Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 28/09/2022, 453857
Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 28/09/2022, 453857
Conseil d'État - 4ème - 1ère chambres réunies
- N° 453857
- ECLI:FR:CECHR:2022:453857.20220928
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
mercredi
28 septembre 2022
- Rapporteur
- M. Jérôme Marchand-Arvier
- Avocat(s)
- SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Glass Express a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, d'annuler la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie en date du 4 octobre 2017 lui infligeant une amende d'un montant total de 10 800 euros et, à titre subsidiaire, de modérer le montant de cette amende. Par un jugement n° 1703743 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20DA00326 du 22 avril 2021, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société Glass Express contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 juin 2021, 21 septembre 2021 et 25 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Glass Express demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 ;
- la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 ;
- l'ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jérôme Marchand-Arvier, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la société Glass Express ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de deux contrôles effectués par l'inspection du travail les 10 janvier et 19 avril 2017 dans les locaux de la société Glass Express à Guichainville (Eure), le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie a prononcé à l'encontre de cette société, par une décision du 4 octobre 2017, une amende d'un montant total de 10 800 euros en application de l'article L. 8115-1 du code du travail pour avoir méconnu, s'agissant de neuf salariés, les dispositions de l'article L. 3171-1 du même code relatives au décompte de la durée de travail des salariés ne travaillant pas selon un même horaire collectif. Par un jugement du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de la société Glass Express tendant à l'annulation ou, à titre subsidiaire, à la minoration de cette amende. La société Glass Express se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 avril 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service de la société de confiance : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, soit adresser à l'employeur un avertissement, soit prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) /3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8115-3 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits sanctionnés, antérieure à celle résultant de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel : " Le montant maximal de l'amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement (...) ". Aux termes de l'article L. 8115-4 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2018 : " Pour déterminer si elle prononce un avertissement ou une amende et, le cas échéant, pour fixer le montant de cette dernière, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges. "
3. Il appartient au juge administratif, statuant comme juge de plein contentieux sur une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, de faire application, le cas échéant, d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue.
4. En l'espèce et à ce titre, d'une part, l'article 18 de la loi du 10 août 2018, entré en vigueur postérieurement à la date à laquelle les manquements reprochés ont été commis, a ajouté à la possibilité de sanctionner un manquement de l'employeur par une amende, seule ouverte jusque-là par les articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail, la possibilité, alternative, de prononcer à son encontre un simple avertissement, qui constitue, par rapport à l'amende, une sanction plus douce. D'autre part, en revanche, les dispositions de l'article 95 de la loi du 5 septembre 2018, qui ont modifié l'article L. 8115-3 en rehaussant le montant maximal de l'amende encourue de 2 000 à 4 000 euros par travailleur concerné, présentent le caractère de dispositions répressives plus sévères qui ne peuvent être appliquées à des manquements commis antérieurement à leur entrée en vigueur. Il s'ensuit que sont applicables en l'espèce les dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail, telles que citées au point 2 ci-dessus dans leur rédaction résultant de la loi du 10 août 2018, ainsi que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 8115-3 du même code, citées au même point, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 7 avril 2016 et antérieure à la loi du 5 septembre 2018.
5. Il résulte de ce qui précède que faute d'avoir fait application, pour statuer sur la sanction infligée par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie à la société Glass Express, des dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail dans leur rédaction résultant de la loi du 10 août 2018, la cour administrative d'appel de Douai a commis une erreur de droit.
6. Il suit de là, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Glass Express est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. En premier lieu, la requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions des II et III de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, applicables aux seuls contrôles diligentés par les organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général en application de l'article L. 243-7 du code de la sécurité sociale, pour soutenir que la sanction qu'elle conteste aurait été prise à l'issue d'une procédure de contrôle irrégulière.
