CAA de LYON, 5ème chambre, 30/06/2022, 22LY00309, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 21 juin 2021 par lesquelles la préfète de l'Ain a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2106545 du 31 décembre 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 28 janvier 2022, M. A..., représenté par Me Petit, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 31 décembre 2021 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées ;
3°) à titre principal, d'enjoindre à la préfète de l'Ain de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " dans le mois qui suit l'arrêt à intervenir ; à titre subsidiaire, de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour avec droit au travail jusqu'au réexamen de sa situation ;
4°) en cas d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français et/ou de la décision fixant le pays de destination, d'enjoindre à la préfète de l'Ain de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour avec droit au travail jusqu'au réexamen de sa situation ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 300 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- les décisions du 21 juin 2021 de la préfète de l'Ain ne lui ayant pas été régulièrement notifiées, les délais de recours ne lui étaient pas opposables ; ainsi sa requête était recevable ;
- il est présent en France depuis plus de sept ans, sa famille y réside et il justifie d'une très bonne intégration professionnelle ; ainsi, le refus de titre de séjour méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la préfète a commis une erreur de droit dans l'examen de sa situation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il justifie de motifs exceptionnels permettant son admission au séjour ;
- le refus de titre de titre de séjour est entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire enregistré le 8 juin 2022, la préfète de l'Ain conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;



Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;
- les observations de Me Petit, représentant Me A... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant albanais, né le 31 janvier 2001, est entré irrégulièrement en France, le 18 juin 2014, accompagné de ses parents, de son frère et de sa sœur. Le 8 novembre 2019, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Par décisions du 3 décembre 2019, la préfète de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français. Par décisions du 17 novembre 2020, la préfète de l'Ain a abrogé ses décisions du 3 décembre 2019 et a refusé de délivrer à l'intéressé un titre de séjour en lui faisant obligation de quitter le territoire français. Ces décisions du 17 novembre 2020 ont été annulées par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 12 février 2021 qui a enjoint à la préfète de réexaminer la situation de l'intéressé. Par décisions du 21 juin 2021, la préfète de l'Ain a refusé de délivrer à l'intéressé un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. A... relève appel du jugement du 31 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour (...) ". Aux termes de l'article L. 614-4 du même code : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français prise en application des 3°, 5° ou 6° de l'article L. 611-1 est assortie d'un délai de départ volontaire, le tribunal administratif est saisi dans le délai de trente jours suivant la notification de la décision. (...) ".
3. Aux termes du I de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " Conformément aux dispositions de l'article L. 614-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification d'une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire, prise en application de l'article L. 251-1 ou des 3°, 5° ou 6° de l'article L. 611-1 du même code, fait courir un délai de trente jours pour contester cette obligation ainsi que les décisions relatives au séjour, au délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour ou à l'interdiction de circulation notifiées simultanément (...) ".
4. Les décisions litigieuses ont été notifiées à M. A... par lettre recommandée dont l'avis de réception a été retourné à la préfecture de l'Ain le 24 juin 2021, avec la mention " destinataire inconnu à cette adresse ". La notification a été effectuée à l'adresse du 28 B route du Colombier l'Etoile à Montracol (01310). Toutefois, l'adresse indiquée dans l'avis postal est identique à celle indiquée dans la demande de première instance et dans la requête d'appel. De plus, le requérant produit plusieurs documents datant des mois de juin, août et septembre 2021 mentionnant cette même adresse, ainsi que l'enveloppe du pli contenant la décision du bureau d'aide juridictionnelle lui accordant l'aide juridictionnelle totale pour cette procédure, datée du 17 septembre 2021 qui a été notifiée par courrier avec accusé de réception et expédiée toujours à cette même adresse, le 24 septembre 2021. Dès lors, l'administration n'établit pas que la notification des décisions litigieuses a été régulièrement effectuée à M. A... et a pu faire courir le délai de recours. Il ressort des pièces du dossier que les services préfectoraux ont transmis ces décisions au conseil de l'intéressé, par courriel daté du 3 août 2021. La demande de première instance de l'intéressé a été enregistrée au greffe du tribunal le 13 août 2021, soit dans le délai d'un mois prévu par les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du code de justice administrative. Par conséquent, le requérant est fondé à soutenir que le jugement attaqué qui a rejeté sa demande comme tardive est irrégulier.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lyon.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
6. Ainsi qu'il a été dit au point 4 la demande présentée par M. A... devant le tribunal tendant à l'annulation des décisions du 21 juin 2021 refusant de lui délivrer un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi n'était pas tardive. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par la préfète doit être écartée.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
7. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ".
8. Il ressort des pièces du dossier que le requérant qui est arrivé en France à l'âge de 13 ans, y réside depuis plus de sept ans avec ses parents ainsi que son frère et sa sœur. Durant cette période, il a bénéficié d'une scolarisation continue qui lui a permis d'obtenir en 2019, le " certificat d'aptitude professionnelle peintre - applicateur de revêtements ". Cette même année, il a travaillé en tant que plâtrier peintre, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, puis a travaillé durant la période des vendanges. Le 24 février 2021, il a bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour et dès le 1er mars 2021, il a conclu un contrat à durée indéterminée pour un poste d'ouvrier dans le bâtiment. Dans ces circonstances, eu égard à sa durée de séjour en France et à sa stabilité et progression professionnelles, M. A... est fondé à soutenir que le refus par la préfète de l'Ain de lui délivrer un titre de séjour " salarié " est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il en résulte que le moyen doit être accueilli.
9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens, les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de la décision du 21 juin 2021 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour doivent être accueillies. Par voie de conséquence, il y a lieu d'annuler également la décision portant obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ".
11. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement, la délivrance d'un titre de séjour à M. A.... La préfète de l'Ain n'invoque aucun élément de nature à faire obstacle au prononcé d'une injonction en ce sens. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à ladite préfète de délivrer au requérant un titre de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'État le versement au requérant de la somme de 1 000 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2106545 du 31 décembre 2021 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les décisions du 21 juin 2021 de la préfète de l'Ain refusant de délivrer à M. A... un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de l'Ain de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " salarié " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera la somme de 1 000 euros à M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse.
Délibéré après l'audience du 9 juin 2022 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2022.


La rapporteure,
P. Dèche
Le président,
F. Bourrachot,
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY00309
ap



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