CAA de PARIS, 8ème chambre, 26/09/2022, 22PA00676, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 16 février 2021 par lequel le préfet de police a prononcé son expulsion du territoire français et fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2112384/4-2 du 13 décembre 2021, le Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 16 février 2021, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la demande.


Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 14 février 2022, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du 13 décembre 2021 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- la commission d'expulsion a émis un avis défavorable à l'expulsion de M. B... ; dans ces conditions, l'absence de notification préalable à la tenue de la commission d'expulsion n'a privé l'intéressé d'aucune garantie ;
- la présence en France de M. B... représente une menace grave à l'ordre public ; en outre, il est en situation irrégulière depuis le 15 novembre 2019 ; il ne justifie pas avoir résidé habituellement en France pendant les années 2001 et 2002 et la période comprise entre 2010 et 2015 ; il n'établit pas entretenir des liens avec ses trois enfants ; il n'exerce aucune activité professionnelle depuis 2008 ;
- il renvoie à ses écritures de première instance en ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris.

La requête a été communiquée à M. B... qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant algérien, né le 30 juin 1961, entré en France depuis plus de trente ans selon ses déclarations, a fait l'objet d'un arrêté du 16 février 2021 par lequel le préfet de police a prononcé son expulsion du territoire français et a fixé le pays de destination de son éloignement. Par un jugement du 13 décembre 2021, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté. Le préfet de police relève appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 632-1 de ce code : " Sauf en cas d'urgence absolue, l'expulsion ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes : 1° L'étranger doit être préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ; 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l'autorité administrative et qui est composée : / a) Du président du tribunal judiciaire du chef-lieu du département, ou d'un juge délégué par lui, président ; / b) D'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal judiciaire du chef-lieu du département ; / c) D'un conseiller de tribunal administratif ". Aux termes de l'article L. 522-2 du même code, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 632-2 de ce code : " La convocation prévue au 2° de l'article L. 522-1 doit être remise à l'étranger quinze jours au moins avant la réunion de la commission. Elle précise que l'intéressé a le droit d'être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix et d'être entendu avec un interprète. (...) Devant la commission, l'étranger peut faire valoir toutes les raisons qui militent contre son expulsion. Un procès-verbal enregistrant les explications de l'étranger est transmis, avec l'avis motivé de la commission, à l'autorité administrative compétente pour statuer. L'avis de la commission est également communiqué à l'intéressé. (...) ". Aux termes de l'article R. 522-4 du même code, dont les dispositions ont été reprises aux articles R. 632-3 et R. 632-5 de ce code : " Sauf en cas d'urgence absolue, l'étranger à l'encontre duquel une procédure d'expulsion est engagée doit en être avisé au moyen d'un bulletin de notification, valant convocation devant la commission prévue aux articles L. 522-1 et L. 522-2. La notification est effectuée à la diligence du préfet du département où est située la résidence de l'étranger ou, si ce dernier est détenu dans un établissement pénitentiaire, du préfet du département où est situé cet établissement. A Paris, le préfet compétent est le préfet de police ". Aux termes de l'article R. 522-5 du même code, dont les dispositions ont été reprises à l'article R. 632-4 de ce code : " Le bulletin de notification doit : / 1° Aviser l'étranger qu'une procédure d'expulsion est engagée à son encontre ;/ 2° Enoncer les faits motivant cette procédure ; / 3° Indiquer la date, l'heure et le lieu de la réunion de la commission prévue aux articles L. 522-1 et L. 522-2 ; / 4° Préciser que les débats de la commission sont publics ; / 5° Porter à la connaissance de l'étranger les dispositions de l'article R. 522-6 ; / 6° Faire connaître à l'étranger qu'il peut se présenter seul ou assisté d'un conseil et demander à être entendu avec un interprète ; / 7° Informer l'intéressé qu'il peut demander l'aide juridictionnelle dans les conditions prévues par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 et préciser que l'aide juridictionnelle provisoire peut lui être accordée par le président de la commission ; le bureau d'aide juridictionnelle territorialement compétent pour connaître de la demande d'aide juridictionnelle de l'étranger est celui qui est établi près le tribunal de grande instance du chef-lieu du département dans lequel siège la commission ;/ 8° Préciser que l'étranger ou son conseil peut demander communication du dossier au service dont la dénomination et l'adresse doivent être indiquées dans la convocation et présenter un mémoire en défense ;/ 9° Indiquer les voies de recours qui seraient ouvertes à l'étranger contre l'arrêté d'expulsion qui pourrait être pris ".

3. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

4. Le préfet de police reconnaît devant la Cour que le bulletin de notification valant convocation devant la commission d'expulsion, qui, en vertu de l'article R. 522-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devait notamment informer M. B... qu'une procédure d'expulsion était engagée à son encontre préalablement à la tenue de la commission d'expulsion et qu'il pouvait se présenter seul ou assisté d'un conseil devant cette commission afin de présenter ses observations, n'a pas été notifié à l'intéressé. Il n'est pas contesté que M. B... ne s'est pas présenté devant cette commission. Le préfet de police soutient que l'intéressé n'a toutefois été privé d'aucune garantie dès lors que la commission d'expulsion a émis un avis défavorable à son expulsion le 14 janvier 2021. Cependant, la possibilité pour l'étranger de faire valoir toutes les raisons qui militent contre son expulsion devant la commission, et alors que l'avis motivé de la commission mais aussi le procès-verbal enregistrant les explications de l'étranger sont transmis à l'autorité administrative avant qu'elle ne statue sur la mesure d'expulsion, constitue une garantie dont il ne peut être privé, sauf en cas d'urgence absolue. Le préfet de police n'allègue pas, ni n'établit qu'il se serait trouvé dans une situation d'urgence absolue. Dans ces conditions, et même si la commission d'expulsion a rendu le 14 janvier 2021 un avis défavorable à l'expulsion de M. B..., c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que l'absence de notification de la tenue de la commission d'expulsion constitue une irrégularité viciant la procédure à l'issue de laquelle le préfet de police a décidé d'ordonner l'expulsion de M. B... et que cette irrégularité l'a privé d'une garantie. Dans ces conditions, l'arrêté du 16 février 2021 prononçant l'expulsion du territoire français de M. B... est entaché d'illégalité.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 16 février 2021 prononçant l'expulsion du territoire français de M. B....


DÉCIDE :


Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....

Copie en sera adressée au préfet de police.


Délibéré après l'audience du 5 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2022.


La rapporteure,



V. C... Le président,



R. LE GOFF
La greffière,



E. VERGNOL La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.





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N° 22PA00676





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