Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 17/06/2022, 454189

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Sous le n° 1500940, le département de la Seine-Maritime a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, d'une part, d'annuler les marchés n°s 99-673, 99-677, 99-678, 99-682, 99-685, 99-687, 99 689, 99-690, 99-692 et 99-694 conclus avec le groupement composé de la société Lacroix Signalisation et de la société Normandie Signalisation et, d'autre part, de condamner la société Lacroix Signalisation à lui restituer la somme de 2 630 016,11 euros et à lui verser celle de 407 070,14 euros au titre de l'indisponibilité de la somme précédente ou, à titre subsidiaire, de la condamner à lui verser la somme de 1 932 479,48 euros au titre du surcoût des marchés qu'a entraîné le comportement dolosif de cette société, la condamnation étant assortie dans tous les cas des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la demande et de leur capitalisation. Par un jugement n° 1500940 du 31 janvier 2017, le tribunal administratif de Rouen a fait droit aux conclusions principales du département, à l'exception de la somme demandée au titre de l'indisponibilité de la somme correspondant à la restitution des marchés.

Sous le n° 1500943, le département de la Seine-Maritime a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, d'une part, d'annuler le marché n° 2006-311 conclu avec la société Lacroix Signalisation, et, d'autre part, de condamner cette dernière à lui restituer la somme de 1 741 563,49 euros et à lui verser celle de 136 251,10 euros au titre de l'indisponibilité de la somme précédente ou, à titre subsidiaire, à lui verser la somme de 954 785,94 euros au titre du surcoût des marchés qu'a entraîné le comportement dolosif de cette société, la condamnation étant assortie dans tous les cas des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la demande et de leur capitalisation. Par un jugement n° 1500943 du 31 janvier 2017, le tribunal administratif de Rouen a fait droit aux conclusions principales du département, à l'exception de la somme demandée au titre de l'indisponibilité de la somme correspondant à la restitution des marchés.

Sous le n° 1500944, le département de la Seine-Maritime a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, d'une part, d'annuler le marché n° 2003-257 conclu avec la société Lacroix Signalisation et, d'autre part, de condamner cette dernière à lui restituer, à titre principal, la somme de 862 209,41 euros et à lui verser celle de 40 958,69 euros au titre de l'indisponibilité de la somme précédente ou, à titre subsidiaire, à lui verser la somme de 247 888,95 euros au titre du surcoût des marchés qu'a entraîné le comportement dolosif de cette société, la condamnation étant assortie dans tous les cas des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la demande et de leur capitalisation. Par un jugement n° 1500944 du 31 janvier 2017, le tribunal administratif de Rouen a fait droit aux conclusions principales du département, à l'exception de la somme demandée au titre de l'indisponibilité de la somme correspondant à la restitution des marchés.

Par un arrêt n°s 17DA00561, 17DA00562, 17DA00563 du 22 février 2018, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel de la société Lacroix Signalisation, réformé ces trois jugements en ne faisant droit qu'aux conclusions subsidiaires du département de la Seine-Maritime, à hauteur respectivement des sommes de 1 525 409,34 euros, 206 930,26 euros et 818 534,84 euros et en rejetant le surplus des conclusions des parties.

Par une décision n° 420045 du 10 juillet 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi par la société Lacroix Signalisation, a annulé cet arrêt en tant qu'il statue sur les conséquences financières de l'annulation des marchés conclus entre le département de la Seine-Maritime et la société Lacroix Signalisation et renvoyé l'affaire dans cette mesure devant la cour administrative d'appel de Douai.

