Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 13/06/2022, 453769

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner le centre hospitalier d'Ajaccio à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la rupture de la convention passée avec cet établissement le 28 décembre 2009, ainsi que les sommes de 14 065,16 euros et 8 995,24 euros correspondant aux sommes indument prélevées sur les honoraires qu'il a perçus, respectivement, entre les mois de janvier et septembre 2017 et octobre et novembre 2017 ou, à titre subsidiaire, la somme de 24 351,91 euros correspondant à la différence entre la redevance qu'il a payée au titre des années 2012 à 2016 et celle qui aurait dû être prélevée, la somme de 18 165 euros correspondant à cette même différence pour les mois de janvier à septembre 2017, et la somme de 9 577,94 euros correspondant aux sommes devant lui être reversées pour les mois d'octobre et novembre 2017. M. A... a également demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler le titre de recettes émis le 16 avril 2018 par le directeur du centre hospitalier d'Ajaccio mettant à sa charge le paiement d'une somme de 75 786 euros au titre de la redevance d'exercice d'une activité libérale pour les années 2013 à 2016 et de condamner le centre hospitalier d'Ajaccio à lui verser la somme globale de 30 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la cessation de son activité libérale et de la rupture de son contrat de praticien attaché, les sommes de 14 065,16 euros et 8 995,24 euros correspondant aux sommes indument prélevées sur les honoraires qu'il a perçus, respectivement, entre les mois de janvier et septembre 2017 et octobre et novembre 2017 ou, à titre subsidiaire, la somme de 24 351,91 euros correspondant à la différence entre la redevance qu'il a payée au titre des années 2012 à 2016 et celle qui aurait dû être prélevée, la somme de 18 165 euros correspondant à cette même différence pour les mois de janvier à septembre 2017 et la somme de 9 577,94 euros correspondant aux sommes devant lui être reversées pour les mois d'octobre et novembre 2017. Par un jugement n°s 1800223, 1800635 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Bastia a annulé le titre exécutoire émis le 16 avril 2018 par le directeur du centre hospitalier d'Ajaccio, déchargé M. A... de l'obligation de payer la somme procédant de ce titre de recettes et rejeté le surplus de ces demandes.

Par un arrêt n° 19MA05528 du 15 avril 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par le centre hospitalier d'Ajaccio ainsi que l'appel incident formé par M. A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 juin et 8 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le centre hospitalier d'Ajaccio demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté sa requête ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2011-345 du 28 mars 2011 ;
- l'arrêté du 28 mars 2011 relatif à la redevance prévue à l'article R. 6146-21 du code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du centre hospitalier d'Ajaccio et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. B... A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une convention signée le 28 décembre 2009, M. A... a été recruté en qualité de praticien attaché au centre hospitalier d'Ajaccio à compter du 1er janvier 2010, pour une durée d'un an renouvelable, pour y effectuer une journée et demi de travail par semaine au sein du service d'oto-rhino-laryngologie et participer aux tours de garde et d'astreintes dans sa spécialité. Cette convention prévoyait en outre la perception d'une redevance de seize pour cent sur les actes réalisés au titre de l'activité libérale de ce praticien au sein de l'établissement. Le 11 juillet 2017, le centre hospitalier d'Ajaccio a émis à l'encontre de M. A... un titre exécutoire pour un montant de 83 540 euros correspondant à la différence entre une redevance d'un montant de trente pour cent, que le centre hospitalier estimait devoir être perçue, et le montant de la redevance effectivement versée par l'intéressé pour la période 2012-2016 en application de la convention signée. Par une lettre du 20 septembre 2017, le centre hospitalier d'Ajaccio a mis en demeure M. A... de cesser toute activité libérale au sein de l'établissement et l'a informé de ce que la clause de la convention fixant la redevance à un taux de seize pour cent devait être regardée comme " nulle et non écrite ". Un second titre exécutoire, se substituant à celui du 11 juillet 2017, a été émis le 16 avril 2018 pour un montant de 75 786 euros correspondant à la différence du montant de redevance due au taux de trente pour cent et celui versé au taux de seize pour cent au titre de l'activité libérale au cours de la période 2013-2016. Le centre hospitalier d'Ajaccio se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 avril 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté son appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 17 octobre 2019 ayant annulé le titre exécutoire émis le 16 avril 2018 et déchargé M. A... de l'obligation de payer la somme procédant de ce titre de recettes.

