CAA de NANCY, 1ère chambre, 22/11/2022, 22NC02635, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 25 octobre 2022, M. A... C..., représenté par Me Dravigny demande au juge des référés :

1°) de prononcer, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'arrêté du 23 septembre 2021 par lequel le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour ;

2°) à ce qu'il soit enjoint au préfet du Doubs de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son avocat, Me Dravigny, qui renonce dans cette hypothèse à percevoir le montant de l'aide juridictionnelle sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.


Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que sa situation est très précaire, son contrat d'apprentissage est en passe d'être interrompu, tout comme sa prise en charge par le département du Doubs, il est dépourvu de ressource et doit compter sur la solidarité pour être hébergé ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée dès lors que :
- elle est entachée d'une erreur de fait quant à sa minorité et d'une erreur manifeste d'appréciation quant à la validité des documents ;
- elle est entachée d'erreur de droit en l'absence par le préfet de l'examen globale de sa situation au regard de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Par un mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2022, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les conditions du référé suspension ne sont pas remplies.


Vu :
- la requête n° 22NC02635 par laquelle M. C... fait appel du jugement du tribunal administratif de Besançon n° 2101928 du 30 août 2022 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 septembre 2021 par lequel le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et a fixé le pays de renvoi ;
- la demande d'aide juridictionnelle du 25 octobre 2022 ;
- les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.


La présidente de la cour a, par une ordonnance du 1er septembre 2022 désigné M. Marc Wallerich, président de chambre, comme juge des référés en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Wallerich, juge des référés a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur l'aide juridictionnelle provisoire :

1. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ". Aux termes de l'article 61 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles : " (...) L'admission provisoire peut être accordée dans une situation d'urgence ( ...) L'admission provisoire est accordée par le président du bureau ou de la section ou le président de la juridiction saisie, soit sur une demande présentée sans forme par l'intéressé, soit d'office si celui-ci a présenté une demande d'aide juridictionnelle ou d'aide à l'intervention de l'avocat sur laquelle il n'a pas encore été statué ".
2. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'admettre M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Sur les conclusions à fin de suspension de l'exécution de l'arrêté du 23 septembre 2021:

3. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".

4. M. C..., ressortissant guinéen, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, en septembre 2018. Par une ordonnance de placement provisoire, il a été confié, compte tenu de sa minorité, aux services de l'aide sociale à l'enfance du département du Doubs à compter du 23 octobre 2018. Le 20 avril 2021, il a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu l'article L. 435-3 du même code. Par un arrêté du 23 septembre 2021, le préfet du Doubs lui a opposé un refus, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai. M. C... a contesté ces décisions. Par un jugement du 30 août 2022, le tribunal administratif de Besançon a rejeté cette demande. Un appel contre ce jugement, enregistré sous le n° 22NC02622, est actuellement pendant devant la cour. Par la présente requête, M. C... demande la suspension de l'exécution de cet arrêté en tant qu'il porte refus de titre de séjour.

En ce qui concerne l'urgence :

5. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande de suspension d'une décision refusant la délivrance d'un titre de séjour, d'apprécier et de motiver l'urgence compte tenu de l'incidence immédiate du refus de titre de séjour sur la situation concrète de l'intéressé. Cette condition d'urgence sera en principe constatée dans le cas d'un refus de renouvellement du titre de séjour, comme d'ailleurs d'un retrait de celui-ci. Dans les autres cas, il appartient au requérant de justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure provisoire dans l'attente d'une décision juridictionnelle statuant sur la légalité de la décision litigieuse.

6. Il résulte de l'instruction et n'est au demeurant pas contesté que M. C..., qui avait été, du fait de sa minorité, pris en charge par le département du Doubs, est démuni de toute ressource et hébergement. Par suite, l'exécution du refus de titre en litige porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à la situation du requérant. La condition d'urgence est par suite remplie.

En ce qui concerne le doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée :

7. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ". Pour refuser à M. C... la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Doubs s'est fondé sur le fait que l'intéressé, par les documents justifiant son état civil, jugés frauduleux, n'établissait pas son identité et par suite avoir été confié au service de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans.

8. Il résulte de l'instruction et plus particulièrement du passeport de l'intéressé, produit tant devant le tribunal administratif que devant la cour, que le moyen tiré de l'erreur de fait quant à l'âge de M. C... lorsqu'il a été confié au service de l'aide social à l'enfance paraît, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité du refus de titre de séjour du 23 septembre 2021.

9. Il y a en conséquence lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 23 septembre 2021 portant refus de titre de séjour.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Lorsque le juge ordonne, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution d'une décision ayant rejeté une demande de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour émanant d'un ressortissant étranger, ce dernier ne peut, en raison même de la suspension de la décision, être regardé comme se trouvant dans une situation irrégulière sur le territoire français. En conséquence, l'autorité administrative a l'obligation, aussi longtemps que la suspension ordonnée produit effet, de le munir d'un récépissé de demande de carte de séjour valant autorisation provisoire de séjour. Indépendamment de la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour, il appartient à l'autorité administrative, au vu du ou des moyens servant de fondement à la mesure de suspension, de procéder à un nouvel examen de la situation du requérant sans attendre la décision du juge saisi au principal, en fonction de l'ensemble des circonstances de droit et de fait au jour de ce réexamen.

11. La présente ordonnance implique ainsi qu'il soit enjoint au préfet du Doubs de procéder au réexamen de la demande de M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'ordonnance, et de lui délivrer, sans délai, un récépissé de demande de carte de séjour valant autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans l'attente de l'arrêt au fond.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la somme de 1 200 euros à la charge de l'Etat à verser à Me Dravigny au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à la double condition que M. C... se voit accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre définitif, et que Me Dravigny renonce à percevoir l'aide contributive de l'Etat.




ORDONNE :


Article 1er : M. C... est admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : L'exécution de l'arrêté du 23 septembre 2021 portant refus de titre de séjour est suspendue.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Doubs de procéder au réexamen de la demande de M. C..., dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'ordonnance, et de lui délivrer sans délai un récépissé de demande de carte de séjour valant une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler valable jusqu'à ce réexamen ou à défaut jusqu'à ce qu'il ait été statué par la cour administrative d'appel sur sa demande en annulation de la décision de refus de séjour attaquée.
Article 4 : Sous réserve de l'admission définitive de M. C... à l'aide juridictionnelle et sous réserve que Me Dravigny renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, ce dernier versera à Me Dravigny une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à M. D... le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros lui sera directement versée.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Dravigny.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
Fait à Nancy, le 22 novembre 2022.

Le juge des référés,
Signé : M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,
La greffière,



S. Robinet
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N° 22NC02635



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