Par un arrêt n° 20DA01021 du 7 mai 2021, la cour administrative d'appel de Douai a condamné la société Lacroix City Saint Herblain, venant aux droits de la société Lacroix Signalisation, à verser au département de la Seine-Maritime la somme de 1 608 254,85 euros au titre des marchés annulés de 1999, celle de 256 076,20 euros au titre du marché annulé de 2003, la somme de 887 761,99 euros au titre du marché annulé de 2006 et la somme de 425 616 euros en réparation des autres préjudices du département, ces sommes étant assorties des intérêts et de leur capitalisation.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 juillet et 4 octobre 2021 et le 16 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Lacroix City Saint-Herblain demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge du département de la Seine-Maritime une somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Lacroix City Saint-Herblain et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat du département de la Seine-Maritime ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 avril 2022, présentée par le département de la Seine-Maritime ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 avril 2022, présentée par la société Lacroix City Saint-Herblain ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le département de la Seine-Maritime a conclu avec la société Lacroix Signalisation le 2 novembre 1999, le 11 avril 2003 et le 15 mars 2006 des marchés portant sur la fourniture et l'installation de panneaux de signalisation routière verticale. Par une décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010, l'Autorité de la concurrence a condamné huit entreprises, dont la société Lacroix Signalisation, pour s'être entendues entre 1997 et 2006 sur la répartition et le prix des marchés ayant un tel objet. Par trois jugements du 31 janvier 2017, le tribunal administratif de Rouen, saisi par le département de la Seine-Maritime, a annulé les marchés que ce dernier avait conclus avec la société Lacroix Signalisation en 1999, 2003 et 2006 et a condamné cette société à restituer au département l'intégralité des sommes versées dans le cadre de ces marchés, soit respectivement 2 630 016,11 euros, 862 209,41 euros et 1 741 563,49 euros. Par un arrêt du 22 février 2018, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel de la société Lacroix Signalisation, réformé ces trois jugements en ne faisant droit qu'aux conclusions subsidiaires du département de la Seine-Maritime tendant à obtenir une indemnité pour réparer le surcoût lié aux pratiques anticoncurrentielles de la société Lacroix Signalisation, et elle a condamné cette dernière à verser au département les sommes de 1 525 409,34 euros, 206 930,26 euros et 818 534,84 euros, tout en rejetant le surplus des conclusions des parties. Le Conseil d'Etat statuant au contentieux, par une décision du 10 juillet 2020, a annulé cet arrêt en tant qu'il avait statué sur les conséquences financières de l'annulation des marchés conclus entre le département de la Seine-Maritime et la société Lacroix Signalisation. Par l'arrêt attaqué du 7 mai 2021, la cour administrative d'appel de Douai a condamné la société Lacroix City Saint-Herblain, venant aux droits de la société Lacroix Signalisation, à verser au département les sommes de 1 608 254,85 euros, 256 076,20 euros et 887 761,99 euros au titre des marchés de 1999, 2003 et 2006, ainsi que la somme de 425 616 euros en réparation du préjudice du département lié à l'indisponibilité des sommes correspondant au surprix des contrats annulés pour la période antérieure au 26 mars 2015. La société Lacroix City Saint-Herblain doit être regardée comme ne contestant l'arrêt qu'en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à son appel s'agissant des conséquences financières de l'annulation des marchés et en tant qu'il a partiellement fait droit à l'appel incident du département de la Seine-Maritime.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Lorsqu'une personne publique est victime, de la part de son cocontractant, de pratiques anticoncurrentielles constitutives d'un dol ayant vicié son consentement, elle peut saisir le juge administratif, alternativement ou cumulativement, d'une part, de conclusions tendant à ce que celui-ci prononce l'annulation du marché litigieux et tire les conséquences financières de sa disparition rétroactive, et, d'autre part, de conclusions tendant à la condamnation du cocontractant, au titre de sa responsabilité quasi-délictuelle, à réparer les préjudices subis en raison de son comportement fautif.

3. En cas d'annulation du contrat en raison d'une pratique anticoncurrentielle imputable au cocontractant, ce dernier doit restituer les sommes que lui a versées la personne publique mais peut prétendre en contrepartie, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses qu'il a engagées et qui ont été utiles à celle-ci. Si, en cas d'annulation du contrat, la personne publique ne saurait obtenir, sur le terrain quasi-délictuel, la réparation du préjudice lié au surcoût qu'ont impliqué les pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime, dès lors que cette annulation entraîne par elle-même l'obligation pour le cocontractant de restituer à la personne publique toutes les dépenses qui ne lui ont pas été utiles, elle peut, en revanche, demander la réparation des autres préjudices que lui aurait causés le comportement du cocontractant.

