CAA de VERSAILLES, 5ème chambre, 16/06/2022, 19VE03858
CAA de VERSAILLES, 5ème chambre, 16/06/2022, 19VE03858
CAA de VERSAILLES - 5ème chambre
- N° 19VE03858
- Non publié au bulletin
Lecture du
jeudi
16 juin 2022
- Président
- Mme SIGNERIN-ICRE
- Rapporteur
- M. Gildas CAMENEN
- Avocat(s)
- GIBSON, DUNN & CRUTCHER LLP
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Héli-Union a demandé au tribunal administratif de Versailles de résilier le marché d'acquisition d'heures de vol sans équipage d'un hélicoptère civil de type H225 au profit de l'armée de l'air conclu le 20 décembre 2016 entre le ministère des armées et le groupement temporaire Icare/Airtelis, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 000 d'euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière de ce contrat et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1701902 du 19 septembre 2019, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de la société Héli-Union.
Procédure devant la cour :
Par une requête, des mémoires et des pièces, enregistrés les 19 novembre 2019, 6 février 2020, 7 août 2020 et les 5, 19 octobre 2021, 15 avril 2022 et 18 mai 2022, la société Héli-Union, représentée par Me Baverez, avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses conclusions :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de résilier le marché conclu le 20 décembre 2016 entre le ministère des armées et le groupement Icare/Airtelis ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 9 000 000 d'euros, sauf à parfaire, assortie des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière du marché ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son offre était régulière dès lors qu'elle portait sur des hélicoptères H225 visés par les stipulations de l'article 2 de l'annexe 1 au cahier des clauses particulières du marché ; elle a fourni tous renseignements relatifs à la liste des spécifications techniques des appareils concernés conformément aux stipulations de l'article 7.3 du règlement de la consultation qui n'exigeait pas de décrire de manière circonstanciée les caractéristiques techniques de l'appareil ; le ministre ne peut opposer le caractère irrégulier de son offre alors que dans le rapport de présentation, son offre a été estimée conforme en tous points au cahier des charges ;
- le moyen tiré de l'illégalité de la méthode de notation du critère financier est opérant dès lors qu'elle a été évincée en raison de la notation du critère financier ; ce moyen est fondé dès lors que cette méthode surévalue le poids du sous-critère financier n° 3 dont l'exécution est aléatoire et prive de toute portée les trois autres sous-critères ; elle conduit à attribuer la meilleure note à l'offre la plus chère et méconnaît les règles de publicité et de mise en concurrence ;
- le marché conclu est illégal car il porte atteinte au principe d'égalité de traitement entre les candidats, au principe d'impartialité de la procédure et fausse la concurrence, eu égard aux informations privilégiées communiquées à la société attributaire avant l'avis d'appel public à la concurrence, ainsi qu'il résulte des éléments de l'enquête préliminaire diligentée à la suite de la plainte qu'elle a déposée et des mentions du jugement du tribunal correctionnel du 29 juin 2021 condamnant la société attributaire et son président à une peine d'exclusion immédiate de tous les marchés publics, et dont il résulte que ces derniers ont bénéficié de la transmission d'informations privilégiées de la part de membres du ministère des armées ;
- les vices invoqués sont en rapport direct avec son éviction ; les moyens invoqués sont opérants ; elle disposait d'une chance très sérieuse de se voir attribuer le marché, étant précisé qu'elle était le seul concurrent de l'attributaire ;
- elle a droit à être indemnisée du manque à gagner résultant de son éviction irrégulière du marché qui s'établit à 9 000 000 d'euros sur six ans.
Par des mémoires en défense enregistrés les 17 juillet 2020, 4 décembre 2020, 2 et 24 novembre 2021 et 17 mai 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Héli-Union la somme de 2 500 euros à verser à l'Etat au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Héli-Union ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 avril 2022, la société Icare, représentée par Me Laskier, avocat, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Héli-Union ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-361 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Sauvageot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Béas, pour la société Héli-Union.
