Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 13/07/2022, 460386
Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 13/07/2022, 460386
Conseil d'État - 8ème - 3ème chambres réunies
- N° 460386
- ECLI:FR:CECHR:2022:460386.20220713
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
mercredi
13 juillet 2022
- Rapporteur
- M. Jean-Marc Vié
- Avocat(s)
- SCP MARLANGE, DE LA BURGADE
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société anonyme (SA) HSBC France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la réduction, à hauteur de la somme de 2 585 680 euros, des cotisations de taxe sur les salaires mises à sa charge au titre des années 2013, 2014 et 2015. Par un jugement n° 1708547 du 20 décembre 2018, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 19VE00525 du 18 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société HSBC France, devenue HSBC Continental Europe (France), contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 janvier, 16 mars et 9 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société HSBC Continental Europe (France) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) à titre subsidiaire, de saisir à titre préjudiciel la Cour de justice de l'Union européenne de la question de savoir si l'inclusion dans l'assiette de la taxe sur les salaires des rémunération versées aux personnels expatriés non soumis à la législation française de sécurité sociale est compatible avec le règlement n° 883/2004 et les principes de liberté de circulation des personnes et des travailleurs, de liberté d'établissement et de libre prestation de services, et de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur cette question ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la société HSBC Continental Europe (France) ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 juillet 2022, présentée par la société HSBC Continental Europe (France) ;
Considérant ce qui suit :
1. La société HSBC Continental Europe (France) se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 novembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé contre le jugement du 18 novembre 2021 du tribunal administratif de Montreuil rejetant sa demande tendant à la réduction de la taxe sur les salaires à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015, à hauteur de la somme de 2 585 680 euros, correspondant à la fraction de la taxe versée à raison de ses salariés expatriés.
2. Aux termes du 1 de l'article 231 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Les sommes payées à titre de rémunérations aux salariés, à l'exception de celles correspondant aux prestations de sécurité sociale versées par l'entremise de l'employeur, sont soumises à une taxe au taux de 4,25 % de leur montant évalué selon les règles prévues à l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale, sans qu'il soit toutefois fait application du deuxième alinéa du I et du 6° du II du même article. Cette taxe est à la charge des entreprises et organismes qui emploient ces salariés, (...) qui paient ces rémunérations lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations. L'assiette de la taxe due par ces personnes ou organismes est constituée par une partie des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total (...) ". Aux termes de l'article 51 de l'annexe III au même code : " (...) 2. La taxe à la charge des personnes ou organismes mentionnés à l'article 231 du code général des impôts est calculée sur le montant total des rémunérations effectivement payées par ces personnes ou organismes à l'ensemble de leur personnel - y compris la valeur des avantages en nature - quels que soient l'importance des rémunérations et le lieu de domicile des bénéficiaires ".
3. L'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale dispose : " Il est institué une contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement à laquelle sont assujettis : / 1° Les personnes physiques qui sont à la fois considérées comme domiciliées en France pour l'établissement de l'impôt sur le revenu et à la charge, à quelque titre que ce soit, d'un régime obligatoire français d'assurance maladie ; / 2° Les agents de l'Etat, des collectivités locales et de leurs établissements publics à caractère administratif qui exercent leurs fonctions ou sont chargés de mission hors de France, dans la mesure où leur rémunération est imposable en France et où ils sont à la charge, à quelque titre que ce soit, d'un régime obligatoire français d'assurance maladie ". Enfin, l'article L. 136-2 du même code prévoit, dans sa rédaction alors applicable, que : " I.- La contribution est assise sur le montant brut des traitements, indemnités, émoluments, salaires, allocations, pensions y compris les majorations et bonifications pour enfants, des rentes viagères autres que celles visées au 6 de l'article 158 du code général des impôts et des revenus tirés des activités exercées par les personnes mentionnées aux articles L. 311-2 et L. 311-3 (...) ".