4. Il appartient par suite au juge administratif, en cas d'annulation du contrat, d'évaluer, au besoin en ordonnant une expertise sur ce point, les dépenses du titulaire du contrat qui ont été utiles à la personne publique. Les dépenses utiles comprennent, à l'exclusion de toute marge bénéficiaire, les dépenses qui ont été directement engagées par le cocontractant pour la réalisation des fournitures, travaux ou prestations destinés à l'administration. Ne peut être prise en compte que la quote-part des frais généraux qui contribue à l'exécution du marché et est à ce titre utile à la personne publique. Ne peuvent pas être regardés comme utilement exposés pour l'exécution du marché les frais de communication ainsi que, dans le cas où le contrat en cause est un marché public et sauf s'il s'agit d'un marché de partenariat, les frais financiers engagés par le cocontractant.

Sur le pourvoi de la société Lacroix City Saint-Herblain :

En ce qui concerne le montant des dépenses utiles :

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour fixer le montant des dépenses au remboursement desquelles la société Lacroix City Saint-Herblain avait droit en application des principes mentionnés aux points 3 et 4, la cour administrative d'appel de Douai s'est fondée sur la méthode proposée par le département, consistant à déduire du prix du marché le surcoût imputable aux pratiques anticoncurrentielles de cette société puis un taux de marge normal appliqué au reliquat résultant de cette première opération. Elle a évalué ce surcoût à un taux moyen de 58 % des montants versés au titulaire des marchés de 1999, de 24 % pour le marché de 2003 et de 47 % pour le marché de 2006, selon la méthode comparative utilisée par le département. En se fondant, pour déterminer les taux de surcoût mentionnés ci-dessus, sur la seule comparaison entre les prix pratiqués par cette société dans les marchés conclus entre 1999 et 2006 et ceux d'un unique marché conclu en 2010 par le département avec une autre société, ce sans tenir compte d'aucun facteur exogène susceptible d'avoir influencé la formation du prix, et alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui étaient soumis que l'Autorité de la concurrence, dans sa décision du 22 décembre 2010, évaluait à 5 à 10 % le surcroît moyen de prix imputable à cette entente, la cour administrative d'appel de Douai a dénaturé les faits de l'espèce.

En ce qui concerne le préjudice lié à l'indisponibilité des sommes :

6. Pour déterminer le préjudice qu'elle a estimé que le département de la Seine-Maritime avait subi en raison de l'indisponibilité des sommes payées indûment par celui-ci au titre du surprix des marchés annulés durant la période antérieure à la demande d'intérêts devant le tribunal administratif de Rouen, le 26 mars 2015, la cour administrative d'appel de Douai a jugé qu'il y avait lieu de condamner la société Lacroix City Saint-Herblain au paiement de la somme de 425 616 euros correspondant, pour chacun des marchés, à l'application du taux d'intérêt légal aux sommes indisponibles depuis la fin de l'exécution des marchés. En statuant ainsi, sans indiquer les bases ni les modalités du calcul de ce montant, alors qu'elle s'écartait de la méthode proposée par le département de la Seine-Maritime, la cour administrative d'appel de Douai a insuffisamment motivé son arrêt.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Douai doivent être annulés en tant qu'ils ne font que partiellement droit à l'appel principal de la société Lacroix City Saint-Herblain s'agissant des conséquences financières de l'annulation du contrat, ainsi que les articles 4 et 5 du même arrêt et enfin son article 6, en tant qu'il rejette les conclusions présentées par la société Lacroix City Saint-Herblain au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les conclusions d'appel incident du département de la Seine-Maritime tendant à l'indemnisation du préjudice qu'il allègue avoir subi du fait de l'indisponibilité des sommes correspondant au surcoût des marchés.

8. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée.

Sur l'appel de la société Lacroix City Saint-Herblain et l'appel incident du département de la Seine-Maritime :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande du département de la Seine-Maritime :

9. Une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre. En particulier, les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de leur créance. Toutefois, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge administratif d'une demande tendant à son recouvrement.