Une note en délibéré, enregistrée le 3 juin 2022, a été présentée par le ministre des armées.
Considérant ce qui suit :
1. Le service spécialisé de la logistique et du transport du commissariat des armées a engagé en 2016, en application du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics de défense ou de sécurité alors en vigueur, une procédure négociée avec mise en concurrence préalable en vue de la passation d'un marché à bons de commande ayant pour objet l'acquisition d'heures de vol sans équipage sur un hélicoptère civil de type H225 au bénéfice de l'armée de l'air. Le 18 mai 2016, la société anonyme Héli-Union s'est portée candidate à l'attribution de ce marché. Elle a remis son offre finale au pouvoir adjudicateur le 24 juin 2016. Par un courrier du 18 juillet 2016, le pouvoir adjudicateur lui a notifié le rejet de son offre et l'a informée de l'attribution du marché au groupement momentané d'entreprises Icare/Airtelis. Le marché a été conclu entre le pouvoir adjudicateur et le groupement Icare/Airtelis le 20 décembre 2016 pour une période initiale de deux ans et a été, par la suite, reconduit à plusieurs reprises. La société Héli-Union relève appel du jugement du tribunal administratif de Versailles du 19 septembre 2019 rejetant sa demande tendant à la résiliation de ce marché et à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice résultant de son éviction qu'elle estime irrégulière.
Sur la validité du marché :
2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
En ce qui concerne l'atteinte au principe d'égalité :
3. Aux termes de 1er de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics alors en vigueur : " I. - Les marchés publics soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. / Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics (...) ".
4. Il résulte de l'instruction, notamment d'un procès-verbal d'audition du 9 février 2018 établi dans le cadre de l'enquête préliminaire mise en œuvre à la suite de la plainte de la société requérante et soumis au débat contradictoire des parties dans le cadre de la présente instance, qu'une réunion a été organisée à Bordeaux le 6 novembre 2015 au cours de laquelle le président de la société Icare, membre du groupement attributaire du marché en litige, a indiqué aux personnes présentes, en particulier au chef de la composante hélicoptère du commandement des forces aériennes, être en mesure de mettre à disposition de l'armée de l'air un hélicoptère civil de type H225. Ces deux personnes sont restées en contact après cette réunion, plusieurs échanges ayant eu lieu entre elles ultérieurement. Si le président de la société Icare a nié l'intérêt de ces échanges pour l'obtention du marché, il n'est pas sérieusement contesté que le groupement attributaire a reçu des informations précises sur les critères techniques et financiers du futur marché plusieurs mois avant la publication de l'avis de marché, le 23 avril 2016, la société Héli-Union n'ayant eu de son côté qu'un mois pour préparer son offre. Les notes retrouvées lors d'une perquisition confirment d'ailleurs que le président de la société Icare disposait depuis plusieurs mois d'informations précises sur les attentes du commandement des forces aériennes et connaissait en réalité la quasi-intégralité des besoins techniques et des conditions financières du marché à venir. Par ailleurs, il n'est pas contesté que, tout en livrant ces informations, le chef de la composante hélicoptère du commandement des forces aériennes a suivi la préparation du marché, en rédigeant l'expression des besoins du pouvoir adjudicateur en qualité de prescripteur technique.
5. Dans ces conditions, alors même que l'existence de ces échanges d'informations n'a pas été révélée au service spécialisé de la logistique et du transport du service du commissariat des armées chargé de lancer la consultation ayant abouti à la signature du marché en litige, la société Héli-Union est fondée à soutenir que les graves irrégularités qui en résultent ont porté atteinte au principe d'égalité entre les candidats, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 29 juin 2021 condamnant les protagonistes a été contesté en appel.
En ce qui concerne les conséquences des vices affectant le marché contesté :
6. Il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.
7. Eu égard à la particulière gravité du vice affectant le marché contesté, son exécution ne saurait se poursuivre. Aucune mesure de régularisation n'est possible et l'annulation totale du marché doit être envisagée.
