Conseil d'État, 2ème chambre, 18/10/2022, 463156, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a saisi, en application de l'article L. 52-15 du code électoral, le tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de sa décision du 16 décembre 2021 rejetant le compte de campagne de Mme D... B... et de M. C... A..., candidats aux élections départementales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021 dans le canton de Tarn-et-Causses (Aveyron).

Par un jugement n° 2107429 du 16 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a déclaré Mme B... et M. A... inéligibles pour une durée de douze mois et démissionnaires d'office.

Par une requête, enregistrée le 13 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... et M. A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il prononce leur inéligibilité pour douze mois et leur démission d'office ;

2°) de décider qu'il n'y a pas lieu de les déclarer inéligibles et démissionnaires d'office ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 ;
- la loi n° 2021-191 du 22 février 2021 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 52-15 du code électoral : " (...) Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l'élection (...) ". Aux termes de l'article L. 118-3 du même code, dans sa rédaction issue des dispositions de la loi du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral : " Lorsqu'il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l'élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible : / 1° Le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12 (...). / L'inéligibilité mentionnée au présent article est prononcée pour une durée maximale de trois ans (...). / En cas de scrutin binominal, l'inéligibilité s'applique aux deux candidats du binôme. / Si le juge de l'élection a prononcé l'inéligibilité d'un candidat ou des membres d'un binôme proclamé élu, il annule son élection ou, si l'élection n'a pas été contestée, déclare le candidat ou les membres du binôme démissionnaires d'office ".

2. En application des dispositions précitées de l'article L. 118-3 du code électoral, juge de l'élection ne peut prononcer l'inéligibilité d'un candidat sur le fondement de ces dispositions que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Il lui incombe à cet effet de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce et d'apprécier s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et s'il présente un caractère délibéré.

3. Aux termes de l'article L. 52-12 du code électoral : " I.- Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11 est tenu d'établir un compte de campagne lorsqu'il a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés (...). / II.- Au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin, chaque candidat ou candidat tête de liste présent au premier tour dépose à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques son compte de campagne et ses annexes accompagné des justificatifs de ses recettes, notamment d'une copie des contrats de prêts conclus en application de l'article L. 52-7-1 du présent code, ainsi que des factures, devis et autres documents de nature à établir le montant des dépenses payées ou engagées par le candidat ou pour son compte. / III.- Le compte de campagne est présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables. Ce dernier met le compte de campagne en état d'examen et s'assure de la présence des pièces justificatives requises. / Cette présentation n'est pas obligatoire : / 1° Lorsque le candidat ou le candidat tête de liste n'est pas tenu d'établir un compte de campagne, en application du I du présent article ; / 2° Ou lorsque le candidat ou le candidat tête de liste a obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés et que les recettes et les dépenses de son compte de campagne n'excèdent pas un montant fixé par décret. (...) / VI.- Pour l'application du présent article, en cas de scrutin binominal, le candidat s'entend du binôme de candidats ". En application de l'article 11 de la loi du 22 février 2021, portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique, la date limite pour déposer le compte de campagne a été fixée, par dérogation aux dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral, au 17 septembre 2021 à 18 heures pour les élections départementales de juin 2021.

4. Par une décision du 16 décembre 2021, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a constaté le dépôt hors délai du compte de campagne de Mme B... et M. A..., binôme de candidats élu aux élections départementales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021 dans le canton de Tarn-et-Causses dans le département de l'Aveyron, et a saisi le tribunal administratif de Toulouse en application de l'article L. 52-15 du code électoral cité au point 1. Par un jugement en date du 16 mars 2022, le tribunal administratif a estimé que c'était à bon droit que la Commission l'avait saisi au vu des irrégularités constatées et a déclaré Mme B... et M. A... inéligibles pour une durée de douze mois et démissionnaires d'office de leur mandat de conseiller départemental. Ceux-ci, qui ne contestent pas avoir déposé postérieurement au délai imparti un compte de campagne non présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés, doivent être regardés comme relevant appel de ce jugement en tant qu'il se prononce sur leur inéligibilité et leur démission d'office.

5. Il résulte de l'instruction que, même si le délai légal imparti n'a pas été respecté, Mme B... et M. A... se sont employés à transmettre rapidement leur compte de campagne à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dès que l'ensemble des opérations bancaires relatives à la campagne ont été effectuées et le compte bancaire clôturé. Par ailleurs, ils ont depuis produit une version de leur compte de campagne certifiée par un membre de l'ordre des experts comptables et des comptables agréés, laquelle ne comporte aucune différence avec celle établie par leur mandataire financier et présentée à la Commission, accompagnée de l'ensemble des justificatifs des recettes et des dépenses y figurant. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques n'a relevé aucune autre irrégularité dans le compte de campagne ainsi transmis. Eu égard au faible montant des dépenses du compte et au caractère non délibéré du manquement en cause, celui-ci ne justifie pas que Mme B... et M. A... soient déclarés inéligibles et, par suite, démissionnaires d'office en application des dispositions de l'article L. 118-3 du code électoral.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, que Mme B... et M. A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif les a déclarés inéligibles pour une durée de douze mois et démissionnaires d'office de leur mandat de conseiller départemental.

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme B... et M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 16 mars 2022 du tribunal administratif de Toulouse est annulé en tant qu'il déclare Mme B... et M. A... inéligibles pour douze mois et démissionnaires d'office.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... et M. A... est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme D... B..., à M. C... A... et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements publics.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

ECLI:FR:CECHS:2022:463156.20221018
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