CAA de NANTES, 3ème chambre, 16/09/2022, 21NT02674, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 20 janvier 2020 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays à destination duquel elle serait reconduite.

Par un jugement n° 2004221 du 21 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 septembre 2021, Mme D... A..., représentée par Me Régent, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2004221 du 21 juillet 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique du 20 janvier 2020 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et de la munir dans l'attente d'un récépissé valant autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :
- le jugement de première instance est irrégulier en ce qu'il omet de statuer sur le moyen opérant tiré de la méconnaissance des dispositions du 2bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté préfectoral méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 et l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de l'arrêté sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 juin 2022, le préfet de la Loire-Atlantique conclut à l'annulation du jugement de première instance et au rejet des conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 20 janvier 2020.

Il fait valoir que l'irrégularité du jugement tenant à l'omission de répondre au moyen tiré de la méconnaissance du 2bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, si elle justifie l'annulation du jugement de première instance, n'entraîne pas pour autant l'annulation de l'arrêté attaqué dès lors que les moyens soulevés à son encontre par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa
proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :

1. Mme D... A..., ressortissante de la République du Congo née le 29 juillet 2001, relève appel du jugement du 21 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 janvier 2020 du préfet de la Loire-Atlantique portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et fixation du pays de destination de la mesure d'éloignement en cas d'exécution d'office.
2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté litigieux : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 sur le fondement du troisième alinéa de cet article peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...). Cet article L. 313-14 définit ainsi, pour les personnes qui ne satisfont pas aux conditions fixées par le code pour la délivrance des cartes de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 313-11 ou portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " sur le fondement du 1° de l'article L. 313-10 et qui sollicitent leur régularisation, un régime d'admission exceptionnelle au séjour en France.

3. En présence d'une demande de régularisation présentée sur le fondement de l'article L. 313-14 par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ".

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée en France en décembre 2016 alors qu'elle était âgée de 15 ans et enceinte de six mois. Elle a fait l'objet à son arrivée sur le territoire d'une ordonnance de placement provisoire, le substitut du procureur de la République de Bobigny ayant estimé, à l'issue de son placement en zone d'attente, qu'il n'y avait aucune garantie qu'elle puisse être accueillie correctement dans son pays d'origine ou dans son pays de provenance eu égard à ses déclarations. Elle a ensuite été confiée, le 17 janvier 2017, aux services de l'aide sociale à l'enfance du département de Seine-Saint-Denis puis placée à compter du mois de février 2019 au centre maternel Anjorrant, en Loire-Atlantique, avec son enfant. Elle a déclaré de manière constante depuis son arrivée sur le territoire avoir été abandonnée par sa mère à la naissance, avoir perdu son père à l'âge de trois ans et avoir été victime à plusieurs reprises de viols, de la part de son oncle auquel elle était confiée depuis ses douze ans, dont serait issu son fils B... né en France en mars 2017. Si elle ne justifiait pas suivre une formation professionnalisante à la date de l'arrêté litigieux, il ressort du rapport social qu'elle s'est néanmoins saisie de l'accompagnement éducatif qui lui a été proposé, investie dans la recherche de stages et que ses difficultés à mettre en place un projet sont liées à l'instabilité et au caractère traumatique de son parcours. Eu égard à son très jeune âge, à sa particulière vulnérabilité et à sa prise en charge depuis l'âge de quinze ans par les services de l'aide sociale à l'enfance, en refusant à sa majorité son admission exceptionnelle au séjour au regard des considérations humanitaires qu'elle avait fait valoir, le préfet de la Loire-Atlantique a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 janvier 2020 portant refus de titre de séjour et par voie de conséquence de l'obligation de quitter le territoire et de la décision fixant le pays de destination.

6. Eu égard à ses motifs, le présent arrêt implique nécessairement, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, que l'autorité préfectorale compétente délivre à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu de lui enjoindre de lui délivrer un tel titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de munir l'intéressée dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

7. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ainsi, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 200 euros à Me Régent, avocate de Mme A..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2004221 du 21 juillet 2021 du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 20 janvier 2020 pris à l'encontre de Mme A... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à l'autorité préfectorale compétente de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de la munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

Article 3 : L'État versera à Me Régent une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié Mme D... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Régent.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.


Délibéré après l'audience du 1er septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,
- Mme Lellouch, première conseillère,
- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 16 septembre 2022.

La rapporteure,





J. C...Le président,





D. Salvi

Le greffier,





R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21NT02674002



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