8. Le ministre des armées relève cependant que ce marché a pour objet de mettre à disposition des forces armées des appareils permettant la réalisation de vols d'entraînement et de préparation opérationnelle pour les équipages de l'armée de l'air, plus précisément pour les pilotes de l'escadron d'hélicoptères 01-067 " Pyrénées ", dont le parc est fortement sollicité et ne permet plus d'assurer la préparation et le maintien au niveau opérationnel minimal des équipages. Cet escadron réalisant des missions de recherche et de sauvetage au combat ainsi que des missions au profit du commandement des opérations spéciales nécessitant un entraînement permanent et spécifique, le ministre soutient que l'annulation du marché porterait une atteinte excessive à l'intérêt général et sollicite dans le dernier état de ses écritures, à titre subsidiaire, un effet différé d'une année à la mesure prononcée par la cour.
9. Toutefois, si ce marché répond à un besoin essentiel des forces armées, il a été conclu initialement pour une période de deux ans, renouvelable quatre fois par périodes d'une année. Ainsi, son exécution doit s'achever au plus tard le 31 décembre 2022. Compte tenu de cette échéance dont l'administration ne peut ignorer l'existence, de ce que le ministre ne fait état d'aucune circonstance particulière faisant obstacle, le cas échéant, au lancement, en urgence, d'une consultation tendant à la conclusion d'un nouveau marché en vue de l'acquisition d'heures de vol sans équipage sur un hélicoptère civil de type H225 au bénéfice de l'armée de l'air et de ce qu'il n'est d'ailleurs pas établi qu'une consultation ne serait pas déjà en cours pour répondre à ce besoin ou qu'il ne peut en aucun cas y être répondu temporairement d'une autre manière, l'annulation totale du marché ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général et, dans les circonstances de l'espèce, cette annulation devra prendre effet trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions indemnitaires :
10. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.
11. Il résulte de l'instruction, en particulier du courrier du service spécialisé de la logistique et du transport du 18 juillet 2016, que l'offre de la société Héli-Union a été rejetée au motif qu'elle n'était pas la plus avantageuse économiquement, celle-ci n'ayant obtenu que 34 points sur 100. Toutefois, le ministre des armées soutient devant le juge du contrat que l'offre de la société Héli-Union était irrégulière et qu'en conséquence, cette société, dont l'offre devait être rejetée, était dépourvue de toute chance d'emporter le marché. Contrairement à ce que soutient la requérante, la circonstance que son offre a été examinée et classée, ne peut faire obstacle à ce que le pouvoir adjudicateur se prévale de l'irrégularité de cette offre devant le juge du contrat.
12. Aux termes de l'article 56 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics de défense ou de sécurité : " I. - L'acheteur vérifie que les offres qui n'ont pas été éliminées en application du IV de l'article 43 sont régulières, acceptables et appropriées. / Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. (...) ". Aux termes du point 2 de l'annexe 1 au cahier des clauses particulières du marché litigieux : " La configuration de l'hélicoptère du titulaire doit être similaire à celle des appareils en service dans l'armée de l'air. L'hélicoptère doit être de type EC 225, EC 725, H225 ou H225M ". Et aux termes du point 7.3 du règlement de la consultation : " L'offre technique du candidat permet au représentant du pouvoir adjudicateur de juger des moyens d'exécution des prestations proposées tant d'un point de vue quantitatif que qualitatif. / Un exemplaire du mémoire technique commercial, rédigé en langue française, est fourni avec l'offre. Le candidat y expose la manière dont il appréhende et envisage de réaliser l'objet du marché. (...) L'offre technique du candidat est constituée d'un mémoire technique détaillé. Elle doit notamment comporter tous les renseignements relatifs : - aux spécifications techniques détaillées du ou des hélicoptères mis à disposition ; - liste des équipements proposés sur chaque hélicoptère ; - aux normes appliquées (...). L'attention du candidat est appelée sur le fait que le mémoire technique constitue une des pièces contractuelles du marché. Aussi, le document fourni doit impérativement répondre de manière circonstanciée à l'ensemble des problématiques du marché, qu'il s'agisse des caractéristiques techniques des hélicoptères, de la couverture de la maintenance ou de l'ensemble des prestations proposées dans le cadre du suivi du marché ".