4. En premier lieu, il résulte de ces dispositions que la taxe sur les salaires est due par les employeurs établis en France qui ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou qui ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement des sommes imposables, à raison des rémunérations versées à l'ensemble des salariés qu'ils emploient, indépendamment du lieu où ceux-ci exercent leur activité. Cette imposition est également due par les employeurs dont le siège social est situé à l'étranger et qui disposent d'une installation en France, à raison des rémunérations qu'ils versent à ceux de leurs salariés rattachés à cette installation.
5. Par suite, en jugeant que le renvoi opéré par l'article 231 du code général des impôts, à la suite de sa modification par l'article 13 de la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, à l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale pour la détermination du montant des rémunérations à prendre en vue de l'établissement de la taxe n'avait eu ni pour objet, ni pour effet d'exclure de l'assiette de la taxe les rémunérations versées à des salariés exerçant leur activité à l'étranger ne se trouvant pas à la charge d'un régime obligatoire français d'assurance maladie et n'entrant pas, par suite, dans le champ de la contribution sociale généralisée sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement défini à l'article L. 136-1 du même code, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, ne l'a entaché ni d'erreur de droit, ni de contradiction de motifs.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 11 du règlement CE n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 : " 1. Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul Etat membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre (...) ". Le a du 3 de l'article 11 précise que " la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ". En vertu de l'article 2 du même règlement, celui-ci s'applique aux ressortissants de l'un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d'un ou de plusieurs États membres, ainsi qu'aux membres de leur famille et à leurs survivants, ainsi qu'aux survivants des personnes qui ont été soumises à la législation d'un ou de plusieurs États membres.
7. La taxe sur les salaires constitue un prélèvement fiscal à la charge des entreprises qui ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée ou qui ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires l'année précédente. Si son assiette est constituée d'une fraction de leur masse salariale, calculée en fonction de leur rapport d'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, elle ne saurait être regardée comme s'appliquant à des personnes entrant dans le champ d'application personnel du règlement précité du 29 avril 2004, tel que défini par son article 2. Elle ne saurait pas plus, d'ailleurs, être regardée comme portant sur un régime relatif aux obligations de l'employeur au sens du champ d'application matériel défini à son article 3. Par suite, et en dépit de l'affectation du produit de cet impôt de production aux diverses branches de la sécurité sociale, l'inclusion dans l'assiette de la taxe due par un employeur établi en France des rémunérations versées à des salariés exerçant leur activité dans un autre Etat membre et soumis à la législation de sécurité sociale de cet Etat membre ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe d'unicité de la législation sociale qui découle des dispositions de ce règlement. Il en résulte que la cour, dont l'arrêt n'est ni insuffisamment motivé, ni entaché de contradiction de motifs et n'a pas été rendu, sur ce point, en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure, n'a pas commis d'erreur de droit en écartant l'argumentation soulevée devant elle, tirée de la méconnaissance de ce règlement.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union. / 2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail (...). ". Aux termes de l'article 21 du même traité : " 1. Tout citoyen a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application ".
9. Les dispositions relatives à la taxe sur les salaires n'introduisent aucune différence de traitement fondée sur la nationalité entre les travailleurs des États membres en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Elles n'interdisent pas davantage à un ressortissant de l'Union de séjourner dans un des États membres afin d'y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux. Elles n'entrainent, ainsi qu'il est dit au point 7, aucune double contribution de nature à dissuader l'expatriation des salariés. Par suite, la cour administrative d'appel, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les dispositions relatives à la taxe sur les salaires, en tant qu'elles prévoient l'inclusion dans l'assiette de la taxe due par un employeur établi en France des rémunérations versées aux salariés exerçant leur activité à l'étranger, ne méconnaissaient ni la liberté de circulation des travailleurs, ni celle des citoyens de l'Union.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre. / La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ".
