Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 28/10/2022, 457317
Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 28/10/2022, 457317
Conseil d'État - 4ème - 1ère chambres réunies
- N° 457317
- ECLI:FR:CECHR:2022:457317.20221028
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
vendredi
28 octobre 2022
- Rapporteur
- Mme Cécile Fraval
- Avocat(s)
- SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 457317, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 7 octobre 2021 et le 7 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 5 août 2021 portant fusion de champs conventionnels en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective nationale des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (IDCC 783) à la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées (IDCC 413) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 457324, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 7 octobre 2021 et les 7 janvier et 13 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale de l'action sociale FO demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 5 août 2021 portant fusion de champs conventionnels en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective nationale des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (IDCC 783) à la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées (IDCC 413) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 ;
- la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ;
- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
- l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 ;
- la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 ;
- la décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019 du Conseil constitutionnel ;
- le décret n° 2015-262 du 5 mars 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Fraval, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale et à Me Brouchot, avocat de la Fédération nationale de l'action sociale Force Ouvrière ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 2261-32 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel : " I.- Le ministre chargé du travail peut, eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles, engager une procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives d'une branche avec celui d'une branche de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues : / 1° Lorsque la branche compte moins de 5 000 salariés / 2° Lorsque la branche a une activité conventionnelle caractérisée par la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociations couverts ; / 3° Lorsque le champ d'application géographique de la branche est uniquement régional ou local ; / 4° Lorsque moins de 5 % des entreprises de la branche adhèrent à une organisation professionnelle représentative des employeurs ; / 5° En l'absence de mise en place ou de réunion de la commission prévue à l'article L. 2232-9 ; / 6° En l'absence de capacité à assurer effectivement la plénitude de ses compétences en matière de formation professionnelle et d'apprentissage. (...) / Un avis publié au Journal officiel invite les organisations et personnes intéressées à faire connaître, dans un délai déterminé par décret, leurs observations sur ce projet de fusion. / Le ministre chargé du travail procède à la fusion après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective. (...) / V.- Sauf dispositions contraires, un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article L. 2232-9 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel : " I. - Une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation est mise en place par accord ou convention dans chaque branche (...) ".
2. Sur le fondement de ces dispositions, la ministre du travail a, par un arrêté du 5 août 2021 portant fusion de champs conventionnels, prononcé la fusion du champ d'application de la convention collective des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS), convention rattachée, avec celui de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées (dite " convention 66 "), convention de rattachement, en raison, d'une part, de la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociations couverts au sein de la branche des CHRS et, d'autre part, de l'absence de mise en place d'une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation au sein de cette même branche. Par deux requêtes distinctes qu'il y a lieu de joindre, la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale et la Fédération nationale de l'action sociale FO demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté en tant qu'il prononce la fusion de ces deux branches.
Sur la légalité externe de l'arrêté :
3. En premier lieu, ni les dispositions de l'article L. 2261-32 du code du travail ni aucune autre disposition ne prévoient que l'avis publié au Journal officiel de la République française invitant les organisations et personnes intéressées à faire connaître, dans un délai déterminé, leurs observations sur un projet de fusion soit assorti de l'énoncé des motifs pour lesquels un tel regroupement est envisagé. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été édicté au terme d'une procédure irrégulière en raison de l'insuffisance des motifs assortissant l'avis, ne peut qu'être écarté.
4. En second lieu, aux termes de l'article R. 2272-10 du code du travail : " Les missions dévolues à la Commission nationale peuvent être exercées par (...) / 3° la sous-commission de la restructuration des branches professionnelles en ce qui concerne le 1° de l'article L. 2271-1. / La sous-commission de la restructuration des branches professionnelles analyse la situation des branches en vue de susciter une réduction du nombre des branches par voie conventionnelle et, en tant que de besoin, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2261-32. / Elle peut donner au nom de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle les avis prévus au second alinéa du I et au III de l'article L. 2261-32. / (...) ".
5. Les dispositions du dernier alinéa du 3° de l'article R. 2272-10 du code du travail, instituées par le décret du 5 mars 2015 relatif à la création de la sous-commission de la restructuration des branches professionnelles de la commission nationale de la négociation collective, alors que la rédaction de l'article L. 2261-32 alors en vigueur était issue de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, renvoient au I et au III de cette rédaction de l'article L. 2261-32, relatifs aux projets de fusion de branches fondés notamment sur la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés dans la branche susceptible d'être rattachée. Par suite, et alors même que, en dépit de la restructuration de l'article L. 2261-32 par plusieurs lois postérieures à la loi du 5 mars 2014, la rédaction de l'article R. 2272-10 n'a plus été modifiée, le moyen tiré de ce que l'avis de la sous-commission de la restructuration des branches professionnelles sur le projet litigieux ne pouvait être recueilli en lieu et place de celui de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle doit être écarté.