9. En deuxième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 8115-5 du code du travail : " (...) l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende (...) ". Il résulte de l'instruction que la décision du 4 octobre 2017 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie prononçant l'amende contestée vise les dispositions du code de travail applicables, énonce les circonstances des contrôles effectués par l'inspecteur du travail, constate que le manquement relevé par ce dernier aux dispositions de l'article L. 3171-2 du code du travail est établi et précise les circonstances prises en compte pour déterminer le montant de l'amende prononcée. Par suite, la décision attaquée comporte une motivation satisfaisant à l'obligation découlant de l'article L. 8115-5 du code du travail.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 3171-1 du code du travail : " L'employeur affiche les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos. (...) ". Aux termes de l'article L. 3171-2 du même code : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. / (...) ". Aux termes de son article L. 3171-3 : " L'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. / La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire. " Aux termes de son article D. 3171-1 : " Lorsque tous les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif, un horaire établi selon l'heure légale indique les heures auxquelles commence et finit chaque période de travail. / Aucun salarié ne peut être employé en dehors de cet horaire, sous réserve des dispositions des articles L. 3121-30, L. 3121 33, L. 3121-38 et L. 3121-39 relatives au contingent annuel d'heures supplémentaires, et des heures de dérogation permanente prévues par un décret pris en application de l'article L. 3121-67. " Aux termes de son article D. 3171 2 : " L'horaire collectif est daté et signé par l'employeur ou, sous la responsabilité de celui-ci, par la personne à laquelle il a délégué ses pouvoirs à cet effet. / Il est affiché en caractères lisibles et apposé de façon apparente dans chacun des lieux de travail auxquels il s'applique. Lorsque les salariés sont employés à l'extérieur, cet horaire est affiché dans l'établissement auquel ils sont attachés. " Aux termes de son article D. 3171-4 : " Un double de cet horaire collectif et des rectifications qui y sont apportées est préalablement adressé à l'agent de contrôle de l'inspection du travail. " Enfin, aux termes de l'article D. 3171-8 du même code : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié. " Il résulte de ces dispositions que lorsque les salariés d'un atelier, d'un service, ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif, celui-ci s'applique de manière identique à tous les salariés concernés, sous réserve des seules dérogations prévues à l'article D. 3171-1 du code du travail.
11. En l'espèce, il résulte de l'instruction qu'au cours du contrôle effectué le 10 janvier 2017, l'inspecteur du travail a constaté que neuf salariés poseurs, opérateurs poseurs et opérateurs spécialistes vitrages, intervenant directement chez les clients de la société, avaient une activité itinérante dont les horaires étaient susceptibles de varier en fonction des exigences de la clientèle et des aléas de la circulation. Au cours de ce même contrôle, l'inspecteur du travail a constaté qu'aucun document ne permettait de comptabiliser le temps de travail accompli par ces salariés. Par un courrier du 13 janvier 2017, l'inspecteur du travail a rappelé à la société la règlementation applicable, en lui demandant de mettre en place sans délai un décompte de la durée du travail de chaque salarié concerné selon les modalités prescrites par l'article D. 3171-8 du code du travail. Dans son courrier en réponse, la société Glass Express mentionnait que les informations concernant la durée du travail de chaque salarié faisaient l'objet d'un appel journalier à la comptable, mais indiquait ne pas avoir mis en place de système écrit de comptabilisation des heures. Au cours d'un second contrôle effectué le 19 avril 2017, l'inspecteur du travail a de nouveau constaté l'absence de décompte de la durée de travail des neuf salariés. Si pour contester l'exigence d'un tel décompte individuel, la société soutient que les salariés en cause étaient soumis à un horaire collectif commun auquel il était dérogé dans le cadre du recours à des heures supplémentaires pour tenir compte des variations d'horaires imposées par les déplacements chez les clients, il résulte de l'instruction que la société, qui se borne à produire un courrier daté de janvier 2015 appelant un salarié occupant un emploi d'ouvrier poseur à se conformer aux horaires légaux et contractuels, n'apporte pas d'élément probant permettant d'établir l'existence d'un horaire collectif auquel auraient été soumis, à la date des constats de l'inspecteur du travail, les salariés en cause, alors qu'au surplus, un tel horaire n'était pas affiché, contrairement à ce que prévoit l'article D. 3171-2 du code du travail et que l'activité des poseurs en cause s'exerce à domicile, à des horaires variables. La production de relevés mensuels d'heures réalisées entre les mois d'avril et juin 2017, qui ont été joints au courrier du 21 juillet 2017 de la société Glass Express, ainsi que d'un règlement intérieur applicable au 1er septembre 2017, lequel prévoit le régime horaire applicable aux techniciens poseurs, sont à cet égard dépourvus d'incidence comme étant postérieurs aux constats de l'inspecteur du travail. Par suite, la société Glass Express n'est pas fondée à soutenir que le manquement retenu par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie à l'obligation de décompte individuel du temps de travail imposée par l'article L. 3171-2 du code de travail lorsque les salariés ne travaillent pas selon un même horaire collectif ne serait pas établi.