11. Les opérateurs étrangers qui s'établissent en France sont assujettis à la taxe sur les salaires à raison des rémunérations des salariés expatriés dans les mêmes conditions que les opérateurs nationaux, de sorte que cette taxe ne vise pas de manière discriminatoire les agents économiques des autres Etats membres ni ne les décourage à venir s'établir en France. Elle ne restreint pas davantage la faculté, pour des opérateurs français, de s'établir dans un autre Etat membre et d'employer directement, dans cet Etat, des salariés français détachés. La possibilité offerte à la personne morale de créer un établissement indépendant dans un autre État membre plutôt qu'une filiale, ou de muter son personnel plutôt que de le détacher afin de ne pas être soumise à la taxe ne saurait constituer, par elle-même, une entrave à la liberté d'établissement au sein des États membres. Ainsi, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, a pu juger sans erreur de droit que les dispositions relatives à la taxe sur les salaires, en tant qu'elles prévoient l'inclusion dans l'assiette de la taxe due par un employeur établi en France des rémunérations versées à ses salariés exerçant leur activité à l'étranger, ne portaient pas atteinte à la liberté d'établissement.
12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. / Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d'un État tiers et établis à l'intérieur de l'Union ".
13. Après avoir relevé que l'assujettissement à la taxe sur les salaires dépendait uniquement de l'établissement de l'employeur en France et non de la circonstance que la prestation rendue soit destinée à un preneur domicilié en France ou dans un autre État membre, la cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, a pu en déduire sans erreur de droit que les dispositions de l'article 231 du code général des impôts ne méconnaissaient pas davantage le principe de libre prestation de services
14. En sixième lieu, il ressort de la lettre des accords de sécurité sociale conclus avec les États-Unis, le Brésil, l'Inde, l'Algérie, le Canada et la Corée du Sud, lesquels prévoient qu'un salarié travaillant sur le territoire d'un de ces États est soumis uniquement à la législation sociale de cet État, le lieu d'établissement de son employeur étant à cet égard sans incidence, que ces accords ont pour champ d'application matériel la législation relative aux cotisations sociales. La cour administrative d'appel n'a, par suite, pas commis d'erreur de droit en écartant l'argumentation de la requérante, tirée de l'invocation de ces conventions, au motif que la taxe sur les salaires a le caractère d'une imposition de toute nature et non d'une cotisation de sécurité sociale.
15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin, en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union résultant des motifs qui précèdent, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, que le pourvoi de la société HSBC Continental Europe (France) doit être rejeté, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société HSBC Continental Europe (France) est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme HSBC Continental Europe (France) et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 juillet 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, président de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 13 juillet 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Marc Vié
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle
ECLI:FR:CECHR:2022:460386.20220713
La société anonyme (SA) HSBC France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la réduction, à hauteur de la somme de 2 585 680 euros, des cotisations de taxe sur les salaires mises à sa charge au titre des années 2013, 2014 et 2015. Par un jugement n° 1708547 du 20 décembre 2018, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 19VE00525 du 18 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société HSBC France, devenue HSBC Continental Europe (France), contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 janvier, 16 mars et 9 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société HSBC Continental Europe (France) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) à titre subsidiaire, de saisir à titre préjudiciel la Cour de justice de l'Union européenne de la question de savoir si l'inclusion dans l'assiette de la taxe sur les salaires des rémunération versées aux personnels expatriés non soumis à la législation française de sécurité sociale est compatible avec le règlement n° 883/2004 et les principes de liberté de circulation des personnes et des travailleurs, de liberté d'établissement et de libre prestation de services, et de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur cette question ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la société HSBC Continental Europe (France) ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 juillet 2022, présentée par la société HSBC Continental Europe (France) ;
Considérant ce qui suit :
1. La société HSBC Continental Europe (France) se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 novembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé contre le jugement du 18 novembre 2021 du tribunal administratif de Montreuil rejetant sa demande tendant à la réduction de la taxe sur les salaires à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2013 à 2015, à hauteur de la somme de 2 585 680 euros, correspondant à la fraction de la taxe versée à raison de ses salariés expatriés.