Sur la légalité interne de l'arrêté :
6. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 2261-32 du code du travail, citées au point 1, que la fusion des champs d'application des conventions collectives de deux branches, susceptible d'être décidée par le ministre chargé du travail sur le fondement de ces dispositions, suppose que ces deux branches présentent des conditions sociales et économiques analogues.
7. D'une part, il résulte des stipulations de la convention 66 que les établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées assurent notamment des missions d'aide et d'accompagnement des personnes en difficulté sociale, d'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles que les CHRS ont pour mission d'accueillir " les personnes et les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d'insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale ". Ainsi la branche des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées et celle des CHRS recouvrent l'une et l'autre des activités qui relèvent du secteur sanitaire et social et visent à l'accompagnement social de publics en difficultés, même si elles regroupent des établissements qui ne sont pas similaires. En outre, il ressort des pièces des dossiers que nombre de salariés de ces deux branches exercent des métiers relevant de l'intervention sociale, même si ces métiers peuvent comporter certaines spécificités. Enfin il ressort des pièces des dossiers que la valeur du point servant à la détermination des salaires dans la branche des CHRS est fixée par référence à celle déterminée par la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées et que les deux branches disposent d'un régime complémentaire de santé mutualisé commun pour leurs salariés. Dans ces conditions, la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale n'est pas fondée à soutenir que la ministre chargée du travail a fait une inexacte application de l'article L. 2261-32 du code du travail en retenant que la branche des CHRS présente des conditions sociales et économiques analogues à celles de la branche des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces des dossiers, dont les éléments statistiques transmis par le ministre chargé du travail, et non contestés par les requérantes, en réponse à la mesure supplémentaire d'instruction diligentée par la 4ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat, qu'au regard de l'activité de branches comparables, la branche des CHRS se caractérise par la faiblesse du nombre des thèmes de négociations couverts et du nombre d'accords collectifs signés en son sein, au nombre de six dans les cinq années ayant précédé l'arrêté attaqué. En outre, il ressort de ces mêmes pièces que, contrairement à la plupart des branches, les organisations syndicales et patronales représentatives dans la branche professionnelle des CHRS ne sont pas parvenues à mettre en place une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation au sein de cette branche, en raison d'un désaccord persistant, portant en particulier sur le financement du paritarisme et ce, malgré la tenue de plusieurs réunions de négociations, notamment en commission mixte paritaire. Il s'ensuit que la ministre du travail, en estimant que les critères définis par les dispositions du 2° et du 5° du I de l'article L. 2261-32 du code du travail étaient remplis en l'espèce, n'a commis ni erreur de droit ni erreur d'appréciation.
9. En troisième lieu, ainsi qu'il résulte des dispositions, citées au point 1, de l'article L. 2261-32 du code du travail, la procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives d'une branche avec celui d'une branche de rattachement ne peut être engagée par le ministre chargé du travail qu'eu égard à l'intérêt général qui s'attache à la restructuration des branches en cause. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'une contestation sur ce point, de s'assurer que la fusion décidée par le ministre répond à l'intérêt général de la restructuration des branches. A cet égard, il ressort des pièces des dossiers que, si les organisations représentatives requérantes ainsi que la fédération SUD Santé sociaux ont manifesté leur opposition à la fusion des deux branches en cause au motif notamment qu'elle aboutirait à l'élaboration d'une convention collective unique au détriment des droits et des conditions de travail spécifiques des salariés des deux branches, cette fusion s'inscrit tant dans le prolongement du rapprochement d'ores et déjà amorcé, sur quelques points, ainsi qu'il a été indiqué au point 7, entre les deux branches ainsi que dans le mouvement de convergence des conventions collectives du secteur sanitaire et social à but non lucratif, qui est soutenu par une partie des organisations représentatives de ces deux branches, notamment par l'organisation patronale représentative dans ces deux champs. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que cette fusion doit être regardée comme ne répondant pas à l'intérêt général de la restructuration des branches doit être écarté.