12. Enfin, il y a lieu de faire application au manquement retenu à l'encontre de la société des dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail, citées au point 2, dans leur rédaction résultant de la loi du 10 août 2018, qui a ajouté à la possibilité de sanctionner un manquement de l'employeur par une amende, la possibilité, alternative, de prononcer à son encontre un simple avertissement. Si la société conteste l'attitude virulente reprochée à son gérant lors du premier contrôle effectué par l'inspecteur du travail, met en cause le comportement de ce dernier et invoque sa bonne foi, en se prévalant en particulier de la régularisation de sa situation postérieure aux constats de l'inspecteur du travail, il résulte toutefois de l'instruction que la nature du manquement reproché et sa constatation à deux reprises justifient le prononcé d'une sanction, et non d'un simple avertissement. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment à la situation financière de la société, dont le bénéfice net s'est élevé à 391 186 euros au cours de l'exercice 2016, le montant retenu de 1 200 euros par salarié, qui n'est pas le montant maximal prévu par l'article L. 8115-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, et aboutit à un montant total de 10 500 euros, n'est pas disproportionné.
13. Il résulte de ce qui précède que la société Glass Express n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes tenant à l'annulation ou à la réformation de de la décision du 4 octobre 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie lui a infligé une amende.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 22 avril 2021 est annulé.
Article 2 : la requête formée par la société Glass Express devant la cour administrative d'appel de Douai et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Glass Express et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
ECLI:FR:CECHR:2022:453857.20220928
La société Glass Express a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, d'annuler la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie en date du 4 octobre 2017 lui infligeant une amende d'un montant total de 10 800 euros et, à titre subsidiaire, de modérer le montant de cette amende. Par un jugement n° 1703743 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20DA00326 du 22 avril 2021, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société Glass Express contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 juin 2021, 21 septembre 2021 et 25 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Glass Express demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 ;
- la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 ;
- l'ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jérôme Marchand-Arvier, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la société Glass Express ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de deux contrôles effectués par l'inspection du travail les 10 janvier et 19 avril 2017 dans les locaux de la société Glass Express à Guichainville (Eure), le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie a prononcé à l'encontre de cette société, par une décision du 4 octobre 2017, une amende d'un montant total de 10 800 euros en application de l'article L. 8115-1 du code du travail pour avoir méconnu, s'agissant de neuf salariés, les dispositions de l'article L. 3171-1 du même code relatives au décompte de la durée de travail des salariés ne travaillant pas selon un même horaire collectif. Par un jugement du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de la société Glass Express tendant à l'annulation ou, à titre subsidiaire, à la minoration de cette amende. La société Glass Express se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 avril 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service de la société de confiance : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, soit adresser à l'employeur un avertissement, soit prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) /3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8115-3 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits sanctionnés, antérieure à celle résultant de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel : " Le montant maximal de l'amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement (...) ". Aux termes de l'article L. 8115-4 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2018 : " Pour déterminer si elle prononce un avertissement ou une amende et, le cas échéant, pour fixer le montant de cette dernière, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges. "
3. Il appartient au juge administratif, statuant comme juge de plein contentieux sur une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, de faire application, le cas échéant, d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue.
