CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 31/10/2022, 21MA04872, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 31 mai 2021, par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a enjoint de quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a assorti cette décision d'une interdiction de retour sur le territoire national d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2105122 du 16 juillet 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.


Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 22 décembre 2021, M. A..., représenté par Me Carmier, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille du 16 juillet 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté attaqué ;


3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, sur le fondement des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du dépôt de son dossier de demande de séjour ;


4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser à son conseil qui renonce dans ce cas à percevoir la part contributive de l'Etat due au titre de l'aide juridictionnelle.


Il soutient que :
- sa requête d'appel qui a été enregistrée dans les délais de recours contentieux est recevable ;
- le jugement est irrégulier, le magistrat désigné ayant omis de répondre aux moyens, invoqués au soutien des conclusions dirigées contre la mesure d'éloignement et qui ne sont pas inopérants, tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant. Le tribunal a aussi omis de répondre au moyen selon lequel le refus d'accorder un délai de départ volontaire était entaché d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation et portait une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. Le jugement est également insuffisamment motivé sur ces points ;
- les décisions contestées sont entachées d'incompétence de leur auteur ;
- elles méconnaissent les articles L. 612-1 et L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il est père d'un enfant français et il justifie contribuer à son entretien et à son éducation ;
- elles portent une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
- le refus de délai de départ volontaire méconnaît l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision de refus de départ volontaire porte aussi une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation alors qu'il présente les garanties de représentation nécessaires puisqu'il dispose d'un passeport en cours de validité et d'un lieu de résidence permanent chez sa concubine ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français dans le délai d'un an est illégale, par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire sans délai sur laquelle elle se fonde ;
- elle méconnaît les articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et porte aussi une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.



Un courrier du 23 août 2022 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 612-3 alinéa 3 du code de justice administrative les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.


Le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas produit d'observations en défense.


Par ordonnance du 3 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R .613-1 du code de justice administrative.


M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 novembre 2021.


Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.


Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure.


Considérant ce qui suit :


1. Par arrêté du 31 mai 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône a enjoint à M. A..., ressortissant algérien, de quitter sans délai le territoire français et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'un an. M. A... relève appel du jugement du 16 juillet 2021 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.



Sur le bien-fondé de la requête :

2. D'une part, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : [...] 4) au ressortissant algérien descendant direct d'un enfant français mineur résident en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins. Lorsque la qualité d'ascendant direct d'un enfant français résulte d'une reconnaissance de l'enfant postérieure à la naissance, le certificat de résidence d'un an n'est délivré au ressortissant algérien que s'il subvient à ses besoins depuis sa naissance ou depuis au moins un an. ".

3. Il résulte de ces stipulations que le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit à l'ascendant direct d'un enfant français mineur résidant en France à l'égard duquel il exerce l'autorité parentale, sans qu'il ait à établir contribuer effectivement à son entretien et à son éducation.

4. D'autre part, selon l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur: " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français :/ [...] 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans. ". Enfin l'article 372 du code civil précise que : " Les père et mère exercent en commun l'autorité parentale. / Toutefois, lorsque la filiation est établie à l'égard de l'un d'entre eux plus d'un an après la naissance d'un enfant dont la filiation est déjà établie à l'égard de l'autre, celui-ci reste seul investi de l'exercice de l'autorité parentale. Il en est de même lorsque la filiation est judiciairement déclarée à l'égard du second parent de l'enfant. / L'autorité parentale pourra néanmoins être exercée en commun en cas de déclaration conjointe des père et mère adressée au directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire ou sur décision du juge aux affaires familiales. ".

5. Indépendamment de l'énumération faite par l'article L. 511-4 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Et lorsque la loi ou une convention internationale prévoit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement faire l'objet d'une mesure d'éloignement.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... est en couple avec une ressortissante de nationalité française depuis au moins l'année 2019 et qu'il est le père d'un enfant français né le 19 juillet 2019 qu'il a reconnu le 22 juillet 2019 et sur lequel il n'est pas contesté qu'il exerce l'autorité parentale. Ainsi qu'il a été dit aux points 2 à 5, en application des stipulations de l'accord franco-algérien et de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cette circonstance faisait donc obstacle à ce que M. A... puisse légalement faire l'objet d'une mesure d'éloignement.




7. Toutefois, si l'accord franco-algérien ne subordonne pas la délivrance d'un certificat de résidence à un ressortissant algérien à la condition que l'intéressé ne constitue pas une menace pour l'ordre public, il ne prive pas l'administration française du pouvoir qui lui appartient, en application de la réglementation générale relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France, de refuser l'admission au séjour en se fondant sur des motifs tenant à l'ordre public.


8. Le préfet fait valoir que M. A... a été interpellé au domicile du couple le 30 mai 2021 pour violences conjugales après un appel des voisins. Néanmoins, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, la compagne de l'intéressé était enceinte de sept mois de leur second enfant. Cette dernière, qui conteste l'existence de violences conjugales, a attesté héberger M. A..., et indiqué qu'il s'occupait de son fils né en 2019, ce qui est corroboré par une attestation d'un médecin du 11 juin 2021 selon laquelle le père a emmené son enfant en consultation à trois reprises en 2021, par des attestations de voisins du 14 juin 2021 ainsi que par plusieurs photographies du père avec son fils à différents âges. Il ressort en outre des attestations des enfants eux-mêmes de la compagne de M. A..., nés en 2005 et en 2006 d'une première union, qu'il est aussi présent pour eux. Dans ces conditions particulières, la circonstance que M. A... ait été interpellé au domicile familial le 30 mai 2021 à la suite d'un appel des voisins pour violences conjugales, n'apparaît pas, à elle seule, de nature à caractériser une atteinte à l'ordre public.


9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement et sur l'ensemble des moyens de la requête, le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué.


Sur les conclusions en injonction :


10. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée [...] l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".


11. En application de cette disposition, l'exécution de la présente décision implique nécessairement, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de munir immédiatement M. A... d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas et de fixer à quatre mois le délai dans lequel il devra prendre une décision sur son droit au séjour en France.


Sur les frais de l'instance :


12. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Carmier, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Carmier de la somme de 1 500 euros.

D É C I D E :


Article 1er : Le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille n° 2105122 du 16 juillet 2021 et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 31 mai 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de munir immédiatement M. A... d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. La décision prise à l'issue de l'examen du droit au séjour de M. A... devra intervenir dans un délai de quatre mois.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me Carmier, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me Carmier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Carmier et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.


Délibéré après l'audience du 10 octobre 2022, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 octobre 2022.
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N° 21MA04872



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