10. Les conclusions d'une collectivité publique tendant à la réparation des préjudices causés par les pratiques anticoncurrentielles de son cocontractant doivent être regardées comme portant sur une créance qui trouve son origine dans un contrat, pour l'application des règles mentionnées au point précédent. Par suite, la société Lacroix City Saint-Herblain n'est pas fondée à soutenir que les conclusions indemnitaires présentées par le département de la Seine-Maritime devant le tribunal administratif de Rouen seraient irrecevables.

En ce qui concerne l'appel principal de la société Lacroix City Saint-Herblain portant sur les restitutions consécutives à l'annulation du marché :

11. Par des jugements du 31 janvier 2017, devenus définitifs sur ce point, le tribunal administratif de Rouen a annulé les marchés conclus par le département de la Seine-Maritime avec la société Lacroix Signalisation le 2 novembre 1999, le 11 avril 2003 et le 15 mars 2006. En application des principes mentionnés au point 3 de cette décision, l'annulation de ces contrats emporte, pour la société Lacroix City Saint-Herblain, l'obligation de restituer les sommes qu'elle a perçues pour l'exécution de ces marchés.

12. Pour établir le montant des dépenses qui ont été utiles à la personne publique, au remboursement desquelles la société Lacroix City Saint-Herblain a droit en application des mêmes principes, le département de la Seine-Maritime et la société ont, chacun, proposé une méthode de calcul devant la cour administrative d'appel de Douai.

13. La méthode proposée par le département de la Seine-Maritime, fondée sur la déduction du prix des prestations à la fois du surcoût supporté par la personne publique à la suite de l'entente anticoncurrentielle et de la marge bénéficiaire de l'entreprise, ne saurait être en l'espèce retenue dès lors, d'une part, qu'une telle méthode conduit à intégrer dans l'assiette des dépenses utiles une partie de frais correspondant à des frais généraux non liés à l'exécution des prestations, qui ne sauraient être regardés comme étant utiles à la personne publique, et que, d'autre part, l'évaluation du surcoût supporté par le département, fondée sur la seule comparaison avec un unique marché conclu par le département en 2010, sans prise en compte d'éventuels facteurs exogènes, conduit à retenir un taux excessif de surcoût pour la personne publique.

14. La méthode proposée par la société Lacroix City Saint-Herblain, fondée sur les résultats d'une étude économique qu'elle a commandée, consiste, pour les marchés de 2003 et 2006, à estimer les coûts de production de certains articles et de certaines prestations pour l'exercice fiscal 2016-2017. Eu égard à l'évolution historique des coûts moyens de la société, elle a reconstitué l'évolution des principaux postes de coûts contribuant à la formation du coût complet de ces articles, tels que le film adhésif, l'aluminium et l'acier, la main d'œuvre et les frais de structure, jusqu'en 2003. Sur le fondement des données de facturation dont elle dispose, elle a enfin reconstitué le coût total des fournitures et prestations vendues au département dans le cadre de ces deux marchés. Pour les marchés de 1999, la société Lacroix City Saint-Herblain, qui soutient ne pas disposer des données nécessaires pour appliquer la même méthode que pour les marchés postérieurs, fait valoir que l'analyse de ses liasses fiscales pour cette période laisse apparaître que ses charges d'exploitation pour la période considérée représentaient 86,9 % de ses produits d'exploitation, et propose d'appliquer ce taux au montant facturé au département dans le cadre des marchés.

15. Toutefois, la méthode proposée par la société Lacroix City Saint-Herblain, s'agissant des marchés signés en 1999, ne peut être retenue pour établir les dépenses utiles relatives à cette période, en l'absence de tout élément tendant à démontrer que le rapport entre les charges d'exploitation et les produits d'exploitation de la société, pris dans leur ensemble, serait représentatif de l'activité ayant fait l'objet des marchés litigieux, et alors que l'activité de signalisation routière représentait seulement 44 % du chiffre d'affaires de la société Lacroix Signalisation en 2009 selon l'Autorité de la concurrence. En outre, une telle méthode ne permet pas d'exclure ceux des frais de la société qui n'ont pas été utiles à la personne publique, tels que les frais financiers. S'agissant des marchés de 2003 et de 2006, les documents produits par la société Lacroix Signalisation à l'appui de l'étude économique réalisée à sa demande ne permettent pas de s'assurer de l'exactitude de la reconstitution qu'elle propose.