10. En dernier lieu, la Fédération nationale de l'action sociale FO ne saurait utilement soutenir, à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté prononçant la fusion administrative des deux branches précitées, que cet arrêté aurait été édicté en méconnaissance de la liberté de négocier et porterait atteinte au paritarisme en raison de l'attitude et des prises de position de l'organisation professionnelle Nexem, seule organisation professionnelle d'employeurs reconnue représentative dans le champ des deux conventions collectives nationales, lors des négociations collectives engagées notamment dans la branche des CHRS.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale et celle de la Fédération nationale de l'action sociale FO, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 5 août 2021 de la ministre du travail en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective nationale des CHRS à la convention 66, doivent être rejetées, y compris en ce qu'elles comportent des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les requêtes nos 457317 et 457324 sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale, à la Fédération nationale de l'action sociale FO et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 octobre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat et Mme Cécile Fraval, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 28 octobre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Cécile Fraval
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Alleil
ECLI:FR:CECHR:2022:457317.20221028
1° Sous le n° 457317, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 7 octobre 2021 et le 7 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 5 août 2021 portant fusion de champs conventionnels en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective nationale des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (IDCC 783) à la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées (IDCC 413) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 457324, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 7 octobre 2021 et les 7 janvier et 13 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale de l'action sociale FO demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 5 août 2021 portant fusion de champs conventionnels en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective nationale des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (IDCC 783) à la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées (IDCC 413) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 ;
- la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ;
- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
- l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 ;
- la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 ;
- la décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019 du Conseil constitutionnel ;
- le décret n° 2015-262 du 5 mars 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Fraval, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale et à Me Brouchot, avocat de la Fédération nationale de l'action sociale Force Ouvrière ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 2261-32 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel : " I.- Le ministre chargé du travail peut, eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles, engager une procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives d'une branche avec celui d'une branche de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues : / 1° Lorsque la branche compte moins de 5 000 salariés / 2° Lorsque la branche a une activité conventionnelle caractérisée par la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociations couverts ; / 3° Lorsque le champ d'application géographique de la branche est uniquement régional ou local ; / 4° Lorsque moins de 5 % des entreprises de la branche adhèrent à une organisation professionnelle représentative des employeurs ; / 5° En l'absence de mise en place ou de réunion de la commission prévue à l'article L. 2232-9 ; / 6° En l'absence de capacité à assurer effectivement la plénitude de ses compétences en matière de formation professionnelle et d'apprentissage. (...) / Un avis publié au Journal officiel invite les organisations et personnes intéressées à faire connaître, dans un délai déterminé par décret, leurs observations sur ce projet de fusion. / Le ministre chargé du travail procède à la fusion après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective. (...) / V.- Sauf dispositions contraires, un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article L. 2232-9 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel : " I. - Une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation est mise en place par accord ou convention dans chaque branche (...) ".
2. Sur le fondement de ces dispositions, la ministre du travail a, par un arrêté du 5 août 2021 portant fusion de champs conventionnels, prononcé la fusion du champ d'application de la convention collective des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS), convention rattachée, avec celui de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées (dite " convention 66 "), convention de rattachement, en raison, d'une part, de la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociations couverts au sein de la branche des CHRS et, d'autre part, de l'absence de mise en place d'une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation au sein de cette même branche. Par deux requêtes distinctes qu'il y a lieu de joindre, la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale et la Fédération nationale de l'action sociale FO demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté en tant qu'il prononce la fusion de ces deux branches.
Sur la légalité externe de l'arrêté :
3. En premier lieu, ni les dispositions de l'article L. 2261-32 du code du travail ni aucune autre disposition ne prévoient que l'avis publié au Journal officiel de la République française invitant les organisations et personnes intéressées à faire connaître, dans un délai déterminé, leurs observations sur un projet de fusion soit assorti de l'énoncé des motifs pour lesquels un tel regroupement est envisagé. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été édicté au terme d'une procédure irrégulière en raison de l'insuffisance des motifs assortissant l'avis, ne peut qu'être écarté.
4. En second lieu, aux termes de l'article R. 2272-10 du code du travail : " Les missions dévolues à la Commission nationale peuvent être exercées par (...) / 3° la sous-commission de la restructuration des branches professionnelles en ce qui concerne le 1° de l'article L. 2271-1. / La sous-commission de la restructuration des branches professionnelles analyse la situation des branches en vue de susciter une réduction du nombre des branches par voie conventionnelle et, en tant que de besoin, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2261-32. / Elle peut donner au nom de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle les avis prévus au second alinéa du I et au III de l'article L. 2261-32. / (...) ".
5. Les dispositions du dernier alinéa du 3° de l'article R. 2272-10 du code du travail, instituées par le décret du 5 mars 2015 relatif à la création de la sous-commission de la restructuration des branches professionnelles de la commission nationale de la négociation collective, alors que la rédaction de l'article L. 2261-32 alors en vigueur était issue de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, renvoient au I et au III de cette rédaction de l'article L. 2261-32, relatifs aux projets de fusion de branches fondés notamment sur la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés dans la branche susceptible d'être rattachée. Par suite, et alors même que, en dépit de la restructuration de l'article L. 2261-32 par plusieurs lois postérieures à la loi du 5 mars 2014, la rédaction de l'article R. 2272-10 n'a plus été modifiée, le moyen tiré de ce que l'avis de la sous-commission de la restructuration des branches professionnelles sur le projet litigieux ne pouvait être recueilli en lieu et place de celui de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle doit être écarté.