13. Il résulte de l'instruction que, dans son offre finale du 24 juin 2016, la société Héli-Union a indiqué avoir " désormais accès à deux hélicoptères civils différents de celui que nous vous avions dans notre offre initiale ". Elle a également précisé dans ce courrier avoir pu élargir considérablement sa recherche de machines disposant des caractéristiques primordiales et impératives du marché, en raison d'un accident survenu en Norvège et de l'interdiction de vol qui en a résulté. En outre, elle a assuré le pouvoir adjudicateur de ce qu'elle était en mesure de mettre à la disposition de l'armée de l'air un appareil répondant " à toutes les caractéristiques primordiales et impératives, à toutes les caractéristiques techniques importantes sauf celle relative à l'exigence " NVG compatible cabin lightning pour le travail en soute sous JVN ", à la caractéristique technique souhaitable ".
14. Toutefois, d'une part, la société Héli-Union n'a fourni aucune autre précision dans son offre finale sur le type d'hélicoptère proposé. Compte tenu de la mention y figurant selon laquelle elle avait accès à " deux hélicoptères civils différents de celui " mentionné dans son offre initiale, les documents produits à l'appui son offre initiale ne peuvent être regardés comme répondant à l'exigence prévue par les stipulations précitées de l'article 7.3 du règlement de la consultation de fournir les spécifications techniques détaillées du ou des hélicoptères mis à disposition.
15. D'autre part, à supposer que la société Héli-Union ait entendu continuer à proposer, dans son offre finale, de mettre à disposition de l'armée de l'air l'appareil mentionné dans son offre initiale, il résulte de l'instruction qu'une incertitude demeurait, s'agissant d'un hélicoptère en cours de fabrication, sur la possibilité de le mettre effectivement à disposition de l'armée de l'air dans le délai prévu par les stipulations du marché. Cette incertitude ne peut être regardée comme ayant été levée dans la réponse de la société Héli-Union aux questions posées par le pouvoir adjudicateur le 30 mai 2016. Elle a également été évoquée lors de la réunion de négociation du 16 juin 2016. Enfin, le rapport de présentation du 1er juillet 2016 souligne pour ce motif " le manque de garanties et les incertitudes " de l'offre finale de la société Héli-Union. Par suite, la société Héli-Union n'a pas justifié de sa capacité à disposer dans le délai prévu d'un hélicoptère répondant aux spécifications du marché.
16. Dans ces conditions, alors même qu'il a été procédé à l'examen et au classement de l'offre finale de la société Héli-Union, le ministre des armées est fondé à soutenir que cette offre était irrégulière et qu'elle devait être écartée. Par suite, le ministre est également fondé à soutenir que la société Héli-Union était dépourvue de toute chance de remporter le marché et qu'elle n'a droit à aucune indemnité.
17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Héli-Union est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation du marché conclu le 20 décembre 2016 entre l'Etat et la société Icare.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Héli-Union qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Héli-Union à ce titre.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1701902 du tribunal administratif de Versailles du 19 septembre 2019 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Héli-Union tendant à la résiliation du marché d'acquisition d'heures de vol sans équipage d'un hélicoptère civil de type H225 au profit de l'armée de l'air conclu le 20 décembre 2016 entre le ministère des armées et le groupement temporaire Icare/Airtelis.
Article 2 : Le marché conclu entre l'Etat et le groupement Icare/Airtelis le 20 décembre 2016 est annulé à compter de l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à la société Héli-Union au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Héli-Union est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par le ministre des armées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Héli-Union, au ministre des armées et au groupement Icare/Airtelis.