2. Aux termes du 1 de l'article 231 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Les sommes payées à titre de rémunérations aux salariés, à l'exception de celles correspondant aux prestations de sécurité sociale versées par l'entremise de l'employeur, sont soumises à une taxe au taux de 4,25 % de leur montant évalué selon les règles prévues à l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale, sans qu'il soit toutefois fait application du deuxième alinéa du I et du 6° du II du même article. Cette taxe est à la charge des entreprises et organismes qui emploient ces salariés, (...) qui paient ces rémunérations lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations. L'assiette de la taxe due par ces personnes ou organismes est constituée par une partie des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d'affaires total (...) ". Aux termes de l'article 51 de l'annexe III au même code : " (...) 2. La taxe à la charge des personnes ou organismes mentionnés à l'article 231 du code général des impôts est calculée sur le montant total des rémunérations effectivement payées par ces personnes ou organismes à l'ensemble de leur personnel - y compris la valeur des avantages en nature - quels que soient l'importance des rémunérations et le lieu de domicile des bénéficiaires ".
3. L'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale dispose : " Il est institué une contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement à laquelle sont assujettis : / 1° Les personnes physiques qui sont à la fois considérées comme domiciliées en France pour l'établissement de l'impôt sur le revenu et à la charge, à quelque titre que ce soit, d'un régime obligatoire français d'assurance maladie ; / 2° Les agents de l'Etat, des collectivités locales et de leurs établissements publics à caractère administratif qui exercent leurs fonctions ou sont chargés de mission hors de France, dans la mesure où leur rémunération est imposable en France et où ils sont à la charge, à quelque titre que ce soit, d'un régime obligatoire français d'assurance maladie ". Enfin, l'article L. 136-2 du même code prévoit, dans sa rédaction alors applicable, que : " I.- La contribution est assise sur le montant brut des traitements, indemnités, émoluments, salaires, allocations, pensions y compris les majorations et bonifications pour enfants, des rentes viagères autres que celles visées au 6 de l'article 158 du code général des impôts et des revenus tirés des activités exercées par les personnes mentionnées aux articles L. 311-2 et L. 311-3 (...) ".
4. En premier lieu, il résulte de ces dispositions que la taxe sur les salaires est due par les employeurs établis en France qui ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou qui ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement des sommes imposables, à raison des rémunérations versées à l'ensemble des salariés qu'ils emploient, indépendamment du lieu où ceux-ci exercent leur activité. Cette imposition est également due par les employeurs dont le siège social est situé à l'étranger et qui disposent d'une installation en France, à raison des rémunérations qu'ils versent à ceux de leurs salariés rattachés à cette installation.
5. Par suite, en jugeant que le renvoi opéré par l'article 231 du code général des impôts, à la suite de sa modification par l'article 13 de la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, à l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale pour la détermination du montant des rémunérations à prendre en vue de l'établissement de la taxe n'avait eu ni pour objet, ni pour effet d'exclure de l'assiette de la taxe les rémunérations versées à des salariés exerçant leur activité à l'étranger ne se trouvant pas à la charge d'un régime obligatoire français d'assurance maladie et n'entrant pas, par suite, dans le champ de la contribution sociale généralisée sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement défini à l'article L. 136-1 du même code, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, ne l'a entaché ni d'erreur de droit, ni de contradiction de motifs.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 11 du règlement CE n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 : " 1. Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul Etat membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre (...) ". Le a du 3 de l'article 11 précise que " la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ". En vertu de l'article 2 du même règlement, celui-ci s'applique aux ressortissants de l'un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d'un ou de plusieurs États membres, ainsi qu'aux membres de leur famille et à leurs survivants, ainsi qu'aux survivants des personnes qui ont été soumises à la législation d'un ou de plusieurs États membres.
7. La taxe sur les salaires constitue un prélèvement fiscal à la charge des entreprises qui ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée ou qui ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires l'année précédente. Si son assiette est constituée d'une fraction de leur masse salariale, calculée en fonction de leur rapport d'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, elle ne saurait être regardée comme s'appliquant à des personnes entrant dans le champ d'application personnel du règlement précité du 29 avril 2004, tel que défini par son article 2. Elle ne saurait pas plus, d'ailleurs, être regardée comme portant sur un régime relatif aux obligations de l'employeur au sens du champ d'application matériel défini à son article 3. Par suite, et en dépit de l'affectation du produit de cet impôt de production aux diverses branches de la sécurité sociale, l'inclusion dans l'assiette de la taxe due par un employeur établi en France des rémunérations versées à des salariés exerçant leur activité dans un autre Etat membre et soumis à la législation de sécurité sociale de cet Etat membre ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe d'unicité de la législation sociale qui découle des dispositions de ce règlement. Il en résulte que la cour, dont l'arrêt n'est ni insuffisamment motivé, ni entaché de contradiction de motifs et n'a pas été rendu, sur ce point, en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure, n'a pas commis d'erreur de droit en écartant l'argumentation soulevée devant elle, tirée de la méconnaissance de ce règlement.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union. / 2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail (...). ". Aux termes de l'article 21 du même traité : " 1. Tout citoyen a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application ".
