Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 19/07/2022, 438076

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 6 août 2015 par laquelle l'inspectrice du travail de la section 04-12 de l'unité territoriale du Nord a autorisé la société Delacre, venant aux droits de la société United Biscuits Industries, à le licencier ainsi que la décision implicite du 6 février 2016, expressément confirmée le 24 mars 2016, par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique. Par un jugement n° 1602652 du 29 mars 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17DA01061 du 28 novembre 2019, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 janvier et 21 août 2020 et le 30 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Delacre, venant aux droits de la société United Biscuits Industries, et de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Fraval, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de M. B... et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Delacre ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 6 août 2015, l'inspectrice du travail de la section 04-12 de l'unité territoriale du Nord a autorisé la société United Biscuits Industries à licencier pour inaptitude M. B..., salarié protégé. Par une décision implicite du 6 février 2016 expressément confirmée le 24 mars 2016, la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté le recours hiérarchique formé par l'intéressé contre cette décision. Par un jugement du 29 mars 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de ces deux décisions. Par un arrêt du 28 novembre 2019, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé contre ce jugement par M. B..., qui se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation destinée à lui proposer un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail ".

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Lorsqu'après son constat d'inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement du salarié, ses préconisations peuvent, s'il y a lieu, être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de l'employeur.

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1251-1 du code du travail : " Le recours au travail temporaire a pour objet la mise à disposition temporaire d'un salarié par une entreprise de travail temporaire au bénéfice d'un client utilisateur pour l'exécution d'une mission. / Chaque mission donne lieu à la conclusion : / 1° D'un contrat de mise à disposition entre l'entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit " entreprise utilisatrice " ; / 2° D'un contrat de travail, dit " contrat de mission ", entre le salarié temporaire et son employeur, l'entreprise de travail temporaire. (...) ". Aux termes de l'article L. 1251-5 du même code : " Le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice. ". Et aux termes de l'article L. 1251-6 : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée " mission " et seulement dans les cas suivants : / 1° Remplacement d'un salarié, en cas : / a) D'absence ; / b) De passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur ; / c) De suspension de son contrat de travail ; / d) De départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s'il en existe ; / e) D'attente de l'entrée en service effective d'un salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ; / 2° Accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ; (...) ".

5. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'il incombe à l'employeur qui envisage de licencier pour inaptitude un salarié bénéficiant d'une protection de procéder, préalablement à son licenciement, à une recherche sérieuse des postes disponibles, quelle que soit la durée des contrats susceptibles d'être proposés pour pourvoir ces postes, et appropriés à ses capacités, en vue de chercher à le reclasser et à éviter autant que de possible son licenciement. Dans l'hypothèse où l'employeur recourt, en application des dispositions citées au point 4, au travail temporaire dans des conditions telles qu'elles révèlent l'existence d'un ou plusieurs postes disponibles dans l'entreprise, peu important qu'ils soient susceptibles de faire l'objet de contrats à durée indéterminée ou déterminée, il lui appartient de proposer ces postes au salarié, pour autant qu'ils soient appropriés à ses capacités.

6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a relevé, au terme d'une appréciation souveraine des faits de l'espèce exempte de dénaturation, que les contrats de mise à disposition de salariés intérimaires auprès de la société United Biscuits Industries étaient conclus pour des durées très courtes, de deux à trois jours, afin de pallier des absences ponctuelles de salariés ou de faire face à des pointes saisonnières d'activité et présentaient un caractère aléatoire. En en déduisant que M. B... n'était pas fondé à soutenir que les modalités du recours au travail temporaire au sein de l'entreprise révélaient que des postes y seraient, en réalité, disponibles et auraient dû lui être proposés en vue de son reclassement, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit.

7. En deuxième lieu, M. B... ne peut utilement critiquer le motif surabondant par lequel la cour a également relevé que les postes pourvus par ces contrats de mise à disposition comportent des contraintes incompatibles avec les préconisations du médecin du travail. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle aurait, en statuant sur ce point, méconnu les règles de dévolution de la preuve ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, la cour a relevé que l'employeur avait interrogé les sociétés du groupe, tant en France qu'à l'étranger, sur la possibilité de proposer un poste de reclassement à M. B..., en mentionnant l'ensemble des préconisations du médecin du travail. En prenant en considération les échanges intervenus au sein du groupe et en estimant que la société United Biscuits Industries avait satisfait à l'obligation de recherche sérieuse de reclassement au sein du groupe qui lui incombait, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, a souverainement apprécié les faits de l'espèce sans les dénaturer.

9. En dernier lieu, en relevant, par une appréciation souveraine des pièces du dossier qui lui était soumis, non arguée de dénaturation, que le poste de " team manager maintenance assortiment", dont M. B... soutenait qu'il aurait dû lui être proposé en vue de son reclassement, d'une part comportait des contraintes physiques contraires aux préconisations formulées par le médecin du travail compte tenu de l'état de santé de M. B..., d'autre part nécessitait des compétences et une expérience professionnelle dont ne disposait pas ce dernier, la cour administrative d'appel de Douai, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas méconnu son office ni commis d'erreur de droit.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société Delacre, venant aux droits de la société United Biscuits Industries, présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Delacre, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Delacre, venant aux droits de la société United Biscuits Industries, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la société Delacre et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 juin 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; Mme Carine Soulay, M. Jean-Luc Nevache, Mme Sophie-Justine Lieber, M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat ; Mme Cécile Fraval, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure et Mme Carine Chevrier, conseiller d'Etat.

Rendu le 19 juillet 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Cécile Fraval
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Alleil

ECLI:FR:CECHR:2022:438076.20220719
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