2. Aux termes de l'article L. 6146-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction en vigueur à la date de la signature de la convention du 28 décembre 2009 : " Dans des conditions fixées par voie réglementaire, le directeur d'un établissement public de santé peut, sur proposition du chef de pôle, après avis du président de la commission médicale d'établissement, admettre des médecins (...) exerçant à titre libéral, autres que les praticiens statutaires exerçant dans le cadre des dispositions de l'article L. 6154-1[c'est-à-dire les praticiens dont le statut est défini aux articles R. 6152-1 et suivants du code de la santé publique exerçant à temps plein dans les établissements publics de santé], à participer à l'exercice des missions de service public mentionnées à l'article L. 6112-1 attribuées à cet établissement ainsi qu'aux activités de soins de l'établissement. (...). Les honoraires de ces professionnels de santé sont à la charge de l'établissement public de santé (...). Par exception aux dispositions de l'article L. 162-2 du code de la sécurité sociale, l'établissement public de santé verse aux intéressés les honoraires aux tarifs prévus au 1° du I de l'article L. 162-14-1 du même code, minorés, le cas échéant, d'une redevance./ Les professionnels de santé mentionnés au premier alinéa participent aux missions de l'établissement dans le cadre d'un contrat conclu avec l'établissement de santé, qui fixe les conditions et modalités de leur participation et assure le respect des garanties mentionnées à l'article L. 6112-3 du présent code. Ce contrat est approuvé par le directeur général de l'agence régionale de santé ". Selon l'article R. 6146-21 du même code, créé par le décret du 28 mars 2011, la redevance prévue par l'article L. 6146-2 représente la part des frais des professionnels de santé supportée par l'établissement pour les moyens matériels et humains qu'il met à leur disposition. Un arrêté du 28 mars 2011 prévoit que cette redevance est égale à trente pour cent des honoraires pour les actes pratiqués dans l'établissement de santé autres que des actes de consultation, de radiologie interventionnelle, de radiothérapie ou de médecine nucléaire nécessitant une hospitalisation.

3. Pour rejeter la requête du centre hospitalier d'Ajaccio, la cour administrative d'appel a jugé que si le titre de recettes était entaché d'une erreur de droit en ce que le montant de la créance y était déterminé par référence aux dispositions de l'article D. 6154-10-3 du code de la santé publique, qui ne sont applicables qu'aux praticiens hospitaliers exerçant à temps plein, ce qui n'est pas le cas de M. A..., ce titre aurait également pu être émis sur le fondement des dispositions de l'article L. 6146-2 du code de la santé publique, mais que, les praticiens autorisés à exercer une activité libérale sur ce fondement étant placés, vis-à-vis de l'administration, dans une situation réglementaire et non contractuelle, le titre émis à l'encontre de M. A... trouvait en tout état de cause sa cause, non dans le contrat liant M. A... au centre hospitalier, mais dans les droits définitivement acquis par celui-ci en application de la décision individuelle dont il avait fait l'objet, qui ne pouvait être retirée après l'expiration d'un délai de quatre mois suivant sa date. En statuant ainsi, alors qu'une convention conclue sur le fondement de l'article L. 6146-2 du code de la santé publique, qui fixe les conditions et modalités dans lesquelles un professionnel de santé exerçant à titre libéral participe aux missions d'un établissement de santé, revêt, eu égard à la nature des liens qu'elle établit entre les parties, une nature contractuelle, la cour a commis une erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier d'Ajaccio est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, en tant qu'il rejette ses conclusions d'appel.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans la même mesure en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Eu égard à la nature des liens établis par la convention signée le 28 décembre 2009 entre le centre hospitalier d'Ajaccio et M. A..., qui n'y exerçait pas en qualité de praticien statutaire à temps plein et auquel les dispositions de l'article L. 6154-1 du code de la santé publique, régissant la seule activité libérale au sein des établissements publics de santé des praticiens statutaires y exerçant à temps plein, ne s'appliquaient donc pas, cette convention revêtait une nature contractuelle. Si le centre hospitalier d'Ajaccio soutient qu'il s'était, par sa décision du 20 septembre 2017 ayant indiqué à M. A... que la clause de la convention fixant la redevance à un taux de seize pour cent devait être regardée comme " nulle et non écrite ", mis en mesure de rechercher, sur le fondement de l'enrichissement sans cause, le remboursement de la part non versée de la redevance qui lui était due au titre de l'exercice irrégulier d'une activité libérale, cette décision ne pouvait s'appliquer qu'à l'exercice par M. A... d'une activité libérale au sein du centre hospitalier pour l'avenir et n'a pu entraîner la disparition rétroactive de la clause de la convention conclue entre les parties, fût-elle illicite, une personne publique partie à un contrat administratif ne pouvant d'elle-même qu'en prononcer la résiliation et devant saisir le juge d'un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat pour en demander le cas échéant l'annulation. Par suite, et alors que le centre hospitalier n'avait pas, avant d'émettre le titre de recettes contesté, saisi le juge d'une demande d'annulation de la clause litigieuse, M. A... est fondé à se prévaloir, pour la période antérieure à la décision du 20 décembre 2017, des stipulations de la convention qu'il avait conclue et à soutenir que le titre de recettes ne pouvait être émis au titre d'un enrichissement résultant, pour lui, de l'exécution de cette clause.

7. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier d'Ajaccio n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia, dont le jugement est suffisamment motivé sur ce point, a jugé que M. A... était fondé à demander l'annulation du titre exécutoire en litige et à être déchargé de l'obligation de payer la somme en procédant.

8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées tant en appel qu'en cassation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 15 avril 2021 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il rejette la requête du centre hospitalier d'Ajaccio.
Article 2 : La requête du centre hospitalier d'Ajaccio est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier d'Ajaccio et à M. B... A....


Délibéré à l'issue de la séance du 18 mai 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, Mme Carine Soulay, Mme Fabienne Lambolez, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 13 juin 2022.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Agnès Pic
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber

ECLI:FR:CECHR:2022:453769.20220613
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