Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 22/11/2022, 447097

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société RB Holding Europe du Sud, en qualité de société tête du groupe fiscalement intégré dont fait partie la société Reckitt Benckiser France, a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles la société Reckitt Benckiser France a été assujettie au titre de son exercice clos en 2011. Par un jugement n° 1701374 du 18 janvier 2018, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18VE00960 du 6 octobre 2020, la cour administrative d'appel de Versailles, sur l'appel de la société RB Holding Europe du Sud, a annulé ce jugement et prononcé la décharge des impositions supplémentaires litigieuses ainsi que des intérêts de retard correspondants.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er décembre 2020 et 9 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 1 à 3 de cet arrêt ;

2°) réglant dans cette mesure l'affaire au fond, de rejeter l'appel formé par la société RB Holding Europe du Sud et de remettre à sa charge les impositions litigieuses.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société RB Holding Europe du Sud ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Reckitt Benckiser France, membre du groupe fiscalement intégré dont la société RB Holding Europe du Sud est la tête, a acquis le 28 février 2011 auprès de la société de droit néerlandais New Bridge Holdings BV, l'ensemble des titres de la société de droit britannique SSL Healthcare pour un prix de 33 600 000 euros. Le même jour, la société Reckitt Benckiser France a décidé de procéder à la dissolution sans liquidation de la société britannique à compter du 1er avril 2011 et a placé cette opération sous le régime de faveur prévu par l'article 210 A du code général des impôts. Le 7 avril 2011, la société Reckitt Benckiser France a déduit de son résultat imposable la somme de 9 800 000 euros correspondant au remboursement d'un abandon de créance consenti par la société New Bridge Holding BV à la société SSL Healthcare en vertu d'un contrat passé le 31 mars 2003 comportant une clause de retour à meilleure fortune prévoyant notamment le rétablissement de la créance en cas de transfert de l'actif et du passif de la société SSL Healthcare à une société autre que la société-mère néerlandaise. L'administration fiscale a remis en cause la déductibilité de cette charge en raison de son rattachement à la gestion de la société confondue. Par un jugement du 18 janvier 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société RB Holding Europe du Sud tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles la société Reckitt Benckiser France a été assujettie à raison de cette rectification au titre de son exercice clos en 2011. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande l'annulation des articles 1 à 3 de l'arrêt du 6 octobre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce jugement et prononcé la décharge des impositions et des intérêts de retard litigieux.

2. D'une part, aux termes de l'article 1844-5 du code civil : " La réunion de toutes les parts sociales en une seule main n'entraîne pas la dissolution de plein droit de la société. (...) / En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " (...) 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt (...). L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (...) ". Aux termes de l'article 39 du même code, également rendu applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges (...) ". Aux termes de l'article 210 A de ce code : " 1. Les plus-values nettes et les profits dégagés sur l'ensemble des éléments d'actif apportés du fait d'une fusion ne sont pas soumis à l'impôt sur les sociétés. / Il en est de même de la plus-value éventuellement dégagée par la société absorbante lors de l'annulation des actions ou parts de son propre capital qu'elle reçoit ou qui correspondent à ses droits dans la société absorbée. / L'inscription à l'actif de la société absorbante du mali technique de fusion consécutif à l'annulation des titres de la société absorbée ne peut donner lieu à aucune déduction ultérieure. / (...) / 3. L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que la société absorbante s'engage, dans l'acte de fusion, à respecter les prescriptions suivantes : a. Elle doit reprendre à son passif : / d'une part, les provisions dont l'imposition est différée ; / d'autre part, la réserve spéciale où la société absorbée a porté les plus-values à long terme soumises antérieurement au taux réduit de 10 %, de 15 %, de 18 %, de 19 % ou de 25 % ainsi que la réserve où ont été portées les provisions pour fluctuation des cours en application du sixième alinéa du 5° du 1 de l'article 39 ; / b. Elle doit se substituer à la société absorbée pour la réintégration des résultats dont la prise en compte avait été différée pour l'imposition de cette dernière ; / c. Elle doit calculer les plus-values réalisées ultérieurement à l'occasion de la cession des immobilisations non amortissables qui lui sont apportées d'après la valeur qu'elles avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures de la société absorbée ; / d. Elle doit réintégrer dans ses bénéfices imposables les plus-values dégagées lors de l'apport des biens amortissables. (...) / e) Elle doit inscrire à son bilan les éléments autres que les immobilisations pour la valeur qu'ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures de la société absorbée. (...) ".

4. En premier lieu, une opération de dissolution par confusion de patrimoine entraîne la transmission à la société confondante de l'actif et du passif de la société confondue ainsi que l'annulation des titres de cette société détenus par la société confondante. Lorsque cette opération est placée sous le régime de faveur de l'article 210 A du code général des impôts, la transmission de l'actif net de la société confondue est réalisée à la valeur comptable et l'éventuel boni de fusion correspondant à la différence positive entre la valeur comptable de l'actif net de la société confondue et la valeur comptable des titres annulés n'est pas imposable. Par suite, en l'absence de rémunération versée par la société confondante en contrepartie de la transmission de l'actif net de la société confondue et eu égard à l'objectif de neutralité fiscale des opérations de fusion de sociétés poursuivi par le législateur en adoptant les dispositions de l'article 210 A du code général des impôts, les charges supportées par la société confondante postérieurement à la transmission universelle de patrimoine sont déductibles, quand bien même ces charges correspondraient à des passifs latents de la société confondue. Est à cet égard sans incidence la circonstance que les titres de la société confondue ont été acquis par la société confondante en tenant compte, à la date de cette acquisition, de la valeur réelle de l'actif net de la première, y compris, le cas échéant, de ses engagements hors bilan.

5. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus que la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'il n'y avait pas lieu, pour apprécier le caractère déductible chez la société confondante des dettes et charges en lien avec l'activité de la société confondue, de tenir compte du prix d'acquisition des titres de la société confondue détenus par la société confondante.

6. En second lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a jugé qu'à supposer qu'il y ait lieu de tenir compte du prix d'acquisition des titres de la société confondue détenus par la société confondante pour apprécier le caractère déductible chez celle-ci des dettes et charges en lien avec l'activité de la société confondue, la société Reckitt Benckiser France était en droit de déduire la charge résultant de la mise en œuvre de la clause de retour à meilleure fortune dès lors, d'une part, que cette charge n'était née que postérieurement à la transmission universelle du patrimoine et, d'autre part, qu'elle ne constituait pour sa filiale qui avait bénéficié de l'abandon de créance qu'un simple engagement hors bilan n'ayant donné lieu ni à l'inscription d'une dette, ni à la constitution d'une provision.

7. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 4 et 5, les moyens d'erreur de droit et d'erreur de qualification juridique dirigés contre ce motif de l'arrêt attaqué sont inopérants et ne peuvent qu'être écartés.

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société RB Holding Europe du Sud au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société RB Holding Europe du Sud la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société RB Holding Europe du Sud.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 octobre 2022 où siégeaient :
Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Thomas Andrieu, M. Nicolas Polge, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.


Rendu le 22 novembre 2022.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Guiard
La secrétaire :
Signé : Mme Laurence Chancerel



La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


ECLI:FR:CECHR:2022:447097.20221122
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