16. Dès lors, l'état du dossier ne permet pas au Conseil d'Etat d'apprécier le montant des dépenses engagées par la société pour l'exécution de ces marchés et qui ont été utiles au département de la Seine-Maritime, pas davantage que les effets de l'érosion monétaire jusqu'à la date du 26 mars 2015, à laquelle la demande du département a été enregistrée devant le tribunal administratif de Rouen, sur les prix payés par le département au titre des marchés annulés et les dépenses utiles exposées par la société Lacroix City Saint-Herblain. Il y a donc lieu, avant de statuer sur la requête d'appel de la société Lacroix City Saint Herblain, d'ordonner une expertise sur ces deux points appréciés selon les principes rappelés au point 4. Il y a lieu de donner également mission à l'expert de concilier les parties si faire se peut à l'issue des opérations d'expertise.

En ce qui concerne l'appel incident du département de la Seine-Maritime portant sur le préjudice lié à l'indisponibilité des sommes correspondant au surcoût des marchés :

17. Si le département de la Seine-Maritime soutient que le comportement dolosif de la société Lacroix City Saint-Herblain lui a causé un préjudice lié à l'indisponibilité des sommes correspondant au surcoût des marchés jusqu'à la date de sa demande d'intérêts, le seul préjudice qu'il allègue avoir subi tient à l'impossibilité de se désendetter du montant correspondant. Ce préjudice n'étant pas indemnisable, le département de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions relatives à l'indemnisation du préjudice qu'il alléguait avoir subi du fait de l'indisponibilité des sommes d'argent correspondant au surcoût des marchés.







D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt du 7 mai 2021 de la cour administrative d'appel de Douai sont annulés en tant qu'ils ne font que partiellement droit à l'appel principal de la société Lacroix City Saint-Herblain s'agissant des conséquences financières de l'annulation du contrat, ainsi que ses articles 4 et 5, et enfin son article 6 en tant qu'il rejette les conclusions présentées par la société Lacroix City Saint-Herblain au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les conclusions d'appel incident du département de la Seine-Maritime tendant à l'indemnisation du préjudice qu'il allègue avoir subi du fait de l'indisponibilité des sommes correspondant au surcoût des marchés.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident du département de la Seine-Maritime tendant à l'indemnisation du préjudice qu'il allègue avoir subi du fait de l'indisponibilité des sommes correspondant au surcoût des marchés sont rejetées.
Article 3 : Il sera, avant de statuer sur les autres conclusions de la requête d'appel de la société Lacroix City Saint-Herblain, procédé par un expert, désigné par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, à une expertise avec mission :
- de déterminer le montant des dépenses engagées par cette société dans le cadre des marchés n°s 99-673, 99-677, 99-678, 99-682, 99-685, 99-687, 99-689, 99-690, 99-692 et 99-694, n° 2003-257 et n° 2006-311 et qui ont été utiles au département de la Seine-Maritime ;
- d'actualiser, jusqu'à la date du 26 mars 2015, tant les sommes versées par le département de la Seine-Maritime que les dépenses engagées par la société dans le cadre de ces différents marchés et qui ont été utiles au département, pour tenir compte de l'érosion monétaire.
Article 4 : Il est donné mission à l'expert de concilier les parties si faire se peut à l'issue de ses opérations d'expertise.
Article 5 : L'expert prêtera serment par écrit ou devant la secrétaire du contentieux du Conseil d'Etat ; le rapport d'expertise sera déposé au secrétariat du contentieux dans le délai de six mois suivant la prestation de serment.
Article 6 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 7 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par la présente décision, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 8 : La présente décision sera notifiée à la société Lacroix City Saint-Herblain et au département de la Seine-Maritime.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 avril 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, Mme Anne Courrèges, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Alexis Goin, auditeur-rapporteur.

Rendu le 17 juin 2022.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :
Signé : M. Alexis Goin

La secrétaire :
Signé : Mme Nadine Pelat


ECLI:FR:CECHR:2022:454189.20220617
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