Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 07/10/2022, 450492
Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 07/10/2022, 450492
Conseil d'État - 4ème - 1ère chambres réunies
- N° 450492
- ECLI:FR:CECHR:2022:450492.20221007
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
vendredi
07 octobre 2022
- Rapporteur
- Mme Thalia Breton
- Avocat(s)
- SARL LE PRADO – GILBERT ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 27 février 2018 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, d'une part, a retiré sa décision implicite par laquelle elle a rejeté son recours hiérarchique contre la décision de l'inspectrice du travail de la section 19-2 de l'unité départementale de Paris du 29 juin 2017 ayant refusé d'autoriser la société Club Med à le licencier pour motif disciplinaire, d'autre part, a annulé la décision de l'inspectrice du travail de la section 19-2 de l'unité départementale de Paris du 29 juin 2017, et, enfin, a autorisé son licenciement. Par une ordonnance n° 1802985 du 21 juin 2018, le tribunal administratif de Lyon a transmis la requête de M. B... au tribunal administratif de Paris. Par un jugement n° 1811062/3-1 du 6 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 27 février 2018.
Par un arrêt n° 19PA02121 du 19 janvier 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Club Med contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 mars et 9 juin 2021 et le 20 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Club Med demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Thalia Breton, auditrice,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Club Med et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 29 juin 2017, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. B..., salarié protégé, pour motif disciplinaire, lequel avait été sollicité par son employeur, la société Club Med. A la suite du recours hiérarchique formé par cette société contre cette décision, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, par une décision du 27 février 2018, a retiré sa décision implicite rejetant ce recours hiérarchique, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 29 juin 2017 et autorisé le licenciement de M. B.... Par un jugement du 6 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a, sur demande de M. B..., annulé la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 27 février 2018. Par un arrêt du 19 janvier 2021, contre lequel la société Club Med se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de cette société contre ce jugement.
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir relevé que M. B..., chargé du service " comptabilité fournisseur " de l'établissement de Lyon de la société Club Med, avait prononcé, à l'encontre de trois salariées de ce service, des propos faisant explicitement référence, d'une part, au sexe de ces salariées et, d'autre part, à leur origine et à leur religion supposées, propos que la cour a qualifiés de " brutaux ou maladroits ", " déplacés et sexistes ", et présentant un caractère blessant pour leurs destinataires, la cour administrative d'appel a estimé que le fait d'avoir proféré de tels propos ne constituait pas une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. En statuant ainsi, alors qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les propos tenus par M. B... visaient systématiquement et de manière répétée des salariées ayant pour point commun d'être des femmes, supposément d'origine magrébine et de confession musulmane, qui, au surplus, se trouvaient sous sa responsabilité, et ne pouvaient, dès lors qu'ils revêtent un caractère raciste pour certains, et sexiste pour d'autres, être réduits à des propos triviaux, la cour, en estimant qu'ils ne constituaient pas une faute d'une gravité suffisante de nature à justifier son licenciement, en prenant en compte l'existence de tensions entre M. B... et son employeur et l'absence d'antécédents disciplinaires de ce salarié protégé, a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Club Med est fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 19 janvier 2021 de la cour administrative d'appel de Paris qu'elle attaque. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... le versement de la somme demandée par la société Club Med au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 19 janvier 2021 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Club Med au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Club Med et à M. A... B....
Copie en sera adressée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
ECLI:FR:CECHR:2022:450492.20221007
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 27 février 2018 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, d'une part, a retiré sa décision implicite par laquelle elle a rejeté son recours hiérarchique contre la décision de l'inspectrice du travail de la section 19-2 de l'unité départementale de Paris du 29 juin 2017 ayant refusé d'autoriser la société Club Med à le licencier pour motif disciplinaire, d'autre part, a annulé la décision de l'inspectrice du travail de la section 19-2 de l'unité départementale de Paris du 29 juin 2017, et, enfin, a autorisé son licenciement. Par une ordonnance n° 1802985 du 21 juin 2018, le tribunal administratif de Lyon a transmis la requête de M. B... au tribunal administratif de Paris. Par un jugement n° 1811062/3-1 du 6 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 27 février 2018.
Par un arrêt n° 19PA02121 du 19 janvier 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Club Med contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 mars et 9 juin 2021 et le 20 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Club Med demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Thalia Breton, auditrice,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Club Med et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 29 juin 2017, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. B..., salarié protégé, pour motif disciplinaire, lequel avait été sollicité par son employeur, la société Club Med. A la suite du recours hiérarchique formé par cette société contre cette décision, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, par une décision du 27 février 2018, a retiré sa décision implicite rejetant ce recours hiérarchique, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 29 juin 2017 et autorisé le licenciement de M. B.... Par un jugement du 6 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a, sur demande de M. B..., annulé la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 27 février 2018. Par un arrêt du 19 janvier 2021, contre lequel la société Club Med se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de cette société contre ce jugement.
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir relevé que M. B..., chargé du service " comptabilité fournisseur " de l'établissement de Lyon de la société Club Med, avait prononcé, à l'encontre de trois salariées de ce service, des propos faisant explicitement référence, d'une part, au sexe de ces salariées et, d'autre part, à leur origine et à leur religion supposées, propos que la cour a qualifiés de " brutaux ou maladroits ", " déplacés et sexistes ", et présentant un caractère blessant pour leurs destinataires, la cour administrative d'appel a estimé que le fait d'avoir proféré de tels propos ne constituait pas une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. En statuant ainsi, alors qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les propos tenus par M. B... visaient systématiquement et de manière répétée des salariées ayant pour point commun d'être des femmes, supposément d'origine magrébine et de confession musulmane, qui, au surplus, se trouvaient sous sa responsabilité, et ne pouvaient, dès lors qu'ils revêtent un caractère raciste pour certains, et sexiste pour d'autres, être réduits à des propos triviaux, la cour, en estimant qu'ils ne constituaient pas une faute d'une gravité suffisante de nature à justifier son licenciement, en prenant en compte l'existence de tensions entre M. B... et son employeur et l'absence d'antécédents disciplinaires de ce salarié protégé, a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Club Med est fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 19 janvier 2021 de la cour administrative d'appel de Paris qu'elle attaque. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... le versement de la somme demandée par la société Club Med au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 19 janvier 2021 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Club Med au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Club Med et à M. A... B....
Copie en sera adressée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.