4. En l'espèce et à ce titre, d'une part, l'article 18 de la loi du 10 août 2018, entré en vigueur postérieurement à la date à laquelle les manquements reprochés ont été commis, a ajouté à la possibilité de sanctionner un manquement de l'employeur par une amende, seule ouverte jusque-là par les articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail, la possibilité, alternative, de prononcer à son encontre un simple avertissement, qui constitue, par rapport à l'amende, une sanction plus douce. D'autre part, en revanche, les dispositions de l'article 95 de la loi du 5 septembre 2018, qui ont modifié l'article L. 8115-3 en rehaussant le montant maximal de l'amende encourue de 2 000 à 4 000 euros par travailleur concerné, présentent le caractère de dispositions répressives plus sévères qui ne peuvent être appliquées à des manquements commis antérieurement à leur entrée en vigueur. Il s'ensuit que sont applicables en l'espèce les dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail, telles que citées au point 2 ci-dessus dans leur rédaction résultant de la loi du 10 août 2018, ainsi que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 8115-3 du même code, citées au même point, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 7 avril 2016 et antérieure à la loi du 5 septembre 2018.
5. Il résulte de ce qui précède que faute d'avoir fait application, pour statuer sur la sanction infligée par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie à la société Glass Express, des dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail dans leur rédaction résultant de la loi du 10 août 2018, la cour administrative d'appel de Douai a commis une erreur de droit.
6. Il suit de là, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Glass Express est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. En premier lieu, la requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions des II et III de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, applicables aux seuls contrôles diligentés par les organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général en application de l'article L. 243-7 du code de la sécurité sociale, pour soutenir que la sanction qu'elle conteste aurait été prise à l'issue d'une procédure de contrôle irrégulière.
9. En deuxième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 8115-5 du code du travail : " (...) l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende (...) ". Il résulte de l'instruction que la décision du 4 octobre 2017 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie prononçant l'amende contestée vise les dispositions du code de travail applicables, énonce les circonstances des contrôles effectués par l'inspecteur du travail, constate que le manquement relevé par ce dernier aux dispositions de l'article L. 3171-2 du code du travail est établi et précise les circonstances prises en compte pour déterminer le montant de l'amende prononcée. Par suite, la décision attaquée comporte une motivation satisfaisant à l'obligation découlant de l'article L. 8115-5 du code du travail.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 3171-1 du code du travail : " L'employeur affiche les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos. (...) ". Aux termes de l'article L. 3171-2 du même code : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. / (...) ". Aux termes de son article L. 3171-3 : " L'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. / La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire. " Aux termes de son article D. 3171-1 : " Lorsque tous les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif, un horaire établi selon l'heure légale indique les heures auxquelles commence et finit chaque période de travail. / Aucun salarié ne peut être employé en dehors de cet horaire, sous réserve des dispositions des articles L. 3121-30, L. 3121 33, L. 3121-38 et L. 3121-39 relatives au contingent annuel d'heures supplémentaires, et des heures de dérogation permanente prévues par un décret pris en application de l'article L. 3121-67. " Aux termes de son article D. 3171 2 : " L'horaire collectif est daté et signé par l'employeur ou, sous la responsabilité de celui-ci, par la personne à laquelle il a délégué ses pouvoirs à cet effet. / Il est affiché en caractères lisibles et apposé de façon apparente dans chacun des lieux de travail auxquels il s'applique. Lorsque les salariés sont employés à l'extérieur, cet horaire est affiché dans l'établissement auquel ils sont attachés. " Aux termes de son article D. 3171-4 : " Un double de cet horaire collectif et des rectifications qui y sont apportées est préalablement adressé à l'agent de contrôle de l'inspection du travail. " Enfin, aux termes de l'article D. 3171-8 du même code : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié. " Il résulte de ces dispositions que lorsque les salariés d'un atelier, d'un service, ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif, celui-ci s'applique de manière identique à tous les salariés concernés, sous réserve des seules dérogations prévues à l'article D. 3171-1 du code du travail.