Sur la légalité interne de l'arrêté :
6. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 2261-32 du code du travail, citées au point 1, que la fusion des champs d'application des conventions collectives de deux branches, susceptible d'être décidée par le ministre chargé du travail sur le fondement de ces dispositions, suppose que ces deux branches présentent des conditions sociales et économiques analogues.
7. D'une part, il résulte des stipulations de la convention 66 que les établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées assurent notamment des missions d'aide et d'accompagnement des personnes en difficulté sociale, d'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles que les CHRS ont pour mission d'accueillir " les personnes et les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d'insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale ". Ainsi la branche des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées et celle des CHRS recouvrent l'une et l'autre des activités qui relèvent du secteur sanitaire et social et visent à l'accompagnement social de publics en difficultés, même si elles regroupent des établissements qui ne sont pas similaires. En outre, il ressort des pièces des dossiers que nombre de salariés de ces deux branches exercent des métiers relevant de l'intervention sociale, même si ces métiers peuvent comporter certaines spécificités. Enfin il ressort des pièces des dossiers que la valeur du point servant à la détermination des salaires dans la branche des CHRS est fixée par référence à celle déterminée par la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées et que les deux branches disposent d'un régime complémentaire de santé mutualisé commun pour leurs salariés. Dans ces conditions, la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale n'est pas fondée à soutenir que la ministre chargée du travail a fait une inexacte application de l'article L. 2261-32 du code du travail en retenant que la branche des CHRS présente des conditions sociales et économiques analogues à celles de la branche des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces des dossiers, dont les éléments statistiques transmis par le ministre chargé du travail, et non contestés par les requérantes, en réponse à la mesure supplémentaire d'instruction diligentée par la 4ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat, qu'au regard de l'activité de branches comparables, la branche des CHRS se caractérise par la faiblesse du nombre des thèmes de négociations couverts et du nombre d'accords collectifs signés en son sein, au nombre de six dans les cinq années ayant précédé l'arrêté attaqué. En outre, il ressort de ces mêmes pièces que, contrairement à la plupart des branches, les organisations syndicales et patronales représentatives dans la branche professionnelle des CHRS ne sont pas parvenues à mettre en place une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation au sein de cette branche, en raison d'un désaccord persistant, portant en particulier sur le financement du paritarisme et ce, malgré la tenue de plusieurs réunions de négociations, notamment en commission mixte paritaire. Il s'ensuit que la ministre du travail, en estimant que les critères définis par les dispositions du 2° et du 5° du I de l'article L. 2261-32 du code du travail étaient remplis en l'espèce, n'a commis ni erreur de droit ni erreur d'appréciation.
9. En troisième lieu, ainsi qu'il résulte des dispositions, citées au point 1, de l'article L. 2261-32 du code du travail, la procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives d'une branche avec celui d'une branche de rattachement ne peut être engagée par le ministre chargé du travail qu'eu égard à l'intérêt général qui s'attache à la restructuration des branches en cause. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'une contestation sur ce point, de s'assurer que la fusion décidée par le ministre répond à l'intérêt général de la restructuration des branches. A cet égard, il ressort des pièces des dossiers que, si les organisations représentatives requérantes ainsi que la fédération SUD Santé sociaux ont manifesté leur opposition à la fusion des deux branches en cause au motif notamment qu'elle aboutirait à l'élaboration d'une convention collective unique au détriment des droits et des conditions de travail spécifiques des salariés des deux branches, cette fusion s'inscrit tant dans le prolongement du rapprochement d'ores et déjà amorcé, sur quelques points, ainsi qu'il a été indiqué au point 7, entre les deux branches ainsi que dans le mouvement de convergence des conventions collectives du secteur sanitaire et social à but non lucratif, qui est soutenu par une partie des organisations représentatives de ces deux branches, notamment par l'organisation patronale représentative dans ces deux champs. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que cette fusion doit être regardée comme ne répondant pas à l'intérêt général de la restructuration des branches doit être écarté.
10. En dernier lieu, la Fédération nationale de l'action sociale FO ne saurait utilement soutenir, à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté prononçant la fusion administrative des deux branches précitées, que cet arrêté aurait été édicté en méconnaissance de la liberté de négocier et porterait atteinte au paritarisme en raison de l'attitude et des prises de position de l'organisation professionnelle Nexem, seule organisation professionnelle d'employeurs reconnue représentative dans le champ des deux conventions collectives nationales, lors des négociations collectives engagées notamment dans la branche des CHRS.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale et celle de la Fédération nationale de l'action sociale FO, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 5 août 2021 de la ministre du travail en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective nationale des CHRS à la convention 66, doivent être rejetées, y compris en ce qu'elles comportent des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes nos 457317 et 457324 sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale, à la Fédération nationale de l'action sociale FO et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 octobre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat et Mme Cécile Fraval, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 28 octobre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Cécile Fraval
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Alleil