9. Les dispositions relatives à la taxe sur les salaires n'introduisent aucune différence de traitement fondée sur la nationalité entre les travailleurs des États membres en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Elles n'interdisent pas davantage à un ressortissant de l'Union de séjourner dans un des États membres afin d'y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux. Elles n'entrainent, ainsi qu'il est dit au point 7, aucune double contribution de nature à dissuader l'expatriation des salariés. Par suite, la cour administrative d'appel, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les dispositions relatives à la taxe sur les salaires, en tant qu'elles prévoient l'inclusion dans l'assiette de la taxe due par un employeur établi en France des rémunérations versées aux salariés exerçant leur activité à l'étranger, ne méconnaissaient ni la liberté de circulation des travailleurs, ni celle des citoyens de l'Union.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre. / La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ".
11. Les opérateurs étrangers qui s'établissent en France sont assujettis à la taxe sur les salaires à raison des rémunérations des salariés expatriés dans les mêmes conditions que les opérateurs nationaux, de sorte que cette taxe ne vise pas de manière discriminatoire les agents économiques des autres Etats membres ni ne les décourage à venir s'établir en France. Elle ne restreint pas davantage la faculté, pour des opérateurs français, de s'établir dans un autre Etat membre et d'employer directement, dans cet Etat, des salariés français détachés. La possibilité offerte à la personne morale de créer un établissement indépendant dans un autre État membre plutôt qu'une filiale, ou de muter son personnel plutôt que de le détacher afin de ne pas être soumise à la taxe ne saurait constituer, par elle-même, une entrave à la liberté d'établissement au sein des États membres. Ainsi, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, a pu juger sans erreur de droit que les dispositions relatives à la taxe sur les salaires, en tant qu'elles prévoient l'inclusion dans l'assiette de la taxe due par un employeur établi en France des rémunérations versées à ses salariés exerçant leur activité à l'étranger, ne portaient pas atteinte à la liberté d'établissement.
12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. / Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d'un État tiers et établis à l'intérieur de l'Union ".
13. Après avoir relevé que l'assujettissement à la taxe sur les salaires dépendait uniquement de l'établissement de l'employeur en France et non de la circonstance que la prestation rendue soit destinée à un preneur domicilié en France ou dans un autre État membre, la cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, a pu en déduire sans erreur de droit que les dispositions de l'article 231 du code général des impôts ne méconnaissaient pas davantage le principe de libre prestation de services
14. En sixième lieu, il ressort de la lettre des accords de sécurité sociale conclus avec les États-Unis, le Brésil, l'Inde, l'Algérie, le Canada et la Corée du Sud, lesquels prévoient qu'un salarié travaillant sur le territoire d'un de ces États est soumis uniquement à la législation sociale de cet État, le lieu d'établissement de son employeur étant à cet égard sans incidence, que ces accords ont pour champ d'application matériel la législation relative aux cotisations sociales. La cour administrative d'appel n'a, par suite, pas commis d'erreur de droit en écartant l'argumentation de la requérante, tirée de l'invocation de ces conventions, au motif que la taxe sur les salaires a le caractère d'une imposition de toute nature et non d'une cotisation de sécurité sociale.
15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin, en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union résultant des motifs qui précèdent, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, que le pourvoi de la société HSBC Continental Europe (France) doit être rejeté, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société HSBC Continental Europe (France) est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme HSBC Continental Europe (France) et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 juillet 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, président de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 13 juillet 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Marc Vié
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle