CAA de NANCY, 2ème chambre, 13/10/2022, 21NC02237, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 25 novembre 2020 par lequel le préfet du Haut-Rhin a prononcé son expulsion du territoire français et a fixé le Kosovo comme pays de destination.

Par un jugement n° 2101257 du 21 juillet 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé, dans son article 1er, l'arrêté attaqué en tant qu'il fixait le pays de destination et rejeté, dans son article 2, le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

I.) Par une requête, enregistrée le 4 août 2021 sous le n° 2102237, M. A..., représenté par Me Kling, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 juillet 2021 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision d'expulsion ;

2°) d'annuler cet arrêté du 25 novembre 2020 en tant qu'il prononce son expulsion ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours suivant la notification du présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la décision d'expulsion est entachée d'erreur de droit, le préfet s'étant fondé exclusivement sur les condamnations pénales et n'ayant pas pris en compte les faits postérieurs aux infractions commises ni ceux postérieurs à sa sortie de prison ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation, la menace grave à l'ordre public n'étant pas caractérisée ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît le principe de non-refoulement.


Un mémoire en défense, présenté par le préfet du Haut-Rhin, a été enregistré le 20 septembre 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction intervenue trois jours francs avant la date de l'audience conformément aux dispositions de l'article R. 613-2 du code de justice administrative, et n'a pas été communiqué.


II.) Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2021 sous le n° 2102525, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour d'annuler l'article 1er de ce jugement du 21 juillet 2021 et de rejeter la demande présentée en première instance par M. A....

Il soutient que le jugement est sur ce point entaché d'une erreur de fait et d'une erreur de droit.


Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 février et 2 mai 2022, M. A..., représenté par Me Kling, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet du Haut-Rhin ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs aux réfugiés ;
- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêt C-391/16, C-77/17 et C-78/17 du 14 mai 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme C....


Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né en 1977 et de nationalité kosovare, est entré en France en juillet 2007 et a obtenu le statut de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile en date du 24 octobre 2008. A la suite d'une condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de Colmar en date du 7 mai 2018, il s'est vu retirer le statut de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides en date du 9 octobre 2019. Après avoir sollicité l'avis de la commission d'expulsion, réunie le 16 octobre 2020, le préfet du Haut-Rhin a, par un arrêté du 25 novembre 2020, prononcé son expulsion du territoire français et fixé le Kosovo comme pays à destination duquel il serait éloigné. Par la requête n° 21NC02237, M. A... relève appel du jugement du 21 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la mesure d'expulsion. Par la requête n° 21NC02525, le préfet du Haut-Rhin relève appel de ce jugement en tant que le tribunal a annulé la décision fixant le pays de destination.
2. Les requêtes n° 21NC02237 et 21NC02525, présentées respectivement pour M. A... et par le préfet du Haut-Rhin, sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la légalité de la décision d'expulsion :

3. En premier lieu, d'une part, il ressort de la décision attaquée que le préfet du Haut-Rhin ne s'est pas exclusivement fondé sur les deux condamnations pénales prononcées à l'encontre de l'intéressé les 9 décembre 2015 et 7 mai 2018 pour considérer qu'il constituait une menace grave pour l'ordre public mais a également tenu compte de ce que le juge d'application des peines lui avait, par une ordonnance du 21 décembre 2018, fait interdiction de se présenter au domicile de son épouse et aux écoles des quatre enfants du couple ainsi que de rentrer en contact avec eux. D'autre part, M. A..., qui ne s'est pas présenté devant la commission d'expulsion réunie le 16 octobre 2020 pour présenter ses observations sur la mesure d'expulsion envisagée, n'établit pas avoir adressé aux services de la préfecture d'éléments relatifs à sa situation personnelle postérieurs à sa dernière condamnation. Il ne saurait ainsi faire grief au préfet de ne pas avoir tenu compte du jugement du juge d'application des peines du tribunal judiciaire de Colmar en date du 10 juillet 2020 prononçant la mainlevée des interdictions sus-évoquées, ni des démarches engagées par son épouse à cette fin. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Haut-Rhin n'aurait pas procédé à l'examen complet de sa situation.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ".
5. Les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure d'expulsion et ne dispensent pas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace grave pour l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une telle menace pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.
6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la décision attaquée, que l'autorité administrative s'est fondée sur les faits de violence suivie d'incapacité commis par M. A... dans la nuit du 5 décembre 2015 tant sur son fils aîné, mineur de 15 ans, ainsi que son épouse, pour lesquels il a été condamné à neuf mois de prison dont trois avec sursis et mise à l'épreuve d'une durée de deux ans par un jugement du tribunal correctionnel de Colmar en date du 9 décembre 2015 ainsi que sur les faits de violence commis contre son épouse sans incapacité en récidive en avril 2018, de violence aggravée par deux circonstances suivie d'incapacité et de violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours commis les 2 et 3 mai 2018 et enfin de menace de mort avec ordre de remplir une condition à l'encontre de son épouse pour lesquels il a été condamné par un jugement du même tribunal le 7 mai 2018 à un an et six mois d'emprisonnement dont six mois avec sursis, assorti d'une mise à l'épreuve de trois ans. Destinataire d'un signalement " situation préoccupante " de la part du directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation quelques jours avant la sortie de prison de M. A... le 29 décembre 2018, le préfet du Haut-Rhin a également tenu compte de ce que le juge d'application des peines avait, par une ordonnance du 21 décembre 2018, fait interdiction à l'intéressé de se présenter au domicile de son épouse et aux écoles des quatre enfants du couple ainsi que de rentrer en contact avec eux tandis qu'un téléphone dit " grave danger " avait été remis à son épouse. Si le requérant se prévaut de ce que la juge d'application des peines a, dans son jugement sus-évoqué du 10 juillet 2020, prononcé la main levée de toutes ces interdictions, cette circonstance ne suffit toutefois pas à établir, compte tenu de la nature et du caractère encore récent des faits de violence conjugale commis en récidive, que M. A... ne constituerait plus, à la date de la décision attaquée, une menace grave pour l'ordre public. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en prononçant son expulsion du territoire français, le préfet du Haut-Rhin aurait entaché sa décision d'erreur d'appréciation de sa situation au regard de l'article L. 521-1 précité.
7. En troisième lieu, M. A... ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui sont relatives à la délivrance de la carte de séjour temporaire " vie privée et familiale ", pour contester la mesure d'expulsion prononcée à son encontre.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
9. Entré sur le territoire français en juillet 2007 et s'étant vu reconnaître le statut de réfugié en octobre 2008, M. A... a résidé régulièrement en France pendant une dizaine d'années avec son épouse et leurs enfants. Il justifiait d'une insertion professionnelle jusqu'au début de l'année 2014 avant d'être condamné dans les conditions ci-dessus évoquées. Incarcéré jusque fin décembre 2018, il lui alors été fait interdiction, par le juge d'application des peines, de tout contact avec son épouse et leurs enfants, compte tenu notamment de ses déclarations relatives à sa détermination à récupérer ses enfants et des menaces proférées à l'encontre des juges, telles que signalées par le service pénitentiaire d'insertion et de probation quelques jours avant sa sortie de prison. Si M. A... se prévaut de la reprise de la vie commune avec son épouse, telle que rendue possible par le jugement du 10 juillet 2020 susmentionné, cette reprise était encore très récente à la date de la décision attaquée. Par ailleurs, l'insertion professionnelle du requérant depuis sa sortie de prison n'est justifiée que pour la période du 24 avril à la fin du mois de septembre 2019. Dans ces conditions, eu égard notamment à la nature et à la gravité des faits pour lesquels M. A... a été condamné et au caractère encore récent de la dernière condamnation, et alors même qu'il justifie avoir suivi le stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée porterait, à la date à laquelle elle est intervenue, une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
10. En dernier lieu, la mesure d'expulsion du territoire français n'impliquant pas, par elle-même, le retour direct de M. A... dans son pays d'origine, ce dernier ne saurait utilement soutenir qu'elle porte atteinte au principe de non-refoulement des réfugiés.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

