 7° Que lorsqu'il a recours à ce prestataire dans le cadre d'une intermédiation en financement participatif, celui-ci, outre le respect des obligations prévues du 1° au 6°, remplit les conditions pour exercer en cette qualité conformément aux articles L. 548-1 et suivants du code monétaire et financier (...) ". Aux termes de l'article 11 du même décret : " I. Le mandataire prévu par l'article 11 de la loi du 11 mars 1988 précitée délivre aux donateurs et cotisants pour chaque don consenti ou cotisation versée, quels que soient son montant et son mode de versement, un reçu détaché d'une formule numérotée, éditée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. / (...) / La souche et le reçu indiquent s'il s'agit d'un don ou d'une cotisation ; ils mentionnent le montant, la date et le mode de règlement par chèque, espèces, carte bancaire, virement ou prélèvement automatique ainsi que l'identité, la nationalité et l'adresse du domicile fiscal du donateur ou du cotisant. Le reçu comporte le nom et l'adresse du mandataire mentionné au premier alinéa. Il est signé par le donateur ou le cotisant. / (...) ".

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. L'association de financement du parti " Reconquête ! " demande l'annulation du refus opposé par le Premier ministre à sa demande d'abrogation du 5° de l'article 11-3 du décret du 9 juillet 1990, tel qu'issu du décret du 17 novembre 2020.

5. Il résulte des dispositions, citées au point 1, de la loi du 11 mars 1988, telle que modifiée par la loi du 2 décembre 2019, que le législateur a entendu permettre à toute association de financement d'un parti ou groupement politique d'avoir recours à l'un quelconque des prestataires de services de paiement mentionnés à l'article L. 521-1 du code monétaire et financier pour recueillir les dons, notamment en ligne. Il a subordonné ce recours au respect des règles, définies par décret en Conseil d'Etat, déterminant les modalités des différents transferts financiers réalisés à l'occasion de ces dons, nécessaires pour garantir la traçabilité de ces transferts et le respect des conditions imposées par l'article 11-4 de la loi tenant en particulier au montant des dons et à la qualité du donateur.

6. Pour l'application de ces dispositions, le décret du 17 novembre 2020 a ainsi notamment exigé, aux 2° et 3° de l'article 11-3 du décret du 9 juillet 1990 reproduits au point 3, que le prestataire mette en place des procédures permettant d'assurer, pour la collecte de dons ou de cotisations, le respect des deux premiers alinéas de l'article 11-4 de la même loi et qu'il fournisse au mandataire pour chaque donateur toutes les informations requises en application de l'article 11 de ce décret, c'est à dire le montant du don, la date et le mode de règlement par chèque, espèces, carte bancaire, virement ou prélèvement automatique ainsi que l'identité, la nationalité et l'adresse du domicile fiscal du donateur, concomitamment au versement des fonds sur le compte de dépôt ouvert par le mandataire, ainsi qu'une attestation sur l'origine des fonds et la qualité de personne physique du donateur.

7. Le même décret a, par les dispositions contestées du 5° du même article, prescrit que lorsqu'il a recours, pour le recueil de fonds en ligne, à un prestataire de services de paiement, qui permet d'accepter des paiements en ligne, notamment par carte bancaire, le mandataire d'une association de financement d'un parti ou d'un groupement politique doit s'assurer que le montant des fonds perçus par ce prestataire est versé intégralement et sans délai sur le compte de dépôt qu'il a ouvert et que la perception éventuelle de frais par ce prestataire ne peut intervenir qu'après ce versement. Cette dernière exigence, qui a pour effet d'empêcher concrètement le recours aux prestataires de service de paiement qui ne sont pas des établissements bancaires, compte tenu de ce que sont en pratique leurs propres conditions de fonctionnement, ne peut, par elle-même et eu égard aux autres dispositions de l'article 11-3 du décret du 9 juillet 1990, en particulier celles figurant aux 2° et 3° de cet article, être regardée comme étant nécessaire pour garantir la traçabilité des opérations financières et assurer le respect des dispositions de l'article 11-4 de la loi du 11 mars 1988. Dès lors, l'association requérante est fondée à soutenir qu'en l'édictant le Premier ministre a méconnu l'article 11-1 de la loi du 11 mars 1988.

9. Il résulte de ce qui précède que l'association requérante est fondée à demander l'annulation du refus opposé par le Premier ministre à sa demande d'abrogation des dispositions du 5° de l'article 11-3 du décret du 9 juillet 1990, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de sa requête.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

11. L'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger le 5° de l'article 11-3 du décret du 9 juillet 1990 implique nécessairement que la Première ministre modifie ces dispositions. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que l'association requérante demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le refus du Premier ministre d'abroger le 5° de l'article 11-3 du décret du 9 juillet 1990 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la Première ministre de modifier les dispositions mentionnées à l'article 1er dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association de financement du parti Reconquête !, à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la section du rapport et des études.

ECLI:FR:CECHR:2022:463624.20221208
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