Délibéré après l'audience du 2 juin 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,
M. Camenen, président assesseur,
M. Toutain, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2022.
Le rapporteur,
G. A... La présidente,
C. Signerin-Icre La greffière,
C. Yarde
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 19VE03858 2
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Héli-Union a demandé au tribunal administratif de Versailles de résilier le marché d'acquisition d'heures de vol sans équipage d'un hélicoptère civil de type H225 au profit de l'armée de l'air conclu le 20 décembre 2016 entre le ministère des armées et le groupement temporaire Icare/Airtelis, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 000 d'euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière de ce contrat et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1701902 du 19 septembre 2019, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de la société Héli-Union.
Procédure devant la cour :
Par une requête, des mémoires et des pièces, enregistrés les 19 novembre 2019, 6 février 2020, 7 août 2020 et les 5, 19 octobre 2021, 15 avril 2022 et 18 mai 2022, la société Héli-Union, représentée par Me Baverez, avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses conclusions :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de résilier le marché conclu le 20 décembre 2016 entre le ministère des armées et le groupement Icare/Airtelis ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 9 000 000 d'euros, sauf à parfaire, assortie des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière du marché ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son offre était régulière dès lors qu'elle portait sur des hélicoptères H225 visés par les stipulations de l'article 2 de l'annexe 1 au cahier des clauses particulières du marché ; elle a fourni tous renseignements relatifs à la liste des spécifications techniques des appareils concernés conformément aux stipulations de l'article 7.3 du règlement de la consultation qui n'exigeait pas de décrire de manière circonstanciée les caractéristiques techniques de l'appareil ; le ministre ne peut opposer le caractère irrégulier de son offre alors que dans le rapport de présentation, son offre a été estimée conforme en tous points au cahier des charges ;
- le moyen tiré de l'illégalité de la méthode de notation du critère financier est opérant dès lors qu'elle a été évincée en raison de la notation du critère financier ; ce moyen est fondé dès lors que cette méthode surévalue le poids du sous-critère financier n° 3 dont l'exécution est aléatoire et prive de toute portée les trois autres sous-critères ; elle conduit à attribuer la meilleure note à l'offre la plus chère et méconnaît les règles de publicité et de mise en concurrence ;
- le marché conclu est illégal car il porte atteinte au principe d'égalité de traitement entre les candidats, au principe d'impartialité de la procédure et fausse la concurrence, eu égard aux informations privilégiées communiquées à la société attributaire avant l'avis d'appel public à la concurrence, ainsi qu'il résulte des éléments de l'enquête préliminaire diligentée à la suite de la plainte qu'elle a déposée et des mentions du jugement du tribunal correctionnel du 29 juin 2021 condamnant la société attributaire et son président à une peine d'exclusion immédiate de tous les marchés publics, et dont il résulte que ces derniers ont bénéficié de la transmission d'informations privilégiées de la part de membres du ministère des armées ;
- les vices invoqués sont en rapport direct avec son éviction ; les moyens invoqués sont opérants ; elle disposait d'une chance très sérieuse de se voir attribuer le marché, étant précisé qu'elle était le seul concurrent de l'attributaire ;
- elle a droit à être indemnisée du manque à gagner résultant de son éviction irrégulière du marché qui s'établit à 9 000 000 d'euros sur six ans.
Par des mémoires en défense enregistrés les 17 juillet 2020, 4 décembre 2020, 2 et 24 novembre 2021 et 17 mai 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Héli-Union la somme de 2 500 euros à verser à l'Etat au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Héli-Union ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 avril 2022, la société Icare, représentée par Me Laskier, avocat, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Héli-Union ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-361 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Sauvageot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Béas, pour la société Héli-Union.
Une note en délibéré, enregistrée le 3 juin 2022, a été présentée par le ministre des armées.