11. Le 2° du paragraphe A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 stipule que la qualité de réfugié est notamment reconnue à " toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (...) ".
12. Aux termes de l'article 14 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection : " (...) 4. Les États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, y mettre fin ou refuser de le renouveler, / a) lorsqu'il existe des motifs raisonnables de le considérer comme une menace pour la sécurité de l'État membre dans lequel il se trouve ; / b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre. / 5. Dans les situations décrites au paragraphe 4, les États membres peuvent décider de ne pas octroyer le statut de réfugié, lorsqu'une telle décision n'a pas encore été prise. / 6. Les personnes auxquelles les paragraphes 4 et 5 s'appliquent ont le droit de jouir des droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la convention de Genève ou de droits analogues, pour autant qu'elles se trouvent dans l'État membre ".
13. L'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pris pour la transposition des dispositions précitées du 4 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011, dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " Le statut de réfugié peut être refusé ou il peut être mis fin à ce statut lorsque : / 1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat ; / 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société ".
14. Les dispositions de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive du 13 décembre 2011 dont ils assurent la transposition et qui visent à assurer, dans le respect de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, d'une part, que tous les Etats membres appliquent des critères communs pour l'identification des personnes nécessitant une protection internationale et, d'autre part, un niveau minimal d'avantages à ces personnes dans tous les Etats membres. Il résulte du paragraphe 4 de l'article 14 de cette directive, tels qu'interprété par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 mai 2019 M e.a. (Révocation du statut de réfugié) (C-391/16, C-77/17 et C-78/17), que la " révocation " du statut de réfugié, que ses dispositions prévoient, ne saurait avoir pour effet de priver de la qualité de réfugié le ressortissant d'un pays tiers ou l'apatride concerné qui remplit les conditions pour se voir reconnaître cette qualité au sens du A de l'article 1er de la convention de Genève. En outre, le paragraphe 6 de l'article 14 de cette même directive doit être interprété en ce sens que l'Etat membre qui fait usage des facultés prévues à l'article 14, paragraphe 4, de cette directive, doit accorder au réfugié relevant de l'une des hypothèses visées à ces dispositions et se trouvant sur le territoire de cet Etat membre, à tout le moins, le bénéfice des droits et protections consacrés par la convention de Genève auxquels cet article 14, paragraphe 6, fait expressément référence, en particulier la protection contre le refoulement vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée, ainsi que des droits prévus par ladite convention dont la jouissance n'exige pas une résidence régulière.
15. La perte du statut de réfugié résultant de l'application de l'article L. 711-6 ne saurait dès lors avoir une incidence sur la qualité de réfugié, que l'intéressé est réputé avoir conservée dans l'hypothèse où l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et, le cas échéant, le juge de l'asile, font application de l'article L. 711-6, dans les limites prévues par l'article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le paragraphe 6 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011.
16. Aux termes de l'article 33 de la convention de Genève : " 1. Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. / 2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ". Aux termes de l'article 21 de la directive du 13 décembre 2011 : " 1. Les États membres respectent le principe de non-refoulement en vertu de leurs obligations internationales. / 2. Lorsque cela ne leur est pas interdit en vertu des obligations internationales visées au paragraphe 1, les États membres peuvent refouler un réfugié, qu'il soit ou ne soit pas formellement reconnu comme tel : / a) lorsqu'il y a des raisons sérieuses de considérer qu'il est une menace pour la sécurité de l'État membre où il se trouve ; ou / b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre. / (...) ". Il résulte de ces dispositions et de l'application des dispositions de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il peut être dérogé au principe de non-refoulement lorsqu'il existe des raisons sérieuses de considérer