11. En l'espèce, il résulte de l'instruction qu'au cours du contrôle effectué le 10 janvier 2017, l'inspecteur du travail a constaté que neuf salariés poseurs, opérateurs poseurs et opérateurs spécialistes vitrages, intervenant directement chez les clients de la société, avaient une activité itinérante dont les horaires étaient susceptibles de varier en fonction des exigences de la clientèle et des aléas de la circulation. Au cours de ce même contrôle, l'inspecteur du travail a constaté qu'aucun document ne permettait de comptabiliser le temps de travail accompli par ces salariés. Par un courrier du 13 janvier 2017, l'inspecteur du travail a rappelé à la société la règlementation applicable, en lui demandant de mettre en place sans délai un décompte de la durée du travail de chaque salarié concerné selon les modalités prescrites par l'article D. 3171-8 du code du travail. Dans son courrier en réponse, la société Glass Express mentionnait que les informations concernant la durée du travail de chaque salarié faisaient l'objet d'un appel journalier à la comptable, mais indiquait ne pas avoir mis en place de système écrit de comptabilisation des heures. Au cours d'un second contrôle effectué le 19 avril 2017, l'inspecteur du travail a de nouveau constaté l'absence de décompte de la durée de travail des neuf salariés. Si pour contester l'exigence d'un tel décompte individuel, la société soutient que les salariés en cause étaient soumis à un horaire collectif commun auquel il était dérogé dans le cadre du recours à des heures supplémentaires pour tenir compte des variations d'horaires imposées par les déplacements chez les clients, il résulte de l'instruction que la société, qui se borne à produire un courrier daté de janvier 2015 appelant un salarié occupant un emploi d'ouvrier poseur à se conformer aux horaires légaux et contractuels, n'apporte pas d'élément probant permettant d'établir l'existence d'un horaire collectif auquel auraient été soumis, à la date des constats de l'inspecteur du travail, les salariés en cause, alors qu'au surplus, un tel horaire n'était pas affiché, contrairement à ce que prévoit l'article D. 3171-2 du code du travail et que l'activité des poseurs en cause s'exerce à domicile, à des horaires variables. La production de relevés mensuels d'heures réalisées entre les mois d'avril et juin 2017, qui ont été joints au courrier du 21 juillet 2017 de la société Glass Express, ainsi que d'un règlement intérieur applicable au 1er septembre 2017, lequel prévoit le régime horaire applicable aux techniciens poseurs, sont à cet égard dépourvus d'incidence comme étant postérieurs aux constats de l'inspecteur du travail. Par suite, la société Glass Express n'est pas fondée à soutenir que le manquement retenu par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie à l'obligation de décompte individuel du temps de travail imposée par l'article L. 3171-2 du code de travail lorsque les salariés ne travaillent pas selon un même horaire collectif ne serait pas établi.
12. Enfin, il y a lieu de faire application au manquement retenu à l'encontre de la société des dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail, citées au point 2, dans leur rédaction résultant de la loi du 10 août 2018, qui a ajouté à la possibilité de sanctionner un manquement de l'employeur par une amende, la possibilité, alternative, de prononcer à son encontre un simple avertissement. Si la société conteste l'attitude virulente reprochée à son gérant lors du premier contrôle effectué par l'inspecteur du travail, met en cause le comportement de ce dernier et invoque sa bonne foi, en se prévalant en particulier de la régularisation de sa situation postérieure aux constats de l'inspecteur du travail, il résulte toutefois de l'instruction que la nature du manquement reproché et sa constatation à deux reprises justifient le prononcé d'une sanction, et non d'un simple avertissement. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment à la situation financière de la société, dont le bénéfice net s'est élevé à 391 186 euros au cours de l'exercice 2016, le montant retenu de 1 200 euros par salarié, qui n'est pas le montant maximal prévu par l'article L. 8115-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, et aboutit à un montant total de 10 500 euros, n'est pas disproportionné.
13. Il résulte de ce qui précède que la société Glass Express n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes tenant à l'annulation ou à la réformation de de la décision du 4 octobre 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie lui a infligé une amende.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 22 avril 2021 est annulé.
Article 2 : la requête formée par la société Glass Express devant la cour administrative d'appel de Douai et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Glass Express et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.