Considérant ce qui suit :
1. Le service spécialisé de la logistique et du transport du commissariat des armées a engagé en 2016, en application du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics de défense ou de sécurité alors en vigueur, une procédure négociée avec mise en concurrence préalable en vue de la passation d'un marché à bons de commande ayant pour objet l'acquisition d'heures de vol sans équipage sur un hélicoptère civil de type H225 au bénéfice de l'armée de l'air. Le 18 mai 2016, la société anonyme Héli-Union s'est portée candidate à l'attribution de ce marché. Elle a remis son offre finale au pouvoir adjudicateur le 24 juin 2016. Par un courrier du 18 juillet 2016, le pouvoir adjudicateur lui a notifié le rejet de son offre et l'a informée de l'attribution du marché au groupement momentané d'entreprises Icare/Airtelis. Le marché a été conclu entre le pouvoir adjudicateur et le groupement Icare/Airtelis le 20 décembre 2016 pour une période initiale de deux ans et a été, par la suite, reconduit à plusieurs reprises. La société Héli-Union relève appel du jugement du tribunal administratif de Versailles du 19 septembre 2019 rejetant sa demande tendant à la résiliation de ce marché et à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice résultant de son éviction qu'elle estime irrégulière.
Sur la validité du marché :
2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
En ce qui concerne l'atteinte au principe d'égalité :
3. Aux termes de 1er de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics alors en vigueur : " I. - Les marchés publics soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. / Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics (...) ".
4. Il résulte de l'instruction, notamment d'un procès-verbal d'audition du 9 février 2018 établi dans le cadre de l'enquête préliminaire mise en œuvre à la suite de la plainte de la société requérante et soumis au débat contradictoire des parties dans le cadre de la présente instance, qu'une réunion a été organisée à Bordeaux le 6 novembre 2015 au cours de laquelle le président de la société Icare, membre du groupement attributaire du marché en litige, a indiqué aux personnes présentes, en particulier au chef de la composante hélicoptère du commandement des forces aériennes, être en mesure de mettre à disposition de l'armée de l'air un hélicoptère civil de type H225. Ces deux personnes sont restées en contact après cette réunion, plusieurs échanges ayant eu lieu entre elles ultérieurement. Si le président de la société Icare a nié l'intérêt de ces échanges pour l'obtention du marché, il n'est pas sérieusement contesté que le groupement attributaire a reçu des informations précises sur les critères techniques et financiers du futur marché plusieurs mois avant la publication de l'avis de marché, le 23 avril 2016, la société Héli-Union n'ayant eu de son côté qu'un mois pour préparer son offre. Les notes retrouvées lors d'une perquisition confirment d'ailleurs que le président de la société Icare disposait depuis plusieurs mois d'informations précises sur les attentes du commandement des forces aériennes et connaissait en réalité la quasi-intégralité des besoins techniques et des conditions financières du marché à venir. Par ailleurs, il n'est pas contesté que, tout en livrant ces informations, le chef de la composante hélicoptère du commandement des forces aériennes a suivi la préparation du marché, en rédigeant l'expression des besoins du pouvoir adjudicateur en qualité de prescripteur technique.
5. Dans ces conditions, alors même que l'existence de ces échanges d'informations n'a pas été révélée au service spécialisé de la logistique et du transport du service du commissariat des armées chargé de lancer la consultation ayant abouti à la signature du marché en litige, la société Héli-Union est fondée à soutenir que les graves irrégularités qui en résultent ont porté atteinte au principe d'égalité entre les candidats, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 29 juin 2021 condamnant les protagonistes a été contesté en appel.
En ce qui concerne les conséquences des vices affectant le marché contesté :
6. Il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.
7. Eu égard à la particulière gravité du vice affectant le marché contesté, son exécution ne saurait se poursuivre. Aucune mesure de régularisation n'est possible et l'annulation totale du marché doit être envisagée.