que le réfugié constitue une menace grave pour la sureté de l'Etat ou lorsque ayant condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, il constitue une menace grave pour la société. Toutefois, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne par l'arrêt du 14 mai 2019 cité au point 14 ci-dessus, un Etat membre ne saurait éloigner un réfugié lorsqu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'il encourt dans le pays de destination un risque réel de subir des traitements prohibés par les articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ainsi, lorsque le refoulement d'un réfugié relevant de l'une des hypothèses prévues au 4 de l'article 14 ainsi qu'au 2 de l'article 21 de la directive du 13 décembre 2011 ferait courir à celui-ci le risque que soient violés ses droits fondamentaux consacrés aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre concerné ne saurait déroger au principe de non-refoulement sur le fondement du 2 de l'article 33 de la convention de Genève.
17. Il appartient à l'étranger qui conteste son éloignement de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui stipule que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou contraires aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Toutefois, ainsi qu'il ressort de l'arrêt du 15 avril 2021 de la Cour européenne des droits de l'homme K.I. contre France (n° 5560/19), le fait que la personne ait la qualité de réfugié est un élément qui doit être particulièrement pris en compte par les autorités. Dès lors, la personne à qui le statut de réfugié a été retiré, mais qui a conservé la qualité de réfugié, ne peut être éloignée que si l'administration, au terme d'un examen approfondi de sa situation personnelle prenant particulièrement en compte cette qualité, conclut à l'absence de risque pour l'intéressé de subir un traitement prohibé par les stipulations précitées dans le pays de destination.
18. Il n'est pas contesté que, si M. A... s'est vu retirer le statut de réfugié par une décision de l'OFPRA en date du 9 octobre 2019 prise sur le fondement du 2° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il a en revanche conservé sa qualité de réfugié. Il ressort de cette même décision de l'OFPRA que son statut de réfugié était lié à ses craintes de persécution concernant les opinions publiques qui lui étaient imputées, en l'occurrence avoir collaboré avec les forces serbes durant la guerre. Si M. A... allègue que ses craintes de persécution dans son pays d'origine sont toujours d'actualité, le préfet du Haut-Rhin se borne, dans sa requête comme dans la décision attaquée, à opposer à l'intéressé l'absence de preuve de l'actualité des risques encourus, sans même faire état du moindre élément pour justifier que celui-ci ne court pas de risques de traitement prohibé par les stipulations de l'article 3 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans le pays dont il a la nationalité. Dans ces conditions, ainsi qu'il ressort des motifs du jugement attaqué, compte tenu de l'importance particulière qui doit être accordée à la qualité de réfugié de M. A..., celui-ci est fondé à soutenir qu'en fixant le Kosovo comme pays à destination duquel il pourra être expulsé, le préfet du Haut-Rhin a méconnu le principe de non-refoulement.
19. Il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision d'expulsion du territoire français et que, d'autre part, le préfet du Haut-Rhin n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif a annulé la décision du 25 novembre 2020 fixant le pays à destination duquel M. A... serait expulsé. Par suite, leurs requêtes doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

20. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans l'instance n° 2102237, verse à M. A... une somme sur ce fondement.
21. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit dans l'instance n° 2102525, aux conclusions présentées par M. A... tendant à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.



D E C I D E :



Article 1er : La requête de M. A... ci-dessus visée sous le n° 21NC02237 est rejetée.

Article 2 : La requête du préfet du Haut-Rhin ci-dessus visée sous le n° 21NC02525 est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... dans l'instance n° 21NC02525 et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'intérieur.

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Haut-Rhin.


Délibéré après l'audience du 22 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2022.


La rapporteure,
Signé : H. B... Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


Pour expédition conforme,
La greffière,




C. Schramm
2
N° 21NC02237, 21NC02525



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