8. Le ministre des armées relève cependant que ce marché a pour objet de mettre à disposition des forces armées des appareils permettant la réalisation de vols d'entraînement et de préparation opérationnelle pour les équipages de l'armée de l'air, plus précisément pour les pilotes de l'escadron d'hélicoptères 01-067 " Pyrénées ", dont le parc est fortement sollicité et ne permet plus d'assurer la préparation et le maintien au niveau opérationnel minimal des équipages. Cet escadron réalisant des missions de recherche et de sauvetage au combat ainsi que des missions au profit du commandement des opérations spéciales nécessitant un entraînement permanent et spécifique, le ministre soutient que l'annulation du marché porterait une atteinte excessive à l'intérêt général et sollicite dans le dernier état de ses écritures, à titre subsidiaire, un effet différé d'une année à la mesure prononcée par la cour.
9. Toutefois, si ce marché répond à un besoin essentiel des forces armées, il a été conclu initialement pour une période de deux ans, renouvelable quatre fois par périodes d'une année. Ainsi, son exécution doit s'achever au plus tard le 31 décembre 2022. Compte tenu de cette échéance dont l'administration ne peut ignorer l'existence, de ce que le ministre ne fait état d'aucune circonstance particulière faisant obstacle, le cas échéant, au lancement, en urgence, d'une consultation tendant à la conclusion d'un nouveau marché en vue de l'acquisition d'heures de vol sans équipage sur un hélicoptère civil de type H225 au bénéfice de l'armée de l'air et de ce qu'il n'est d'ailleurs pas établi qu'une consultation ne serait pas déjà en cours pour répondre à ce besoin ou qu'il ne peut en aucun cas y être répondu temporairement d'une autre manière, l'annulation totale du marché ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général et, dans les circonstances de l'espèce, cette annulation devra prendre effet trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions indemnitaires :
10. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.
11. Il résulte de l'instruction, en particulier du courrier du service spécialisé de la logistique et du transport du 18 juillet 2016, que l'offre de la société Héli-Union a été rejetée au motif qu'elle n'était pas la plus avantageuse économiquement, celle-ci n'ayant obtenu que 34 points sur 100. Toutefois, le ministre des armées soutient devant le juge du contrat que l'offre de la société Héli-Union était irrégulière et qu'en conséquence, cette société, dont l'offre devait être rejetée, était dépourvue de toute chance d'emporter le marché. Contrairement à ce que soutient la requérante, la circonstance que son offre a été examinée et classée, ne peut faire obstacle à ce que le pouvoir adjudicateur se prévale de l'irrégularité de cette offre devant le juge du contrat.
12. Aux termes de l'article 56 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics de défense ou de sécurité : " I. - L'acheteur vérifie que les offres qui n'ont pas été éliminées en application du IV de l'article 43 sont régulières, acceptables et appropriées. / Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. (...) ". Aux termes du point 2 de l'annexe 1 au cahier des clauses particulières du marché litigieux : " La configuration de l'hélicoptère du titulaire doit être similaire à celle des appareils en service dans l'armée de l'air. L'hélicoptère doit être de type EC 225, EC 725, H225 ou H225M ". Et aux termes du point 7.3 du règlement de la consultation : " L'offre technique du candidat permet au représentant du pouvoir adjudicateur de juger des moyens d'exécution des prestations proposées tant d'un point de vue quantitatif que qualitatif. / Un exemplaire du mémoire technique commercial, rédigé en langue française, est fourni avec l'offre. Le candidat y expose la manière dont il appréhende et envisage de réaliser l'objet du marché. (...) L'offre technique du candidat est constituée d'un mémoire technique détaillé. Elle doit notamment comporter tous les renseignements relatifs : - aux spécifications techniques détaillées du ou des hélicoptères mis à disposition ; - liste des équipements proposés sur chaque hélicoptère ; - aux normes appliquées (...). L'attention du candidat est appelée sur le fait que le mémoire technique constitue une des pièces contractuelles du marché. Aussi, le document fourni doit impérativement répondre de manière circonstanciée à l'ensemble des problématiques du marché, qu'il s'agisse des caractéristiques techniques des hélicoptères, de la couverture de la maintenance ou de l'ensemble des prestations proposées dans le cadre du suivi du marché ".
13. Il résulte de l'instruction que, dans son offre finale du 24 juin 2016, la société Héli-Union a indiqué avoir " désormais accès à deux hélicoptères civils différents de celui que nous vous avions dans notre offre initiale ". Elle a également précisé dans ce courrier avoir pu élargir considérablement sa recherche de machines disposant des caractéristiques primordiales et impératives du marché, en raison d'un accident survenu en Norvège et de l'interdiction de vol qui en a résulté. En outre, elle a assuré le pouvoir adjudicateur de ce qu'elle était en mesure de mettre à la disposition de l'armée de l'air un appareil répondant " à toutes les caractéristiques primordiales et impératives, à toutes les caractéristiques techniques importantes sauf celle relative à l'exigence " NVG compatible cabin lightning pour le travail en soute sous JVN ", à la caractéristique technique souhaitable ".
14. Toutefois, d'une part, la société Héli-Union n'a fourni aucune autre précision dans son offre finale sur le type d'hélicoptère proposé. Compte tenu de la mention y figurant selon laquelle elle avait accès à " deux hélicoptères civils différents de celui " mentionné dans son offre initiale, les documents produits à l'appui son offre initiale ne peuvent être regardés comme répondant à l'exigence prévue par les stipulations précitées de l'article 7.3 du règlement de la consultation de fournir les spécifications techniques détaillées du ou des hélicoptères mis à disposition.
15. D'autre part, à supposer que la société Héli-Union ait entendu continuer à proposer, dans son offre finale, de mettre à disposition de l'armée de l'air l'appareil mentionné dans son offre initiale, il résulte de l'instruction qu'une incertitude demeurait, s'agissant d'un hélicoptère en cours de fabrication, sur la possibilité de le mettre effectivement à disposition de l'armée de l'air dans le délai prévu par les stipulations du marché. Cette incertitude ne peut être regardée comme ayant été levée dans la réponse de la société Héli-Union aux questions posées par le pouvoir adjudicateur le 30 mai 2016. Elle a également été évoquée lors de la réunion de négociation du 16 juin 2016. Enfin, le rapport de présentation du 1er juillet 2016 souligne pour ce motif " le manque de garanties et les incertitudes " de l'offre finale de la société Héli-Union. Par suite, la société Héli-Union n'a pas justifié de sa capacité à disposer dans le délai prévu d'un hélicoptère répondant aux spécifications du marché.
16. Dans ces conditions, alors même qu'il a été procédé à l'examen et au classement de l'offre finale de la société Héli-Union, le ministre des armées est fondé à soutenir que cette offre était irrégulière et qu'elle devait être écartée. Par suite, le ministre est également fondé à soutenir que la société Héli-Union était dépourvue de toute chance de remporter le marché et qu'elle n'a droit à aucune indemnité.
17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Héli-Union est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation du marché conclu le 20 décembre 2016 entre l'Etat et la société Icare.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Héli-Union qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Héli-Union à ce titre.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1701902 du tribunal administratif de Versailles du 19 septembre 2019 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Héli-Union tendant à la résiliation du marché d'acquisition d'heures de vol sans équipage d'un hélicoptère civil de type H225 au profit de l'armée de l'air conclu le 20 décembre 2016 entre le ministère des armées et le groupement temporaire Icare/Airtelis.
Article 2 : Le marché conclu entre l'Etat et le groupement Icare/Airtelis le 20 décembre 2016 est annulé à compter de l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à la société Héli-Union au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Héli-Union est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par le ministre des armées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Héli-Union, au ministre des armées et au groupement Icare/Airtelis.
Délibéré après l'audience du 2 juin 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,
M. Camenen, président assesseur,
M. Toutain, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2022.
Le rapporteur,
G. A... La présidente,
C. Signerin-Icre La greffière,
C. Yarde
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 19VE03858 2